Il y a un an, presque jour pour jour, c’était la fête chez les Kings de Los Angeles.

Le directeur général Rob Blake était tout sourire. C’était tout naturel, puisqu’il venait d’acquérir un joueur de prestige. Ce gros attaquant agile qui faisait instantanément de sa ligne de centre l’une des plus dangereuses de la LNH.

Son nouveau protégé lui coûtait cher, puisqu’il avait dû céder trois joueurs et un choix de deuxième tour pour l’obtenir. Et le nouveau contrat de huit ans et 68 millions de dollars qu’il ajoutait à sa masse salariale n’allait pas faciliter son quotidien comme gestionnaire. Mais le jeu en valait la chandelle, assurait-il.

Le même Rob Blake avait le visage bien plus long, mercredi. C’était tout naturel, puisqu’il venait d’échanger ce joyau acquis à fort prix il y a un an, presque jour pour jour.

Pierre-Luc Dubois, en effet, a été échangé aux Capitals de Washington en retour du gardien Darcy Kuemper. Une rare transaction un-contre-un, sans retenue salariale ou autre compensation.

Rob Blake, en réalité, s’en sort plutôt bien, même s’il faut y regarder à deux fois pour le constater.

Il a évidemment l’air fou, et il le sait. L’équipe de direction a mal évalué le potentiel de Dubois dans le système de jeu très spécifique que déploient les Kings – la défense d’abord, après on verra. Le Québécois, comme en témoigne sa production de 40 points en 82 matchs, n’était pas à sa place. Il s’est rapidement retrouvé derrière Anze Kopitar et Phillip Danault dans la hiérarchie au centre. Son temps de glace n’était pas celui d’un joueur de son statut. Son impact était marginal.

Deux fois mercredi, en visioconférence, le DG a répété qu’il assumait la responsabilité de l’intégration de Dubois. Sans complimenter son joueur, il ne l’a pas critiqué non plus.

Or, insistons : dans les circonstances, Blake a réussi à limiter ses pertes. À la suite de l’élimination de son club en cinq matchs par les Oilers d’Edmonton au premier tour des séries, il est arrivé à l’évidente conclusion qu’il avait commis une erreur. Il lui fallait maintenant tenter de la corriger, ce qui était infiniment plus facile à dire qu’à faire.

À vendre

Racheter son contrat n’a jamais été un scénario envisageable, a insisté le gestionnaire, mercredi. Il fallait donc l’échanger, et vite, puisqu’une clause de non-mouvement dans son contrat entrera en vigueur le 1er juillet prochain.

Au début du mois de juin, le DG s’est donc présenté au camp d’évaluation des espoirs de la LNH, à Buffalo, avec un boulet à vendre. Un joueur improductif qui gagnera en moyenne 8,5 millions pour encore sept ans, doublé d’un choix de premier tour en 2016 (3e au total) qui a échoué à trouver le bonheur dans trois organisations différentes. Bonne chance !

PHOTO JEFFREY T. BARNES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Darcy Kuemper a été échangé contre Pierre-Luc Dubois.

Il était pratiquement acquis qu’aucun club aspirant à la Coupe Stanley ne manifesterait d’intérêt. Pas davantage que l’une des nombreuses équipes en reconstruction, qu’on comprendrait d’hésiter à bâtir autour d’un joueur qui incarne l’antithèse de la stabilité.

Il fallait donc viser entre les deux. Et tout au cœur de la cible, il y avait les Capitals de Washington.

Les Kings ont certes dû accepter un boulet en retour. À 34 ans, Darcy Kuemper n’est plus exactement le visage de la fraîcheur ou de la jeunesse. Son passage de deux saisons dans la capitale américaine a été tantôt correct, tantôt pénible, et il doit encore gagner 5,25 millions en moyenne pour trois ans.

Mais c’était un compromis acceptable à Los Angeles, où le roulement de personnel devant le filet est, de toute façon, une tradition. Pour gagner presque 44 millions en espace salarial d’ici 2031, ce n’était pas cher payé. Marché conclu.

Cohérent

Cette transaction, au demeurant, est absolument cohérente avec la philosophie des Capitals. Ceux-ci, après avoir gagné la Coupe Stanley en 2018, ont décidé de s’accrocher à un noyau vieillissant plutôt que de le renouveler.

L’effectif actuel ne fait pas particulièrement rêver, pas davantage que le bassin d’espoirs. Il est évident que l’objectif à court terme est de permettre à Alexander Ovechkin de conclure sa carrière au sein d’un club potable, probablement en battant le record de 894 buts de Wayne Gretzky. Chaque petite victoire compte, par exemple la surprenante participation aux séries éliminatoires de 2024.

Or, pour garder ce club potable, il fallait le renforcer au centre immédiatement. Aucun jeune joueur de l’organisation n’est prêt à piloter un premier trio de la LNH. Dylan Strome a besoin d’aide. Et Nicklas Backstrom ne jouera vraisemblablement plus au hockey.

Dubois peut accepter cette mission. Les mots du directeur général Brian MacLellan, dans un communiqué publié par l’équipe, étaient d’ailleurs clairs : « Vu son gabarit, son coup de patin exceptionnel et sa grande intelligence du jeu, nous avons bon espoir qu’il s’épanouira [à Washington] avec des responsabilités accrues. »

Le « potentiel » dont parle MacLellan dans la même déclaration n’est pas fictif : trois saisons de 27 ou 28 buts et autant de récoltes d’au moins 60 points. Un joueur de centre de 6 pi 4 po et 225 lb capable de ce rendement offensif ne laissera jamais un DG indifférent. Même s’il arrive avec l’étiquette de boulet.

Un boulet qui pèsera moins lourd qu’à Los Angeles, d’autant que le départ de Kuemper permettra à Charlie Lindgren de confirmer son statut de partant et à de jeunes gardiens de l’organisation de prendre du galon. Les Capitals, en outre, ont de l’argent dans leurs coffres. Dans une stratégie à court ou moyen terme, aussi bien l’investir dans un joueur établi. Comme Dubois.

Le boulet des uns, en somme, peut parfois faire le bonheur des autres. Ça donne simplement des célébrations plus sobres lorsqu’il change de camp.