(Sainte-Luce-sur-Mer) Dès sa première discussion avec son nouvel entraîneur, Maude Charron a mis cartes sur table : « J’aimerais me qualifier pour Paris, mais je ne veux pas de médaille. »

De la part d’une athlète ultracompétitive, une telle affirmation a de quoi étonner. Or elle a plutôt rassuré Spencer Arnold.

« Remettre la pression de gagner une autre médaille, même pour le coach, c’est beaucoup, note l’haltérophile de Sainte-Luce-sur-Mer. Ç’a donc été dit il y a trois ans : à Paris, j’amène ma famille et je vais vivre des Jeux olympiques. Pas de pandémie, pas de masques, pas de tests, pas de stress. »

À son retour de Tokyo, en juillet 2021, la médaillée d’or s’est fait surprendre par les contrecoups de sa victoire. L’attention médiatique et publique n’avait pas fait partie de sa préparation. Celle-ci s’était déroulée dans le garage chez son père, faute d’aide de politiciens qu’elle avait sollicités. Tout à coup, tout le monde se l’arrachait, alors qu’elle souhaitait simplement retrouver le confort de son foyer dans le Bas-du-Fleuve.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Maude Charron aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021

Dans les semaines suivantes, elle s’est sentie comme une femme enceinte dont la bedaine ne lui appartient plus.

« Les gens étaient contents et fiers, et je comprends qu’ils n’étaient pas mal intentionnés. Mais j’ai passé un an à m’entraîner toute seule dans un monde fermé. Là, tu reviens, et tu n’as même pas le temps d’assimiler ce que tu as vécu. »

Elle a accepté les invitations, même si elle trouvait la dynamique « bizarre ».

Tout le monde veut ton attention, te parler, prendre une photo avec toi. Mais tu étais où, l’année passée, quand je t’ai écrit pour te demander de l’aide ? C’était beaucoup “notre” championne, “notre” médaille… Eille, j’étais toute seule à faire ça !

Maude Charron

Elle a mis du temps à comprendre sa réaction. Une discussion avec la gardienne Stephanie Labbé, héroïne de l’équipe canadienne de soccer à Tokyo, a été éclairante en ce sens.

« C’était le fun de pouvoir partager ça avec quelqu’un qui a vécu la même chose, mais dans un sport différent », a témoigné Charron au lendemain de cette rencontre dans le cadre du Comité olympique canadien (COC) à Montréal, en décembre.

« Ça normalise ce que j’ai vécu, les compromis qu’on fait. En revenant de Tokyo, on n’a pas eu de célébrations avec le premier ministre parce que tout le COC s’est tourné vers les Jeux d’hiver qui arrivaient six mois plus tard. On n’a pas vraiment eu de lieu d’échanges. On dirait que c’est la seule façon que j’ai eue d’assimiler tout ça. »

Au début d’avril, l’haltérophile québécoise a envoyé tout un message en remportant le bronze à la Coupe du monde de Phuket, dernière épreuve qualificative pour les JO. Elle a atteint deux objectifs importants en devançant la Colombienne Yenny Álvarez, championne mondiale en 2022, et son « idole », la Taipéienne Kuo Hsing-chun, tenante de la couronne olympique dans la catégorie des 59 kg.

« J’ai l’impression de gagner une médaille aux Jeux olympiques », a réagi Maude Charron en raison de la qualité de l’opposition en Thaïlande. Celle-ci sera moindre aux JO en raison de la limitation des inscriptions imposée par le Comité international olympique.

Deux ans et demi plus tard, que penserait Spencer Arnold de sa déclaration initiale ? « C’est sûr qu’il dirait que je peux gagner l’or demain matin à Paris… Mais on a encore du chemin à faire. »

Lisez « Maude Charron : La championne olympique antistar »

Avec Tokyo et Murph sur la plage

Ce dont Maude Charron ne se lasse jamais, ce sont ses promenades quotidiennes sur les battures de Sainte-Luce-sur-Mer, avec ses chiens Tokyo et Murph.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Murph, à l'arrière, et Tokyo sur la plage de Sainte-Luce-sur-Mer

Le premier a été adopté un an et demi après son retour des Jeux olympiques. À l’origine, son chum et elle souhaitaient ramener un chien du Japon. L’affaire s’est avérée trop compliquée. Ils se sont donc tournés vers Chiots Nordiques, un organisme de bienfaisance voué à la recherche de solutions pour la surpopulation canine dans les communautés autochtones.

Murph, lui, a été secouru dans la forêt près d’un village voisin.

« Tokyo a toujours de l’énergie à brûler et ça me permet de prendre l’air, de bouger, de faire autre chose que de rester dans ma maison », expose l’haltérophile en attachant les laisses à un harnais.

En quelques minutes, nous atteignons la promenade de bois de l’Anse-aux-Coques entourée de ses résidences colorées. Des œuvres du symposium des Sculpturales parsèment le décor.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La promenade de l'Anse-aux-Coques de Sainte-Luce-sur-Mer

Maude est allée à l’école primaire dans le village plus haut, qui s’appelait Luceville avant d’être fusionné en 2001. À partir de la cinquième année, elle a pratiqué la gymnastique dans un programme sport-études à Rimouski. Comme son grand frère et sa petite sœur, elle a fini son secondaire en art-études, concentration musique. Son instrument : le hautbois.

« On faisait des compétitions de musique, d’harmonie », se souvient-elle.

On revient par la plage de galets où le varech finit de sécher. Murph et Tokyo en profitent pour prendre leur élan. L’anse est l’endroit pour la pratique de sports nautiques comme le kayak et le kitesurf. Maude Charron pratique le surf à pagaie.

« Murph en fait avec moi. Il a même sa petite veste. »

Après la gymnastique, elle a étudié les arts du cirque au cégep Limoilou, à Québec. Elle s’est spécialisée dans la barre russe, un truc un peu fou où une acrobate virevolte à partir d’une barre flexible moins large qu’une poutre et manipulée par deux teneurs.

« C’est full le fun, mais c’est aussi dangereux. »

À force de bondir, elle a développé des périostites aux tibias. Elle s’est donc mise à « sauter » sur les mains, ce qui a provoqué des périostites aux avant-bras. Elle s’est rabattue sur l’aérien, mais elle s’est luxé une épaule.

« J’étais juste tellement blessée de partout que je ne pouvais plus rien faire. »

Tandis que ses amis étaient embauchés par des compagnies de cirque, elle est rentrée à Sainte-Luce-sur-Mer, le cœur brisé.

Cette expérience circassienne lui sert encore en haltérophilie.

« Pourquoi les spectateurs se souviennent-ils d’un clown ou d’un personnage fort ? Une compé, c’est comme un spectacle. Même si tu rates tes six essais, pour quelle raison les gens se souviendront-ils de toi ? Parce que tu étais fâchée ou parce que tu as souri et que tu as éprouvé du plaisir ? Même si ça va mal, the show must go on. »

Peu importe les objectifs.