Derick Brassard se souvient d’avoir vu la rondelle libre à l’orée du filet, lors d’une supériorité numérique des Sénateurs d’Ottawa en première période. Il a tenté de la pousser du bout de la palette pour empêcher le gardien des Flyers de Philadelphie, Felix Sandström, de l’immobiliser, au moment où l’adversaire fondait sur lui avec férocité.

L’un de ses patins est resté coincé dans une fissure de la glace au moment où il était emporté par la force de l’attroupement. Puis il y a eu cette douleur vive à la cheville, la plus atroce qu’il ait jamais ressentie, plus encore que lorsque ses épaules quittaient leur socle ou qu’il se fracassait la mâchoire.

Ainsi prenait fin, le 30 mars 2023, avec seulement sept matchs à disputer à la saison, une admirable carrière de 1013 matchs répartis sur 16 saisons pour ce sixième choix en 2006, avec trois équipes principalement, les Blue Jackets de Columbus, les Rangers de New York et les Sénateurs d’Ottawa.

Notre homme âgé de 36 ans et originaire de Hull terminait justement une séance de physiothérapie lorsqu’il a rappelé La Presse.

« J’aurais probablement joué une saison de plus, confie-t-il. J’étais dans les plans de D. J. Smith, je crois. Mais j’ai mis huit mois à me rétablir. Arrivé en novembre, avec la mise sous contrat de Vladimir Tarasenko, la situation salariale des Sénateurs, ça n’aurait pas fonctionné. Je serais en état de jouer en ce moment, mais à mon âge, après avoir raté une année complète, ça serait impossible de revenir. Le hockey est terminé pour moi. »

Brassard a subi une déchirure ligamentaire à la cheville. Une intervention chirurgicale a été nécessaire. « Ils m’ont rattaché le pied à l’arrière. Je n’ai jamais voulu revoir la reprise du jeu, c’était trop dégueulasse. Mikhail Sergachev a subi la même chose. Je lui ai envoyé un texto, d’ailleurs. J’ai été surpris qu’il puisse revenir après trois ou quatre mois. »

Il a songé à un retour quelque part l’hiver dernier. « Le tournoi de la Coupe Spengler m’intéressait, mais il aurait fallu que je me rende en Suisse et avec un petit bonhomme de 10 mois, j’étais quand même assez bien chez moi. Je ne voulais pas me déplacer. »

Cette compétition annuelle accueille certains anciens joueurs de la LNH, parmi lesquels, l’hiver dernier, Jordie Benn, Nathan Beaulieu, Éric Gélinas et l’ancien espoir du Canadien Daniel Audette, sous la direction de Bruce Boudreau.

Mais les rigueurs du métier lui pesaient ces dernières années.

Je commençais à trouver ça lourd. J’étais souvent sur la table du thérapeute pour jouer le plus de matchs possible. C’est frustrant quand tu n’es pas à 100 % pour ton match. J’ai quand même marqué 13 buts [en 63 matchs] à ma dernière année. J’aurais pu pousser, mais avec la cheville, c’était assez. Je ne voulais pas risquer une nouvelle opération.

Derick Brassard

La naissance d’Hutson Brassard, en août 2023, a constitué une bénédiction pour lui. « J’appréhendais un peu la retraite. J’avais la même routine depuis l’âge de 15 ans. Ça s’est bien passé finalement. J’ai suivi mon programme de physiothérapie, j’ai passé beaucoup de temps avec mon petit gars, j’ai joué dans des ligues de garage avec des amis, j’ai fait des choses que je n’aurais jamais pu faire auparavant. Le fait d’avoir ce petit garçon dans ma vie a beaucoup aidé. J’aurais aimé l’avoir avant et l’emmener à l’aréna, comme les autres pères hockeyeurs le faisaient, mais la vie est faite comme ça. Je trippe dans le rôle de papa. »

Il continue ses séances de physio afin de rester actif au quotidien. « J’aime le golf, le pickleball, le hockey, le tennis. Déjà, l’été dernier, avec la blessure, j’avais de la misère au golf. Après six interventions chirurgicales, trois fois l’épaule, la cheville, le poignet, la mâchoire, je dois prendre soin de mon corps. »

PHOTO DAVID GOLDMAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Derick Brassard (16) avec les Blue Jackets de Columbus en 2010

La seconde carrière

Il a des idées pour la suite, mais il ne s’est pas encore lancé dans sa deuxième carrière. « J’aimerais travailler dans le hockey. Mais avec le bébé, c’est plus difficile pour l’instant. J’ai eu des offres dans différents rôles pour des clubs de la LNH, mais ça m’aurait amené à voyager beaucoup. Et je ne veux pas déménager la famille à nouveau. »

Idéalement, il travaillerait pour le Canadien ou les Sénateurs dans un rôle de gestionnaire ou dans le développement.

