Glaçons et raisins placés dans l’anus. Couteaux à beurre gelés déposés sur les parties génitales. Pressions pour avoir des relations sexuelles à la chaîne avec une femme… Une série de gestes « abominables et abusifs » ont été perpétrés contre des joueurs recrues dans différentes équipes de la Ligue de hockey junior Maritimes Québec (LHJMQ)* pendant des années, peut-on lire dans une demande introductive d’instance déposée mardi au palais de justice de Québec.

Cette demande s’inscrit dans le cadre de l’action collective intentée par l’ex-joueur des Saguenéens de Chicoutimi Carl Latulippe contre la LHJMQ, ses 18 équipes et la Ligue canadienne de hockey au nom de tous les joueurs mineurs y ayant subi des abus de 1969 à aujourd’hui.

Si l’histoire de Carl Latulippe, d’abord exposée par La Presse, a été maintes fois racontée depuis un an, le document déposé mardi détaille les cas troublants de plusieurs autres ex-joueurs, dont l’anonymat est préservé. Les faits exposés se seraient déroulés à différents moments des années 1970 aux années 2000 et révèlent une « culture d’abus systémique », peut-on lire.

« Le cas du demandeur (Carl Latulippe) est tragiquement loin d’être un cas isolé. Il n’est pas le seul à avoir subi des abus alors qu’il jouait dans la LHJMQ », est-il écrit.

Crème chauffante et « course du raisin »

Joueur recrue dans le milieu des années 1980, C. aurait notamment participé à une « grape race » (course du raisin). « Il s’agissait pour les recrues de courir ensemble […] flambant nues, avec un raisin dans l’anus. Pour chaque course, la personne qui perdait […] était obligée de manger son raisin et ceux de tous les autres participants », peut-on lire dans la procédure. Ce même joueur affirme que lors d’une soirée, un membre du personnel de l’équipe pour laquelle il jouait a emmené les joueurs recrues dans une maison où ils ont dû, « l’un après l’autre […], avoir des relations sexuelles avec [une] femme ».

Le membre E., qui a joué dans la LHJMQ à la fin des années 1990, raconte avoir été forcé de se rendre avec d’autres compatriotes, complètement nus, dans les toilettes de l’autobus de l’équipe lors de voyages. « Ils étaient contraints à y demeurer et ne pouvaient partir que s’ils avaient une érection », est-il écrit. D’autres ex-joueurs affirment avoir été enfermés nus dans les toilettes d’autobus lors de voyages d’équipe ou avoir été obligés de se masturber devant d’autres joueurs. Les recrues (appelées « kids » par les vétérans) étaient visées.

Vers la fin des années 1980, le hockeyeur D. dit avoir vécu « un véritable enfer » hors de la glace. Il affirme lui aussi avoir dû participer à une « course du raisin ». Comme plusieurs anciens joueurs, D. allègue que « les entraîneurs, les soigneurs et les préposés à l’équipement de l’équipe étaient au courant » des évènements et « n’ont rien dit ». Selon lui, des recrues ont quitté l’équipe avant la fin du camp d’entraînement. D., comme d’autres ex-joueurs, raconte avoir développé « un problème d’alcool et de colère ». D’autres anciens joueurs disent avoir mis un terme prématurément à leur carrière de hockeyeur à cause des abus subis.

Joueur dans les années 1970, A. soutient pour sa part que des vétérans ont placé un glaçon dans son anus et des couteaux à beurre congelés sur ses parties génitales durant sa saison recrue. Un produit chaud appelé « heat » aurait aussi été frotté sur ses parties génitales, ce qui aurait « provoqué une sensation de brûlure très douloureuse ». Jamais il n’a dénoncé les abus subis, car selon lui, quand tu es une recrue, « tu prends ton trou et tu t’éteins », est-il écrit.

Le juge de la Cour supérieure Jacques G. Bouchard a autorisé l’exercice d’une action collective contre la LHJMQ, ses 18 équipes et la Ligue canadienne de hockey, le 10 avril dernier. La LHJMQ en avait appelé de cette décision. Mais cet appel a été rejeté la semaine dernière.

Dans la demande introductive d’instance déposée mardi, on peut lire que plusieurs ex-joueurs ont été « brutalement abusés de manière sexuelle, physique et/ou psychologique » durant leur passage dans la LHJMQ alors qu’ils étaient mineurs. Ces « abus endémiques » étaient « connus de tous les adultes de toutes les équipes » et une « culture du secret » sévissait. L’avocat David Stolow, qui représente les demandeurs de l’action collective, affirme qu’il est « difficile pour les joueurs de parler de ce qu’ils ont vécu », mais il les encourage néanmoins à le contacter, rappelant que leur anonymat sera respecté.

Carl Latulippe réclame 650 000 $ aux défendeurs et 15 millions de dommages-intérêts punitifs et exemplaires collectifs.

La LHJMQ dit avoir lu la demande introductive d’instance « avec beaucoup de compassion ». « Nous n’avons pas encore tous les détails concernant ces nouvelles allégations faisant état d’évènements qui seraient survenus entre 1970 et 2000 et nous ne pouvons les commenter, puisque le processus judiciaire est en cours », dit le directeur des communications, Raphaël Doucet.

Ce dernier assure toutefois que la LHJMQ fait actuellement « tout en (son) pouvoir […] pour bien éduquer et bien encadrer » les joueurs et le personnel. « Ceux-ci savent qu’il est primordial de bien se comporter sur et à l’extérieur de la patinoire, et que c’est tolérance zéro en ce qui a trait à toute forme d’abus », indique M. Doucet.

* Autrefois la Ligue de hockey junior majeur du Québec