Un édifice gouvernemental de la Vieille Capitale évitera le pic des démolisseurs. Représentatif des années de la Révolution tranquille, il revivra sous la forme d’un immeuble résidentiel au cachet évocateur d’un Québec en pleine ébullition.

Cet ancien siège social de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) fait partie de l’horizon de Québec depuis la fin de la décennie 1960. Son édification sur les berges de la rivière Saint-Charles, loin de la colline Parlementaire saturée par l’expansion soudaine de la fonction publique, en avait fait sourciller plusieurs à l’époque. Il fait aujourd’hui figure de porte d’entrée de la basse-ville.

« C’est un bâtiment d’une valeur patrimoniale intéressante », estime Martin Dubois, architecte et auteur de plusieurs ouvrages sur l’architecture au Québec. Il a d’ailleurs produit une étude sur cet édifice, il y a quelques années, à la demande même de la CNESST.

PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE DE QUÉBEC

L’immeuble est un exemple d’architecture brutaliste. On voit ici la façade latérale droite.

Il se distingue par son architecture brutaliste, avec des panneaux de béton préfabriqués. À ce titre, il est représentatif du courant moderne international, qui était à la mode au Québec à cette époque. Ses architectes avaient notamment réussi à créer un rythme intéressant sur ses façades.

Martin Dubois, architecte et auteur

Content de voir l’édifice échapper à la démolition, M. Dubois admet qu’il aurait tout de même préféré que l’édifice conserve sa vocation originale. « Mais je suis conscient qu’on ne peut pas tout conserver. Un changement d’usage est préférable à l’option de tout raser », concède-t-il.

L’immeuble était justement condamné à disparaître quand, en 2016, la Ville de Québec a déposé une offre d’achat de 5 millions pour le détruire et revendre son terrain en parcelles à des promoteurs. La CNESST a préféré attendre une meilleure offre. L’année suivante, elle a accepté de vendre l’édifice à la société Immeubles Simard pour la somme de 7 millions.

L’organisme gouvernemental est demeuré locataire de l’édifice jusqu’au déménagement de ses employés en juin 2021 dans un bâtiment neuf dans l’arrondissement de Beauport.

PHOTO FRANCIS FONTAINE, FOURNIE PAR IMMEUBLES SIMARD

Jean-Michel Simard, associé chez Immeubles Simard

Notre but était d’en faire un immeuble de bureaux. Mais la pandémie a changé la donne. Avec l’apparition du télétravail, la demande pour de grandes superficies s’est écroulée. D’un autre côté, tout le monde s’est mis à rechercher de grands appartements.

Jean-Michel Simard, associé chez Immeubles Simard

« Après analyse, nous avons décidé de changer la vocation de l’édifice », poursuit le gestionnaire d’Immeubles Simard, qui s’est associé à Ogesco Construction pour ce chantier.

Patrimoine et modernité

RENDU 3D FOURNI PAR GRAPHSYNERGIE

Le projet, baptisé Rivero, comporte son lot de défis.

Simple en apparence, le projet baptisé Rivero posait tout de même un grand nombre de contraintes techniques. Parmi celles-ci : des pieux de fondation endommagés, une enveloppe vieillissante pleine de fuites d’air et une structure qui ne répondait pas aux nouvelles normes antisismiques. Ses promoteurs devaient relever tous ces défis sans nuire à la valeur patrimoniale de l’édifice.

La solution retenue : déshabiller la structure en entier pour ne conserver que l’ossature faite de dalles et de colonnes en béton armé. Dans un deuxième temps, lui ajouter des contreventements pour la rendre résistante aux secousses provoquées par la zone sismique de Charlevoix. Enfin, reconstruire une enveloppe plus légère et plus étanche.

« Comme nous avons enlevé beaucoup de poids à l’édifice avec la nouvelle enveloppe, mais aussi en remplaçant les systèmes mécaniques très lourds de l’époque, les pieux ne posaient plus de problème », affirme Jean-Michel Simard.

