Plus tôt cette semaine, des membres de la communauté musulmane de Montréal se sont rassemblés dans un parc pour célébrer la fête de l’Aïd al-Adha, une journée où les familles portent traditionnellement leurs plus beaux vêtements, partagent des cadeaux, font la fête et prient ensemble.

Les célébrations religieuses ne sont pas rares au parc des Hirondelles, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville : depuis plusieurs années, la Ville de Montréal autorise une messe catholique de la communauté italienne sur le terrain gazonné.

L’Aïd a été célébré l’an dernier dans le parc sans objection. Mais cette année, lorsque des images de musulmans agenouillés pour prier sur l’herbe ont été largement partagées sur les réseaux sociaux – y compris par des experts des médias québécois – l’arrondissement a commencé à recevoir des plaintes.

« C’est rare qu’on reçoive 10 ou 15 courriels exactement sur le même sujet, exactement au même moment, donc […] on sait qu’il se passe quelque chose sur les réseaux sociaux ou dans les médias », a dit la mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier. Les plaintes, selon elle, étaient suffisantes pour qu’elle envisage d’interdire tout évènement religieux au parc des Hirondelles.

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La mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, Émilie Thuillier

Nous avons constaté que certains arrondissements de Montréal interdisent les cérémonies religieuses dans les parcs et nous explorerons cette idée […], mais nous n’avons pas pris de décision.

Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville

L’épisode s’inscrit dans un débat de longue date au Québec sur la présence de l’expression religieuse dans la vie publique, notamment l’expression islamique. La promotion de la laïcité de l’État par la province a mené à l’adoption du projet de loi 21, qui interdit à certains fonctionnaires, notamment les enseignants et les policiers, de porter des symboles religieux au travail.

Les groupes musulmans ont critiqué la loi en disant qu’elle a un effet disproportionné sur leur communauté, car de nombreuses femmes musulmanes portent le voile islamique.

David Rand, porte-parole du Rassemblement pour la laïcité, affirme que les célébrations religieuses ont leur place dans les lieux de culte et non dans les espaces publics. Son organisation a écrit une lettre ouverte, publiée dans Le Devoir, dans laquelle elle affirme que la Ville a permis à un parc public de se transformer en « lieu de culte sacralisé ».

En entrevue, M. Rand a déclaré que l’évènement religieux « exclut les personnes d’autres religions [dans] un parc public ouvert au grand public. Ce qu’ils ont fait, c’est transformer une partie du parc en mosquée temporaire. »

Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien, affirme qu’il n’y a eu aucune polémique lors de la célébration. Il n’était pas présent au parc des Hirondelles pour les festivités, mais il indique que la prière n’aurait pas duré plus de quelques minutes.

M. Majzoub dit que la mairesse a été « juste » en permettant à la communauté – composée de résidants du quartier et de contribuables – de célébrer dans le parc, ajoutant que certaines personnes exagèrent l’évènement de manière disproportionnée et ciblent les musulmans du Québec.

Réaction surprenante

Frédéric Dejean, professeur de religion à l’Université du Québec à Montréal, affirme que la réaction à l’évènement sur les réseaux sociaux et de la part des commentateurs politiques a été surprenante, mais elle survient dans un contexte de montée du sentiment antimusulman dans les pays occidentaux.

Chaque année, dit M. Dejean, des milliers de chrétiens se rassemblent pour la Marche pour Jésus dans les rues du centre-ville de Montréal pour chanter et répandre l’Évangile, tandis que les Krishna chantent régulièrement dans les stations de métro.

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Frédéric Dejean, professeur de religion à l’Université du Québec à Montréal

Ces manifestations d’expression religieuse semblent passer inaperçues, a-t-il affirmé. « C’est seulement lorsqu’il s’agit de musulmans que certains disent que cela ressemble à un problème. »

M. Dejean estime qu’il est important dans une société démocratique de permettre aux gens d’exprimer leur religion, même dans l’espace public, en respectant certaines limites. Les évènements religieux, comme les évènements laïcs, doivent respecter les lois concernant les limites de bruit et les discours de haine, a-t-il précisé.

Ce qui est important, a-t-il ajouté, c’est que la ville ou les arrondissements s’assurent que les évènements qu’ils autorisent sur leur territoire ne violent pas la loi.

M. Rand affirme que toutes les confessions, y compris le christianisme et le judaïsme, comptent des intégristes dans leurs congrégations, mais il affirme que l’islam a un « objectif politique précis : occuper autant d’espace que possible ».

Il rejette les accusations d’islamophobie, affirmant que le mot lui-même est un « terme absurde » utilisé pour censurer la critique de la religion.

M. Majzoub n’est pas d’accord. Il affirme que les musulmans sont soumis à des normes différentes de celles des autres confessions au Québec.

« Ils sont allés voir la Ville et ont obtenu l’approbation. Ce n’est pas imposé », a-t-il dit à propos de la célébration de l’Aïd. Les Québécois n’évoquent l’importance de la laïcité que « lorsqu’il est question de l’islam », selon lui.

Le ministre de la Laïcité du Québec, Jean-François Roberge, n’a pas répondu à une demande de commentaires.