« J’ai une bonne relation avec Jeff [Gorton], il était adjoint au directeur général quand j’ai commencé à New York et c’est lui qui m’a échangé à Ottawa une fois en poste comme directeur général [contre Mika Zibanejad]. Il m’a toujours dit de venir le voir à ma retraite. Il est maintenant VP aux opérations hockey à Montréal, mais le Canadien a déjà beaucoup d’hommes de hockey. Je vais être patient, peut-être les Sénateurs avec le nouveau groupe. Sinon, le hockey junior éventuellement, mais je ne suis pas pressé. »

Les médias ? Il n’explorera pas cette avenue. « Ça prend un certain talent pour parler devant la caméra. Les gars sont bons de faire ça. Je n’ai jamais essayé, mais je ne me vois pas dans ce rôle-là. »

Brassard a disputé presque six saisons à Columbus. Jarmo Kekäläinen l’a échangé aux Rangers de New York en avril 2013, à l’âge de 25 ans, contre Marian Gaborik. Quatre ans plus tard, une finale de la Coupe Stanley et un carré d’as l’année suivante, il passait aux Sénateurs d’Ottawa pour Zibanejad. Il y est resté deux saisons, plus modestes offensivement, avant de poser des valises à Pittsburgh, en Floride, au Colorado, à Long Island, en Arizona, à Philadelphie, à Edmonton puis à Ottawa à nouveau au cours des six dernières années de sa carrière.

J’ai été heureux d’avoir l’occasion de jouer dans mon coin, à Ottawa, mes parents pouvaient venir à chaque match, mais j’ai connu mes plus belles années avec les Rangers. Jouer au Madison Square Garden, porter le gilet… ça m’a pris des années à décrocher après la transaction, même si j’avais le privilège de jouer près de la maison. J’ai grandi en regardant le Canadien, mais je suis un garçon de l’Outaouais.

Derick Brassard

Il a vécu des choses inoubliables à New York. « J’ai assisté au Super Bowl au MetLife Stadium, aux Séries mondiales quand les Mets ont affronté les Royals [de Kansas City], on avait la chance d’aller voir les Knicks de la NBA sur le bord du terrain avec les billets du propriétaire, les concerts, c’est toute une expérience. Je suis même demeuré au Connecticut pendant deux étés pour m’entraîner. »

Il a vécu ses plus belles années au centre de Mats Zuccarello et de Rick Nash, avec une saison de 60 points, mais aussi 44 points en 59 matchs éliminatoires avec les Rangers.

« Ça aide quand tu joues avec des superstars comme Zuccarello et Nash. Zuccarello est le meilleur fabricant de jeux avec qui j’ai joué dans ma carrière. Il est vraiment intelligent, j’ai une bonne relation avec lui. Nash, c’était le gros bonhomme du trio. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Derick Brassard (à gauche) avec les Rangers de New York en 2013

Du leadership à Ottawa

On a souvent déploré au cours de l’hiver dans les médias d’Ottawa la perte de Brassard, un leader important à sa dernière saison. Le principal intéressé dresse le même constat. « L’équipe se cherche depuis plusieurs années. Il y a du talent, mais tout doit être en place. Il faut plus de joueurs à maturité. Il y a Claude Giroux, mais ça prend plus qu’un leader pour aider Brady [Tkachuk]. Il a été nommé capitaine à un jeune âge, il avait besoin d’aide. Même les plus vieux leaders à Montréal, comme Nick Suzuki, a besoin de son David Savard, de son Mike Matheson. »

Les Sénateurs ont aussi besoin de renfort en défense. « Prends la finale de la Coupe Stanley. Il n’y a pas d’espace sur la glace. Tu dois être capable de contrer les meilleurs joueurs adverses. Thomas Chabot est là depuis plusieurs années, mais il a besoin d’être épaulé. Jake Sanderson vient d’arriver et à seulement 21 ans, ce n’est pas juste de lui mettre ça sur les épaules. S’ils peuvent ajouter au moins deux défenseurs capables de prendre de grosses minutes, avec de l’expérience, ça va les aider. »

Voit-il d’un bon œil la reconstruction du Canadien ? « Ils font les choses de la bonne façon. Quand tu n’es pas parmi les plus grandes destinations de la LNH pour les agents libres, tu n’as pas le choix de reconstruire. La progression de Slafkovsky en deuxième moitié de saison est impressionnante. Au début, j’étais inquiet par ses habiletés avec la rondelle. Il a gagné en confiance et la rondelle collait à sa palette. La projection de [Juraj] Slafkovsky à 25 ans, avec son physique, il va être dangereux. Il a l’air d’être une brute et il compétitionne.

« En défense, j’aime Kaiden Guhle, poursuit-il. Tu gagnes des matchs de séries avec des défenseurs comme lui. Il ne va pas mener tes supériorités numériques, mais contrer les McDavid et les Matthews. Un bon deuxième défenseur. Et à Montréal, avec la profondeur, il n’aura pas à jouer sur une deuxième vague en supériorité numérique. Ce sont les deux jeunes qui retiennent le plus mon attention. »

Il aurait souhaité jouer à Montréal. « J’ai été disponible au fil des années, mais ça n’a jamais adonné. Ça aurait été spécial. Peut-être travailler pour eux un jour, on ne sait jamais… »