Verveine citronnée. Aubergines « conte de fées ». Coriandre vietnamienne. Haricots mauves. Piments ivoire.

Je m’attendais à une visite colorée, en me rendant à la ferme de Gilles Lacroix, à Laval, mais pas à découvrir autant de légumes et de fines herbes dont je n’avais jamais entendu parler. Des plantes aux noms poétiques, qui m’ont fait réaliser à quel point j’étais un illettré de la chose végétale.

L’agriculteur de 78 ans n’a pas pris ombrage de mon ignorance. À bord de son tracteur, dans une nuée d’insectes matinaux, il m’a offert jeudi un cours accéléré sur les méthodes de culture traditionnelles, qu’il pratique depuis un demi-siècle en bordure de l’autoroute 15.

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Gilles Lacroix cultive des dizaines de variétés de légumes et de fines herbes.

Ici, une rangée de betteraves rouges et jaunes. Là, une « famille » entière de cucurbitacées. Là encore : des oignons, des choux, du maïs, des tomates. Plus de 75 variétés au total, sans compter les fleurs cultivées dans des serres.

J’en ai appris un rayon sur les légumes, mais le but premier de ma visite était plus banal. Je voulais voir, de mes propres yeux, à quoi pouvait bien ressembler la vie d’une ferme en banlieue immédiate de Montréal, dans la troisième ville en population du Québec.

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Stéphane Boyer, maire de Laval

Le contexte s’y prêtait bien : l’administration du maire Stéphane Boyer a déposé cette semaine un projet de règlement musclé pour brasser la cage des propriétaires de terres en friche1.

L’affaire n’est pas si connue : Laval, une municipalité de 438 000 habitants en plein boom, compte plus d’une centaine de fermes. Pas moins de 29 % de son territoire se trouve en zone agricole, mais à peine la moitié de ces riches sols arables sont cultivés. Du vrai gaspillage, selon la Ville.

Comme l’a révélé La Presse mardi, Laval imposera bientôt une redevance aux individus et entreprises qui restent assis sur leurs terres, souvent depuis des décennies.

Il y a dans le lot des boisés, des milieux humides et d’autres terrains impraticables. Mais la Ville estime que 1108 hectares de sols en friche pourraient être remis en culture.

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Pas moins de 29 % du territoire lavallois se trouve en zone agricole.

Ce qui est gigantesque, une fois remis en contexte.

Ces terres laissées à l’abandon représentent 11 km⁠2. Pour prendre une image toute locale, elles équivalent à 86 fois la superficie du Carrefour Laval, en incluant le centre commercial ET les stationnements environnants.

Énorme, vous disais-je.

La ferme de Gilles Lacroix, lorsqu’on y regarde de près, ressemble à bien d’autres. Il y a de longues rangées de pousses verdoyantes (j’ai reconnu un épi de maïs) et d’autres sections fraîchement moissonnées. Plusieurs espèces d’oiseaux, aussi, dont de magnifiques cardinaux rouges.

Mais il suffit de lever un peu le regard pour voir que nous sommes dans un secteur profondément urbanisé. Des maisons unifamiliales, et même une tour de condos, à perte de vue. Une mince bande boisée sépare les deux zones : la verte et la blanche.

Le vrombissement de l’autoroute des Laurentides, à quelques centaines de mètres, est audible en permanence. « Ça en dérange certains, mais je ne l’entends même plus », me dit-il.

L’agriculteur a insisté pour faire un détour au bord du boulevard Sainte-Rose, près du kiosque où il vend le fruit de ses récoltes. Il voulait me montrer le panneau qu’il a installé bien en évidence : « Bienvenue en zone agricole crédible et permanente ».

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« Bienvenue en zone agricole crédible et permanente », peut-on lire sur un panneau installé bien en évidence par Gilles Lacroix.

Car Gilles Lacroix ne fait pas que labourer ses terres. Il se bat depuis des décennies pour la mise en valeur des terres cultivables de l’île Jésus. Il dirige la section lavalloise de l’Union des producteurs agricoles (UPA) depuis… 1988 !

Je n’arrête pas de le dire : on a un trésor à Laval.

Gilles Lacroix, président de l’UPA-Laval

Il a vu passer bien des maires et des ministres pendant ses mandats successifs. Il a signé quantité de plans de développement, d’ententes et de protocoles en tous genres. Il conserve tous ces documents dans d’immenses cartables, y compris une copie originale d’un discours prononcé par le maire déchu Gilles Vaillancourt en 1993.

L’homme a entendu bien des promesses au fil des années. Mais l’annonce faite cette semaine par l’administration Boyer pourrait – enfin – donner un vrai nouveau souffle à l’agriculture locale, espère-t-il.

Il y aura fort à faire.

Laval estime que sa nouvelle redevance sur les terres en friche lui rapportera 1,1 million de dollars par année. Ces sommes, assez minimes, serviront entre autres à financer la remise en culture de certains sols.

L’objectif sous-jacent, pour ce que j’en comprends, est surtout d’envoyer un message fort aux propriétaires fonciers. Surtout à ceux qui attendent depuis des années un hypothétique dézonage pour construire des maisons. Cela n’arrivera pas, donc vous faites mieux de vendre vos terres à la Ville, leur dit-on en somme.

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L’autoroute 15 est située tout près de la ferme de Gilles Lacroix.

L’idée sera ensuite de procéder au « remembrement » de ces milliers de petits lots, pour les revendre ou les louer à de vrais agriculteurs, qui les cultiveront.

Ce serait une première pour une grande ville, si ça fonctionne, et un pari à plusieurs dizaines de millions de dollars pour l’administration lavalloise. Un pari vert foncé.

1. Lisez l’article « Petite révolution agricole à Laval »