Entre la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS), il m’arrive de voir une certaine ressemblance. Les deux formations incarnent ce que j’appelle des partis-trains.

Comprenez ici plusieurs wagons qui sont accrochés à une locomotive, mais où chaque véhicule est indépendant des autres et peut être décroché et arrimé à un autre moteur. Dans ce modèle, ce sont les chefs qui font office de locomotives et déterminent la vitalité et la force du convoi.

Le train caquiste est un composite très complexe. En dehors de son moteur qui se dit fédéraliste sans trouver en lui suffisamment de fierté pour s’identifier comme un patriote canadien, on y trouve : un wagon de libéraux fédéralistes, un wagon de conservateurs fédéralistes, un wagon de nationalistes fédéralistes et un wagon d’indépendantistes. À ce mélange déjà complexe, il faut ajouter les clivages sur le plan des dossiers identitaires qui ne sont pas la tasse de thé d’une bonne frange des multiculturalistes de la CAQ. Les militants et décideurs qui adhèrent à cette idéologie croient surtout que le nationalisme de leur parti devrait simplement être axé sur l’économie plus que sur l’identité.

Pour imposer une certaine harmonie dans ce train, on a recouvert ces autres couleurs politiques avec le bleu Legault. Un maquillage qui est bien superficiel, car il suffit de gratter un peu pour constater que le vernis cache une autre réalité.

Ainsi, depuis un certain temps, avec les mauvais sondages de la CAQ, certains passagers du wagon transportant les conservateurs fédéralistes commencent à lorgner du côté de Pierre Poilievre qui cartonne dans les intentions de vote. C’est aussi ça un parti-train. Quand la locomotive en arrache, on peut décrocher un wagon et aller l’accrocher à une force motrice plus efficace.

À défaut de rêver de souveraineté, François Legault avait promis aux gens d’ici de défendre vigoureusement leurs intérêts à l’intérieur du Canada. Avec un Parti québécois (PQ) alors à l’agonie, cette troisième voie qui mélange nationalisme et fédéralisme était devenue, pour bien des électeurs, la seule façon d’empêcher les libéraux de rester éternellement au pouvoir.

Si le premier mandat de la CAQ s’est déroulé rondement, ce deuxième, où François Legault a laissé moins d’espace aux souverainistes, est plus difficile. D’allégeance fédéraliste, les plus grosses têtes d’affiche de ce deuxième gouvernement qui viennent du monde des affaires ne déchirent pas vraiment leur chemise sur des dossiers identitaires. Disons qu’ils sont bien loin des convictions d’un Simon Jolin-Barrette à qui il faut créditer une bonne partie du succès du premier mandat de François Legault. Pourtant, François sait que la faveur électorale des francophones d’ici est indissociable des soubresauts de leurs vagues à l’âme identitaires.

Tenaillé entre la population et tous ces groupes aux intérêts divergents qui squattent son parti, le vernis bleu commence à s’effriter. La coalition a-t-elle le temps de rebondir ? Le temps nous le dira.

Chose certaine, si une course à la direction devait se tenir à la CAQ avant les prochaines élections, l’affrontement entre nationalistes et fédéralistes aurait de fortes chances d’envoyer leur train dans le fossé.

Curieusement, ce problème caquiste n’est pas très loin du scénario qui se joue à QS, car le train tiré par Gabriel Nadeau-Dubois (GND) est aussi une coalition très hétéroclite. Il y a dans cette formation des nationalistes fédéralistes, des indépendantistes, des fédéralistes multiculturalistes, des altermondialistes, etc. Tous ces groupes campés dans leur wagon respectif trouvent dans le train QS une occasion de faire avancer leurs idées.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois

Malgré quelques discordances autour de la laïcité et de la défense de la langue, même si le véhicule a de la difficulté à prendre autant de vitesse qu’ils le souhaitent, il fonctionne. Cela dit, il n’est pas à l’abri d’un décrochage de wagons, car bientôt les solidaires auront à composer avec une réalité des plus explosives pour leurs troupes. Avec l’indépendantisme décomplexé de Paul St-Pierre Plamondon (PSPP), Gabriel Nadeau-Dubois sera appelé inéluctablement à se prononcer plus clairement sur le sujet. Même si QS dit vouloir faire l’indépendance pour un projet bien plus important que les seuls enjeux identitaires, il sera obligé de choisir son camp lorsque ce dossier s’implantera durablement dans la prochaine campagne électorale.

Ce terrain miné arrive à grands pas pour GND. En effet, une grande partie des urbains de gauche qui votent pour QS ne veulent pas entendre parler d’indépendance, de laïcité, de langue ou d’identité.

Sur tous ces dossiers, GND sera obligé de clarifier ses positions pour ne pas voir sa clientèle fédéraliste et multiculturaliste se rabattre sur le Parti libéral du Québec (PLQ), où Denis Coderre se positionne déjà comme le protecteur du Canada contre un éventuel projet référendaire de PSPP.

Parfois, j’ai l’impression que l’option indépendantiste du programme de QS est comparable à un acrochordon pour bien des membres de ce parti. D’ailleurs, leurs candidats qui se présentent à Montréal savent qu’il faut absolument le cacher aux électeurs qu’ils essayent de séduire. Désormais, quand on veut se faire élire dans l’île de Montréal, la règle est de plus en plus claire pour tout le monde : il ne faut jamais parler d’identité, de langue ou de souveraineté.

Alors, puisque GND dit vouloir faire de QS un parti plus pragmatique et de gouvernement, je me demande s’il ne serait pas plus simple pour la formation d’arracher l’acrochordon de leur programme politique. Ça fera mal sur le coup, mais un tel virage lui permettrait de séduire plus large chez les allophones et les anglophones traditionnellement acquis au PLQ.

D’ailleurs, si aux prochaines élections les péquistes rentraient minoritaires, que ferait GND s’il détenait la balance du pouvoir ? Comment le souverainiste en lui composerait-il avec les désirs référendaires de PSPP ?

Au Québec, la gauche, la droite, le nationalisme et le fédéralisme peuvent trouver des espaces de raccommodement dans la même formation politique. Mais s’il n’y a pas de fédéralistes au PQ ni de souverainistes au PLQ, c’est justement parce que ces deux wagons sont impossibles à attacher derrière la même locomotive. Si la tendance se maintient, la prochaine campagne électorale risque de nous en faire une convaincante démonstration. Elle risque de nous montrer que Gabriel Nadeau-Dubois est aussi mal à l’aise de parler de souveraineté que François Legault de se présenter comme le vrai « Capitaine Canada ».