Quels souliers de course privilégier ? Gros ou minimalistes ? Simples ou technologiques ? Quel amorti, quel dénivelé ? Devant l’étalage de chaussures, le consommateur s’y perd. Discussion entre deux experts : le physiothérapeute Blaise Dubois et le podiatre Gabriel Moisan.

Qui sont nos experts ?

Blaise Dubois

PHOTO FOURNIE PAR BLAISE DUBOIS

Blaise Dubois

Blaise Dubois est physiothérapeute, ancien consultant à Athlétisme Canada et fondateur de La Clinique du Coureur, un organisme de formation pour les professionnels de la santé et de l’entraînement.

Gabriel Moisan

PHOTO FOURNIE PAR GABRIEL MOISAN

Gabriel Moisan

Gabriel Moisan est podiatre et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses champs de recherche touchent la biomécanique, les douleurs chroniques aux membres inférieurs et les modalités de traitement conservateur, dont les orthèses.

Existe-t-il une recommandation universelle en matière de chaussures de course ? En particulier pour les gens qui commencent la course à pied, pour ceux qui ont des douleurs aux articulations, pour ceux encore qui ont un surpoids ?

Blaise Dubois : Actuellement, les données probantes ne sont pas assez claires pour faire des recommandations très générales pour le grand public. Mais avec l’ensemble des données, on est capable de faire des recommandations quand même valables : plus la chaussure est amortissante et grosse, plus elle stresse le genou, la hanche et le dos. Plus elle est amortissante et grosse, moins elle stresse le pied de façon générale. Il y a une conception générale – bien disséminée chez les vendeurs de chaussures – selon laquelle ça prend plus d’amorti pour réduire le stress sur le genou. Ça ne marche pas, tant d’un point de vue théorique que d’un point de vue clinique.

Gabriel Moisan : C’est dur de faire des recommandations très générales, parce qu’il y a beaucoup de nuances à apporter. Je suis d’accord avec ce que Blaise a dit, mais j’ajouterais une chose. Je pense que le plus important, c’est que si tu n’es pas blessé et que tu n’as pas de problème à la course, la meilleure chaussure, c’est celle que tu portes déjà. Si tu la trouves confortable, si elle te plaît, achètes-en une autre paire avant que le modèle ne soit plus vendu.

BD : Je suis d’accord, mais il y a une problématique à travers tout ça : on laisse supposer aux gens que l’amorti, les anti-pronateurs et le drop [le dénivelé entre le talon et l’avant-pied] – les trois technologies qui ont été promues au fil des années – ont un rôle préventif sur les blessures, ce qui n’est pas le cas. Mais on a réussi à le faire croire à tout le monde, et le marché a réussi à imposer ces chaussures-là au public, qui les achète à haut prix. Actuellement, si on n’est pas dans un public éduqué, ce sont 97 % des gens qui les portent. On a rendu des gens totalement dépendants à un profil de chaussures.

Quelques exemples de chaussures
  • New Balance M 990 V4, indice minimaliste 6 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE NEW BALANCE

    New Balance M 990 V4, indice minimaliste 6 %

  • Saucony Ride 17, indice minimaliste 20 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE SAUCONY

    Saucony Ride 17, indice minimaliste 20 %

  • Asics Gel Nimbus 26, indice minimaliste 24 %

    IMAGE TIRÉE DU SITE INTERNET D’ASICS

    Asics Gel Nimbus 26, indice minimaliste 24 %

  • Adidas Takumi Sen 10, indice minimaliste 40 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET D’ADIDAS

    Adidas Takumi Sen 10, indice minimaliste 40 %

  • On Cloudventure Peak 3, indice minimaliste 50 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET ON

    On Cloudventure Peak 3, indice minimaliste 50 %

  • Nike Lunarspider, indice minimaliste 68 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE NIKE

    Nike Lunarspider, indice minimaliste 68 %

  • Merrell Vapor Glove 6, indice minimaliste 96 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE MERRELL

    Merrell Vapor Glove 6, indice minimaliste 96 %

  • Five Fingers Vibram ELX F, indice minimaliste 100 %

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE VIBRAM

    Five Fingers Vibram ELX F, indice minimaliste 100 %

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Est-ce que la chaussure minimaliste fait peur aux consommateurs ?

