Les talibans, peu sensibles aux critiques internationales, multiplient les mesures restreignant les droits des femmes en Afghanistan et créent du même coup, selon les Nations unies, un « régime d’apartheid fondé sur le genre » auquel il est pratiquement impossible de se soustraire.

Ce qu’il faut savoir

Les talibans, qui ont repris le pouvoir à l’été 2021, continuent de multiplier les mesures restreignant les droits des femmes.

Leur effet cumulatif est si dommageable qu’il est opportun, au dire d’un rapporteur spécial des Nations unies, de parler d’un « régime d’apartheid basé sur le genre ».

La situation n’a pas empêché l’organisation internationale de tenir en début de semaine à Doha un sommet avec des dirigeants talibans qui excluait toute discussion sur la situation des femmes dans le pays.

Les militantes qui défient les restrictions ou osent manifester pour dénoncer la situation s’exposent à la prison et à la torture, incluant les violences sexuelles, puisque de nombreux cas de cette nature ont été documentés récemment.

Le quotidien britannique The Guardian a révélé mercredi l’existence d’une vidéo montrant une militante afghane ayant été violée à plusieurs reprises par deux hommes armés dans une prison étatique.

Les agresseurs, qui filmaient la scène, ont pris soin de bien montrer le visage de la victime dans le but de s’en servir subséquemment pour la contraindre au silence à sa sortie de détention.

La femme, qui a pu quitter l’Afghanistan par la suite, a été avisée par le régime que les images seraient mises en ligne sur les réseaux sociaux et envoyées à sa famille si elle persistait à critiquer les talibans de l’étranger.

D’autres femmes qui ont été appréhendées pour avoir contrevenu aux strictes restrictions vestimentaires imposées par le régime ont aussi affirmé avoir été soumises à des sévices sexuels.

Dans un récent compte rendu, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de la personne en Afghanistan, Richard Bennett, relevait que la violence sexuelle figure parmi les méthodes de torture utilisées dans les prisons contre des femmes et des filles.

M. Bennett a prévenu que les talibans ont « institutionnalisé un système d’oppression » des femmes qui représente une attaque contre la population civile suffisamment grave pour représenter un « crime contre l’humanité ».

En l’absence d’une action concertée de la communauté internationale, le système est appelé, dit-il, à se renforcer « étant donné que ceux qui y résistent subissent une violence de plus en plus intense » et que « les modèles d’identification féminins et la notion d’indépendance des femmes » disparaissent.

Virage restrictif

Les talibans, qui sont revenus au pouvoir à l’été 2021 après le retrait des forces occidentales déployées en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, s’étaient efforcés dans un premier temps de présenter un visage plus modéré que lors de leur premier passage à la tête du pays.

Ils ont néanmoins progressivement rétabli nombre de restrictions ciblant les femmes et accéléré le pas alors que l’attention internationale était mobilisée par d’autres crises.

Uniquement entre juin 2023 et mars 2024, plus d’une cinquantaine de règlements limitant les droits des femmes ont été introduits, ciblant tous les domaines d’activité.

PHOTO EBRAHIM NOROOZI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des élèves afghanes dans une classe du primaire de Kaboul, en mars 2023. Les femmes n’ont aujourd’hui plus accès à l’école secondaire.

L’accès à l’école secondaire et à l’enseignement universitaire a été retiré pour les femmes, limitant leur possibilité d’acquérir les compétences requises pour obtenir un emploi rémunérateur et assurer leur autonomie.

Le droit au travail a parallèlement été réduit, empêchant notamment les femmes d’œuvrer pour des organisations non gouvernementales locales ou étrangères. Même les emplois privés ont été restreints, le régime imposant notamment la fermeture des salons de beauté.

L’accès physique au lieu de travail et les déplacements quotidiens ont été rendus difficiles avec l’exigence que les femmes soient accompagnées par un homme de leur famille.

La fragilisation économique résultante favorise les abus, d’autant plus que les talibans ont démantelé les institutions qui avaient été mises en place pour protéger les victimes de violence conjugale.

Les juges et les procureurs spécialisés ont été remplacés par des mollahs sans expérience ou compétence juridique.

Sommet sans femme

La gravité de la situation des femmes dans le pays n’a pas empêché les Nations unies de tenir, il y a quelques jours à Doha, un sommet sur l’Afghanistan auquel plusieurs représentants du régime ont participé.

Les talibans ont exigé qu’aucune femme ne soit présente et que la question du droit des femmes ne soit pas discutée, suscitant de vigoureuses critiques des organisations de défense des droits de la personne.

Amnistie internationale, qui avait publié en 2022 un rapport fustigeant la « mort au ralenti » des Afghanes, a prévenu avant le sommet qu’une telle concession constituerait un « précédent extrêmement préjudiciable ».

M. Bennett a noté dans la même veine qu’une « collaboration de circonstance » avec les talibans risquait d’être perçue « comme un signe de tolérance » à l’égard de leurs excès.

Roza Otounbaïeva, qui est cheffe de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, a assuré de son côté qu’il était important pour la communauté internationale « d’entamer un dialogue direct avec le régime ».

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, lors d’une conférence de presse à Kaboul

Elle a indiqué que la démarche pourrait éventuellement faire évoluer la situation et permettre aux femmes afghanes de prendre part à de futurs pourparlers.

Selon l’Agence France-Presse, le porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, a salué « l’esprit de coopération » manifesté par les Nations unies lors d’une conférence de presse tenue mercredi à Kaboul.

« Nous avons indiqué aux pays participants que les problèmes internes de l’Afghanistan – à savoir ceux qui concernent sa population et ses femmes – sont les problèmes de l’Afghanistan », a-t-il noté.