« Coché ! », a fait Jean-Simon Desgagnés en faisant un grand crochet avec sa main. Il venait de tomber dans les bras de son ami Charles Philibert-Thiboutot, qui lui avait crié ses encouragements à l’amorce du dernier tour.

Ce n’est pas officiel, mais oui, c’est chose faite : Desgagnés a garanti sa participation à ses premiers Jeux olympiques, jeudi soir, au complexe sportif Claude-Robillard, à Montréal. Le suspense était presque nul, soyons honnêtes, mais le coureur de Saint-Ferréol-les-Neiges a réglé la question avec panache, se débarrassant de son dernier compagnon de route avec une boucle et demie à faire au 3000 m steeple des Essais d’athlétisme canadiens.

Desgagnés a galopé comme un gars qui a fini huitième aux Championnats du monde l’an passé, franchissant la dernière rivière comme si elle n’existait pas avant d’enjamber la haie de la ligne droite ultime, jalonnée de six feux d’artifice au sol.

Le héros de la soirée a arrêté le chrono à 8 min 34,56 s, loin de son sommet personnel de 8 min 15,58 s réussi l’an dernier aux Mondiaux de Budapest, mais ça n’avait aucune espèce d’importance, surtout avec le vent qui soufflait dans Ahuntsic.

« J’ai exécuté ce que je voulais », a lancé Desgagnés encore survolté quelques minutes après la fin de l’épreuve.

Les conditions météo n’étaient pas faciles, mais le but était de servir un bon dernier 600 mètres, un bon dernier kilomètre, comme on doit le faire dans les courses de championnat. J’ai bien livré la marchandise. J’ai été capable de bien imposer mon rythme à la fin. J’étais convaincant. Il n’y avait aucun doute, puis vent pas vent, j’avais un plan en tête et j’allais l’exécuter.

Jean-Simon Desgagnés

L’essentiel était accompli : un deuxième titre national et un billet en première classe vers Paris pour l’étudiant en médecine de l’Université Laval. Son meilleur temps est à une demi-seconde du standard de qualification, mais sa 22place au classement mondial lui garantit de faire partie des 36 partants dans la Ville Lumière. Sa place sera officialisée par Athlétisme Canada mardi.

« Dans ma tête, je suis 100 % sélectionné pour les Jeux, dans le sens où mathématiquement, c’est fait, a confirmé Desgagnés. Je m’y attendais déjà depuis le début de la saison, mais la case est cochée. »

« Un bon spectacle »

Après avoir suivi Mick Stanovsek, un Australien venu tenter sa chance pour le minima olympique, le Québécois a pris les commandes aux 600 mètres. Il a devancé l’Ontarien Kevin Roberston (8 min 37,91 s) et l’Albertain Aaron Ahl (8 min 39,16 s) pour assurer sa victoire, qu’il a soulignée par un petit jog de célébration devant les gradins assez bien remplis en cette soirée frisquette.

Le jeune homme de 25 ans est en amour avec son sport et souhaite le faire partager.

« On peut reprocher à la course ou aux sports individuels de manquer d’âme ou de sens du spectacle, a-t-il dit pour expliquer son élan spontané. De petits gestes comme ça, avoir un contact avec la foule, mettre de l’ambiance… Sans eux, on n’a pas d’évènement comme ça. Ça vaut la peine de les remercier, de mettre de l’énergie. »

Desgagnés a ajouté qu’« une course d’athlétisme peut être aussi intéressante qu’un match de football, voire plus ».

On est du monde qui se pousse à fond nous aussi. Si on est capables de donner un bon spectacle, les gens vont continuer à venir.

Jean-Simon Desgagnés

Au micro, Desgagnés a remercié sa famille et ses partisans qui avaient fait le déplacement de Québec, dont son groupe d’amis surnommé « Les Goons », qui seront 12 à l’accompagner à Paris. Bière à la main, ils se sont d’ailleurs amusés à scander « JS » et « Paris » tandis que le nouvel olympien poursuivait les entrevues.

« C’est vraiment exceptionnel d’avoir toute la gang derrière moi. On les voit aujourd’hui, mais ils sont derrière moi depuis sept, huit, dix ans. J’en parlais avec mon ami Marc-Alexandre. Il y a cinq ou six ans, on rêvait d’une médaille aux championnats canadiens. Aujourd’hui, on rêve d’un top 10 aux Olympiques. La game a changé. »

Un dernier ressort

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Thomas Fafard

Après un moment, l’entraîneur Félix-Antoine Lapointe a dû venir taper sur l’épaule de son protégé pour lui rappeler avec une certaine fermeté d’aller faire son jog de retour au calme. Deux heures après le steeple, Desgagnés s’est en effet lancé dans la finale du 5000 m pour servir de lièvre à son coéquipier Thomas Fafard, qui avait besoin d’une autre bonne course pour maintenir sa place parmi les qualifiés olympiques.