BD : Elle fait surtout peur à tous ceux qui font la promotion de la grosse chaussure. Tous les vendeurs vont promouvoir les chaussures technologiques avec de l’amorti, parce que c’est la norme statistique depuis 40 ans. […] On a fait des milliers de transitions vers le minimalisme avec succès, parce que les patients ont été guidés adéquatement. Mais si tu t’achètes un FiveFingers [des chaussures très minimalistes] et que tu cours 30 minutes en partant, c’est sûr que tu te blesses au pied. Ce n’est pas la faute du minimalisme : c’est la faute du maximalisme qui a fragilisé vos pieds pendant des années.

GM : La chaussure minimaliste, par définition, est moins contrôlante. À part changer un peu le matériel et la forme, il n’y a pas vraiment d’innovations possibles. C’est donc plus rentable pour une entreprise de créer de nouvelles technologies qui, la plupart du temps, ne sont pas validées scientifiquement. Les entreprises poussent vraiment les chaussures technologiques, alors que ce n’est peut-être pas ce dont le patient a besoin. Comme professionnel de la santé, on se bat contre une grosse machine qui a un budget marketing illimité.

Est-ce que la chaussure maximaliste provoque plus de blessures que la chaussure minimaliste ?

GM : Ce n’est pas vraiment que l’un cause plus de douleurs que l’autre ; c’est le patron qui est différent. En fonction de la chaussure qu’on porte, on peut changer la répartition des charges sur les structures du pied et de la jambe. Les chaussures minimalistes augmentent les charges au niveau du pied et du mollet, mais elles vont enlever de la charge pour tout ce qui est en haut de la cheville. À l’inverse, les chaussures maximalistes vont enlever de la charge au niveau du pied et de la cheville, mais augmenter les charges au genou et à la hanche. On peut se servir de ces différences à notre avantage en fonction de l’emplacement des douleurs des coureurs blessés.

Lorsque le consommateur se retrouve devant l’étalage des chaussures, que doit-il vérifier ?

BD : Il est déjà dans la merde, vu qu’on ne lui proposera que des grosses chaussures. Il y a 5, 10 ans, on avait au moins un petit choix de chaussures minimalistes exposées en magasin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le mieux que tu puisses faire, c’est de choisir une belle couleur et d’essayer la chaussure pour voir si elle est confortable.

C’est cynique ! Où les trouve-t-on, les chaussures minimalistes ? En ligne ?

BD : En ligne, oui, il y en a. Mais si tu vas dans une boutique spécialisée, le vendeur va essayer de te décourager en disant que le minimaliste est une mode passée et que des gens se sont blessés, puis il va faire des recommandations basées sur de mauvaises pratiques. Je vais être encore plus cynique : je pense que tu sortiras mieux chaussé du Walmart que d’une boutique spécialisée.

GM : Je comprends le cynisme de Blaise, et je le partage un peu. C’est vrai que c’est démoralisant quand tu essaies d’avoir l’ensemble du continuum de chaussures. Par contre, la nuance que j’apporterais est la suivante : on est habitué à porter des chaussures dans la vie de tous les jours, et une grande proportion d’entre elles sont plus contrôlantes que pas assez. Moi, j’aurais plus tendance à viser le milieu pour commencer – un indice minimaliste de 50 %.

Lorsque l’on commence à courir, quelles sont les règles de l’art pour diminuer le risque de blessures ?

GM : Le facteur principal, ce sont les habitudes d’entraînement. Comment tu cours, quelle distance, à quelle fréquence. La personne qui commence la course en se tapant 7, 8 kilomètres, elle va se blesser, peu importe la chaussure qu’elle porte.

BD : Je suis totalement d’accord : 80 % des blessures en course à pied sont dues à une mauvaise quantification du stress mécanique, c’est-à-dire que la personne en a fait trop, trop vite. Dans le 20 %, il y a un peu de chaussures et un peu de biomécanique. Les deux consignes qui pourraient être données à un coureur, c’est de faire des plus petits pas et de faire moins de bruit en courant.

Consultez l’indice minimaliste de vos chaussures Lisez notre dossier sur la course à pied, « Envie de courir ? Lancez-vous ! »