Au début d’avril, près de 10 % des jeunes de la province n’étaient pas sur les bancs d’école, un pourcentage presque aussi élevé qu’en pleine pandémie. Désengagement vis-à-vis de l’école, voyages, anxiété : les hypothèses varient sur les causes de ces absences.

Avant la pandémie, une proportion « normale » d’absence d’élèves se situait aux alentours de 5 à 7 %, tout au plus.

Or, les plus récents chiffres fournis à La Presse par le ministère de l’Éducation – qui les collige, mais ne les publie plus – montrent que dans la première semaine d’avril, 9,5 % des élèves des écoles primaires et secondaires publiques étaient absents. C’est presque autant qu’au sommet des vagues de COVID-19.

Un élève sur dix, soit environ deux ou trois élèves par classe qui s’absentent chaque jour, c’est beaucoup, dit Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

Depuis la pandémie, dit-il, le rapport avec l’école a changé.

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Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Je pensais qu’avec la COVID, les parents allaient prendre conscience de ce que l’école fait. Je m’attendais à l’inverse, à ce que l’école retrouve les lettres de noblesse qu’elle était en train de perdre.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Des élèves qui « refusent tout simplement de venir à l’école », il y en a beaucoup, dit le directeur adjoint d’une école secondaire, qu’on ne peut identifier parce qu’il craint des représailles de son centre de services scolaire. « Les parents ont souvent laissé tomber, manquent de moyens pour forcer leur jeune à venir à l’école », écrit celui qui travaille dans une école d’environ 1500 élèves.

« Il arrive par conséquent que des jeunes de 14 ans restent à la maison à gamer 24 heures par jour en toute impunité », ajoute-t-il. La semaine dernière, pour la dernière période de la journée, le taux d’absence chez ses élèves était d’environ 10 %, selon les données qu’il nous a fournies.

Depuis la pandémie, l’assiduité est un réel problème, dit une enseignante d’une école primaire de Montréal. Elle a vu passer des élèves qui ne viennent à l’école que quatre jours par semaine, voire trois. « On parle d’enfants de 10 ans que les parents laissent à la maison ! », dit-elle, en déplorant qu’il n’y ait « pas de suivi des directions ».

Il y a aussi les voyages, ajoute cette enseignante, qui travaille dans un milieu multiculturel. Plusieurs de ses élèves retournent voir de la famille à l’extérieur du pays au cœur de l’année scolaire, à la faveur de billets d’avion moins chers. « C’est l’enfer. J’ai une élève qui est arrivée au mois d’octobre », illustre-t-elle. Il y a aussi cette autre jeune « avec des notes de 30 % » partie une semaine pour un voyage dans le Sud avec ses parents.

« En compétition » avec d’autres activités

Bien des facteurs peuvent expliquer qu’autant d’élèves s’absentent chaque jour. Mais c’est une attitude négative envers l’école qui explique le plus l’absentéisme, croit Frédéric Guay, professeur à l’Université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires.

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Frédéric Guay, professeur à l’Université Laval et titulaire de la chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires

Je pense que les élèves qui s’absentent le plus sont ceux qui ont le sentiment de ne pas être à leur place.

Frédéric Guay, professeur à l’Université Laval

« L’école entre en compétition avec toutes sortes de choses qui sont le fun à faire : que ce soit les jeux vidéo, faire des activités avec ses amis, faire du sport », ajoute M. Guay, qui observe que des jeunes sont aussi laissés à eux-mêmes, sans surveillance à la maison.

Chez Tel-Jeunes, on a noté au cours de la dernière année une hausse des appels de parents dont les ados vivent de l’anxiété à l’idée d’aller à l’école.

Ils ont témoigné que leurs enfants « refusent d’aller à l’école, font des crises d’angoisse ou de panique tous les matins », illustre Alexandra Fournier, porte-parole et conseillère expertise chez Tel-Jeunes.

« Avec la grève qu’on a connue cette année, il y a aussi des jeunes qui nous ont contactés en lien avec ce retour à l’école en disant : c’est stressant, est-ce que je vais réussir à performer dans mon année, tout va être rushé, ou juste des jeunes qui n’avaient pas le goût [d’y retourner] », explique Mme Fournier.

« Est-ce que c’est un effet post-pandémie à retardement ? », demande-t-elle.

C’est ce qu’avance lui aussi Frédéric Guay. « Le contexte de pandémie semble avoir eu un effet d’amplification sur les problèmes de santé mentale. On se retrouve avec des étudiants qui sont plus vulnérables. Est-ce qu’il y en a qui sont plus dans les problèmes de dépression, d’anxiété, et qui ne veulent pas se rendre à l’école ? Ça peut être ça », dit M. Guay.

Une tendance observée ailleurs

L’augmentation de l’absentéisme à l’école n’est pas unique au Québec. Un récent reportage de la CBC a révélé que dans plusieurs régions du pays, l’absentéisme chronique (soit manquer au moins 10 % de l’année scolaire – environ 18 jours) est en augmentation.

Le portrait est semblable aux États-Unis, révélait le New York Times au début du mois. À l’échelle du pays, il est estimé que le quart des élèves des écoles publiques ont été absents de manière chronique, c’est-à-dire qu’ils ont manqué environ 18 jours d’école. Avant la pandémie, cette proportion était de 15 %.

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Le rapport qu’ont parents et élèves avec l’école a changé depuis la pandémie.

À l’école secondaire Serge-Bouchard de Baie-Comeau, une politique sur l’assiduité a été créée dès 2016 et est toujours en place. Aujourd’hui, le directeur, Steve Ahern, dit que l’absentéisme dans son école est maîtrisé.

On fait un suivi systématique. Quand on a plus que deux jours d’absence, le responsable de la surveillance appelle les parents.

Steve Ahern, directeur de l’école secondaire Serge-Bouchard

« On est une petite ville, ici. Souvent, on a des profs qui arrivent en disant : ‟on a vu untel à telle place”. Je suis un peu bizarre, je vais y aller », dit le directeur en riant.

Son école est en milieu défavorisé, explique-t-il, et il faut « des filets de sécurité » pour augmenter la réussite, notamment en agissant sur l’absentéisme.

Le professeur Frédéric Guay est d’avis que le rôle des enseignants est primordial. « Quand c’est intéressant, ce qu’on fait en classe, ça ne va pas chercher 100 % des élèves, mais ça va en chercher un bon nombre. Essayons d’offrir l’enseignement le plus motivant possible », dit M. Guay.

Mais, ajoute-t-il, les enseignants font face « à plus de cas difficiles » et à des classes de plus en plus hétérogènes.