Dans une célèbre expérience de pensée sur la physique quantique, le Prix Nobel Erwin Schrödinger a imaginé un chat qui était à la fois vivant et mort.

Mardi après-midi, le chat, c’était le Parti libéral du Québec (PLQ). Il était à la fois mourant et ressuscité, selon le sondage.

Ce qui s’est passé devrait servir de mise en garde. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites. Elles n’avaient en commun que la confiance avec laquelle on les affirmait.

En début d’après-midi, les chiffres ont créé une petite commotion. Selon un sondage Pallas de L’actualité et du site Qc125, les libéraux arrivaient maintenant deuxièmes dans les intentions de vote, avec 23 %. Un bond spectaculaire de 8 points de pourcentage. Le Parti québécois (PQ) restait en tête, à 33 % (+2). La Coalition avenir Québec (CAQ) poursuivait sa chute, avec à peine 20 % d’appuis (-3). Québec solidaire fermait la marche, avec un décevant 13 %.

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Comme d’habitude, on a cherché des évènements pour raconter une histoire qui expliquerait ces chiffres. Elle ressemblait à ceci : le retour du clivage indépendantiste-fédéraliste profite aux libéraux. À l’Assemblée nationale, ils ont connu un excellent début de printemps. Par exemple, le député André Fortin a ébranlé le ministre de la Santé, Christian Dubé, en exposant les ratés du système de prise de rendez-vous avec un médecin. Et les rouges ont été les seuls à dénoncer fermement le déficit et à prôner un retour plus rapide à l’équilibre.

Pour le reste, les Québécois veulent changer de gouvernement, et c’est le Parti québécois qui reste le véhicule de choix pour se débarrasser de François Legault.

Une heure plus tard, ces brouillons étaient déposés subtilement dans la boîte de recyclage.

Léger a publié des chiffres fort différents. Selon le sondeur de Québecor, le PQ reste en tête (34 %). La CAQ y demeure toutefois en deuxième place, à 24 % (+2). Les libéraux arrivent troisièmes, avec 15 % (+1). Viennent ensuite les solidaires avec 14 % (-4) et les conservateurs avec 10 %.

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La nouvelle histoire ressemblait à ceci : les francophones boudent encore les libéraux, réduits au statut de parti de Montréal, des allophones et des anglophones. Quant à la CAQ, elle a freiné sa chute. Les troupes de François Legault sont un peu plus disciplinées. Après avoir été critiqués à chaque bouffée d’oxygène, les caquistes ont fini par obtenir un répit.

Ces deux histoires sont excellentes, mais elles ne peuvent pas être vraies en même temps.

Quand on voit des points, notre cerveau veut les relier pour faire des lignes. Avec un peu d’imagination, cela devient un dessin. Il est plus facile de raconter une histoire que d’avancer des hypothèses et de parler en probabilités.

Cette chronique ne vise pas à critiquer les sondeurs. Léger s’est démarqué par sa précision lors de la dernière campagne électorale, et le site Qc125 est un formidable outil, mené par un scientifique rigoureux, Philippe J. Fournier.

Pallas, un nouveau sondeur torontois, recourt aux appels automatisés. Ils sont rapides et peu coûteux. L’échantillonnage est aussi aléatoire, donc probabiliste. Toutefois, les jeunes répondent moins au téléphone. Même si la petitesse de ces échantillons est pondérée, cela peut mener à des anomalies.

Les chiffres de Pallas et de Léger sont presque identiques, à l’exception des non-francophones. Pour les anglophones, Pallas observe un retour massif chez les rouges – certains s’étaient aventurés chez les caquistes, chez les solidaires et même chez les péquistes.

Voici trois possibilités. Pallas s’est trompé, à cause d’une aberration dans son échantillonnage. Pallas a, surprise, mesuré le premier une nouvelle tendance. Ou encore, la vérité se situe quelque part entre les deux.

Il est normal que des sondages détonnent. Vous connaissez l’expression : « ce sondage a une marge d’erreur de 3 %, 19 fois sur 20 » ? Une fois sur 20, il n’aura donc pas la même fiabilité. C’est comme la météo : s’il y a 80 % de chances de soleil et qu’il pleut, cela ne signifie pas que la prévision était erronée.

C’est à nous de bien analyser les sondages, et de relativiser leur importance.

À plus de deux années des élections, ce genre de polaroid est d’une utilité limitée. Il aide tout de même à comprendre les stratégies des partis. Et la variation soudaine des appuis libéraux montre que le portrait peut vite changer. Tout comme la résurrection du Parti québécois l’avait prouvé l’année dernière.

Au-delà de ces fluctuations, l’intérêt des sondages se trouve dans leur addition. En combinant les chiffres des firmes et en relevant les tendances, un portrait plus représentatif se dégage. Ce qui est immobile est plus fiable et révélateur, mais l’absence de mouvement, ça n’attire pas les caméras…

Et inversement, la suranalyse des sondages vient avec deux risques : occulter les débats de fond et devenir une prophétie qui s’autoréalise. En dépeignant un parti en gagnant, on incite les gens à s’y rallier. Et en annonçant son déclin, on l’embaume d’un parfum de défaite.

Il est tôt pour annoncer la résurrection ou la mort du PLQ. Et peu importe, comme le PQ et les chats, il pourrait avoir plusieurs vies.