Desgagnés a donc jeté ses dernières forces avant de se ranger après 1800 m, laissant Fafard avec la responsabilité de courir contre la montre… avec le médaillé d’argent olympique Mohammed Ahmed sur les talons. L’athlète de Repentigny a tenu le coup pendant deux tours, lâchant même l’Ontarien Ben Flanagan, une autre grosse pointure du fond canadien, grâce à son effort.

En bordure de piste, Philibert-Thiboutot n’a pas manqué de le lui faire savoir, hurlant ses encouragements à défaut de pouvoir jouer le lièvre lui aussi, comme en Colombie-Britannique il y a deux semaines. Un petit souci à l’ischiojambier a forcé le spécialiste du 1500 m à se réserver pour ses courses, samedi et dimanche.

Ahmed a enclenché sa sixième vitesse avec deux tours et demi à faire, franchissant la ligne à 13 min 10,99 s pour améliorer de 15 secondes le record de championnat qui tenait depuis 2000.

« C’est admirable de voir des coéquipiers s’entraider, a déclaré le vainqueur au sujet de la dynamique avec Desgagnés. Il a poussé très, très fort. Tu pouvais sentir à quel point il était affamé à chaque tour. J’ai été très impressionné. »

Encouragé par la foule enthousiaste qui avait résisté au froid, Fafard s’est battu comme un damné, survolant le dernier tour en moins d’une minute pour couper le fil deuxième et arrêter le chrono à 13 min 18,82 s, son deuxième temps en carrière. Ce n’était pas suffisant pour améliorer son sort – il demeurera 41e sur 42 au classement mondial pour les JO –, mais le médaillé d’argent n’avait que de la fierté à exprimer aux journalistes.

On va vraiment espérer que ce soit assez pour passer. J’ai fait ce que je pouvais ce soir. J’ai essayé, je suis allé en avant, j’ai aussi reçu de l’aide d’un coéquipier. Ça a fait une grosse différence. Après ça, je n’avais pas le choix d’essayer de pousser le plus possible. Quand Moh est passé, mon but était clairement de rester accroché, mais je pense qu’il a montré sa domination ce soir !

Thomas Fafard

Avec quatre tours à faire, il a admis que « l’énergie était à zéro », mais il a trouvé un dernier ressort en se parlant « dans sa tête » avec des mots qu’il ne pouvait répéter à la caméra… « C’était ma course la plus dure de la saison jusqu’ici. Je suis vraiment content. Je ne pense pas que je pouvais espérer mieux dans les circonstances. »

L’athlète de 25 ans doit maintenant « croiser les doigts et faire des prières » en souhaitant que pas plus d’un fondeur ne le surpasse d’ici la date butoir du 30 juin. Il suivra les autres championnats nationaux avec attention, en particulier celui d’Allemagne, où trois poursuivants lui soufflent dans le cou. Un ou deux coureurs qualifiés pourraient également se désister pour se consacrer à une autre épreuve.

« Ce qu’il a fait aujourd’hui n’améliorera pas son classement, mais sa façon de courir m’a impressionné, a témoigné l’entraîneur Lapointe. Ça reste son deuxième temps à vie, un temps qui ne s’était jamais fait dans des championnats canadiens, où les courses sont tactiques. Il a osé et fait forcer Moh Ahmed un peu. Maintenant, on croise les doigts. »

Fafard est déjà reconnaissant de se retrouver dans cette position, lui qui se dirigeait davantage vers les épreuves sur route après avoir inscrit un record québécois à son premier demi-marathon en début d’année. Un sommet personnel de 13 min 05 s à Bruxelles il y a un mois l’a toutefois remis dans le coup pour les JO. « C’est fou ce qu’une course peut changer. »

Le prétendant olympique a d’ailleurs étrenné des pointes et des vêtements fournis par Brooks, un nouveau commanditaire qui le soutiendra pour au moins deux ans. Fafard est maintenant un « vrai » coureur pro, comme ses amis Philibert-Thiboutot et Desgagnés. Après cet élan de solidarité, le trio québécois du demi-fond souhaite briller ensemble sur la piste du Stade de France.