Les architectes ont cependant dû convaincre la Commission d’urbanisme de la Ville de Québec que la reconstruction serait fidèle à l’esprit architectural d’origine.

La façade principale conservera notamment sa grande marquise, sa haute verrière destinée à éclairer le hall d’entrée, ainsi que sa colonnade érigée jusqu’à son toit pour marquer jadis l’appartenance de l’immeuble à l’État.

« Nous avons identifié les éléments significatifs qui font la signature de l’édifice pour les remettre en valeur », indique Sandrine Toulouse-Joyal, architecte et chargée de projet chez PMA Architectes, avant d’énumérer la répétition des ouvertures, les jeux d’ombres et de lumières créés par des panneaux préfabriqués, la texture du revêtement de béton et l’absence de systèmes mécaniques apparents.

Pour ne pas dénaturer les façades, nul balcon ne pouvait être ajouté à l’édifice. Face à cette exigence, les architectes ont dessiné une loggia dans chaque appartement.

« C’est une verrière encastrée dans la surface habitable. Ouverte vers l’extérieur, elle peut servir de balcon abrité pendant l’été. Mais comme elle est chauffée, elle peut servir de pièce d’appoint à longueur d’année », explique Pierre Martin, architecte et associé principal chez PMA Architectes.

Appartements atypiques

  • Les appartements auront une profondeur atypique de 50 pieds.

    ILLUSTRATION ÉTIENNE DUMAS, ARTISTE 3D

    Les appartements auront une profondeur atypique de 50 pieds.

  • Les hauts plafonds bétonnés ont été mis à profit.

    ILLUSTRATION ÉTIENNE DUMAS, ARTISTE 3D

    Les hauts plafonds bétonnés ont été mis à profit.

  • Les lofts offrent un look plutôt industriel.

    ILLUSTRATION ÉTIENNE DUMAS, ARTISTE 3D

    Les lofts offrent un look plutôt industriel.

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Autre contrainte pour l’aménagement intérieur : les dimensions inhabituelles du bâtiment. « Un logement normal est d’une profondeur de 30 pieds. Ceux-là seront profonds de 50 pieds », explique Jean-Michel Simard.

Pour faire entrer un maximum de lumière naturelle, les architectes ont maximisé la superficie des fenêtres, tout en minimisant les cloisons intérieures. Ils ont mis à profit les hauts plafonds bétonnés d’une hauteur allant jusqu’à 14 pieds, en laissant apparents les conduits de plomberie et de ventilation plutôt que de les cacher dans de faux plafonds.

ILLUSTRATION ÉTIENNE DUMAS, ARTISTE 3D

Pour maximiser la luminosité, de grandes fenêtres et des cloisons vitrées ont été privilégiées.

Le résultat ? De grands lofts au look industriel. « Ils se démarquent des appartements d’inspiration scandinave, très épurés, qui sont construits actuellement », affirme M. Simard.

Les espaces communs feront écho à l’histoire de l’édifice, assure Mme Toulouse-Joyal. « Nous faisons évidemment des clins d’œil aux années 1970. Nous mettons en valeur des luminaires de ces années-là, du bois d’acajou, des caissons aux formes alvéolées au plafond… Nous nous sommes amusés beaucoup avec des tissus, des matériaux, des motifs très modernes. Je pense que ça va être fort amusant pour les futurs locataires. »

Le chantier, amorcé en juin 2023, nécessitera encore une année de travail. Les premiers appartements devraient être prêts pour le 1er juillet 2025, assure Jean-Michel Simard.

Redonner un second souffle à cet édifice patrimonial procure une grande satisfaction, confient les deux architectes. « Je crois que les citoyens de Québec seront contents qu’on lui redonne vie, tout en gardant sa signature architecturale », conclut Sandrine Toulouse-Joyal.