Qu’ils soient des militants de La France insoumise ou des supporters de « l’union des droites », les Niçois s’entendent sur une chose : ils sont fâchés bleu, blanc, rouge contre le président Emmanuel Macron. Pour le reste, les points de convergence sont rares.

(Nice) Un grand sourire aux lèvres, Madjid Bensonata tend un dépliant faisant la promotion d’un candidat de la gauche à ceux qui montent à bord du tramway devant le Palais des expositions de Nice, un carrefour plus occupé de la ville balnéaire qui semble encore endormie en cette fin de juin frisquet.

« Ça ne se passe pas toujours bien. Il y a une femme qui a déchiré le dépliant devant moi en disant : “Je veux Marine [Le Pen] !” On n’aurait jamais vu ce genre d’agressivité avant », dit l’homme de 48 ans qui en a pourtant vu d’autres.

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Saveria Cecchi et Madjid Bensonata font du bénévolat pour soutenir Olivier Salerno, le candidat de l’alliance de la gauche, le Nouveau Front populaire, à Nice.

Depuis qu’il s’est joint au mouvement des gilets jaunes en 2018 pour protester contre le coût de la vie et une myriade d’autres mesures adoptées par le gouvernement Macron, cet éboueur originaire du nord de la France mange et boit de la politique. « Pendant les manifestations des gilets jaunes, je vivais carrément sur la place Saint-Isidore. Je rentrais juste à la maison après le travail pour aller me changer », dit-il.

Les Gaulois contre-attaquent

Ce militantisme n’a rien fait pour calmer sa colère. Au contraire. « Macron nous a traités de Gaulois réfractaires et de moins que rien », dénonce le grand gaillard grisonnant qui porte un t-shirt affichant l’hymne protestataire du groupe HK et Les Saltimbanks, On lâche rien.

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Olivier Salerno, candidat du Nouveau Front populaire, discute avec des journalistes de la région niçoise.

Et justement, Madjid Bensonata n’a envie de rien lâcher à la veille des élections législatives, et ce, même s’il est conscient que le candidat qu’il met de l’avant, Olivier Salerno, a deux-trois pics des Alpes-Maritimes à escalader pour remporter la mise. Issu du mouvement La France insoumise créé par le politicien d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, M. Salerno se présente sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP), une coalition de partis de gauche – communiste, socialiste, écologiste en plus des Insoumis – qui se serrent les coudes dans le but de « faire barrage à l’extrême droite » et aux « politiques xénophobes ».

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Olivier Salerno attend que des électeurs arrivent à la station de tram pour les inciter à voter pour lui et la gauche aux élections.

Dans les derniers sondages nationaux, le Nouveau Front populaire arrive deuxième derrière le Rassemblement national, d’extrême droite, dans les intentions de vote. À Nice, c’est un peu plus compliqué. Le petit roi politique de la ville, Éric Ciotti, député depuis 17 ans, a pris tout le monde par surprise en décidant de s’allier avec le Rassemblement national pour ces élections. Son propre parti de droite, Les Républicains, s’est depuis scindé en deux.

Malgré ça, mercredi, le journal Nice-Matin a prédit la possible victoire d’Éric Ciotti dès le premier tour, dimanche.

« Nice, c’est le laboratoire de l’extrême droite. Alors, on fait beaucoup d’éducation populaire, même si on sait que ça va être compliqué pour la gauche aux urnes », s’exclame Madjid Bensonata, en tendant un autre dépliant.

Nice en bref

• Population : 1 million

• Parti élu aux législatives de 2022 (1re circonscription) : Les Républicains (LR)

• Parti dominant aux européennes de 2024 : Liste Jordan Bardella et Marine Le Pen (RN)

• Pourquoi on y est ? À Nice, les droites s’affrontent. En étant tout près de la frontière avec l’Italie, la ville est aux premières loges de l’arrivée des demandeurs d’asile et des mineurs non accompagnés.

Ses compagnons de militantisme et lui peuvent à peine imaginer à quoi ressemblera la France si la droite de la droite l’emporte au deuxième tour du 7 juillet et met de l’avant son programme qui écarterait les Français ayant une double citoyenneté d’emplois de l’État jugés sensibles. « Je ne suis affiliée à aucun parti, mais je suis là aujourd’hui parce que j’ai peur », glisse Saveria Cecchi, universitaire spécialisée en gestion, qui prête elle aussi main-forte au candidat Olivier Salerno.

La levure de la droite dure

Dans sa boulangerie de la rue de France, à une longueur de baguette de la Méditerranée, Frédéric Roy a peur, lui aussi. Pas de l’extrême droite, mais de son contraire.

« Depuis qu’il a été élu, Emmanuel Macron a tellement mal agi qu’il a dissous la gauche socialiste et la droite républicaine. Au milieu, il ne reste que lui et quelques alliés. Nous sommes donc face à deux blocs aux extrêmes. Dans l’extrême gauche, il y a des gens bien, mais il y a aussi des gens complètement fous, qui se mêlent du conflit israélo-palestinien, se promènent avec des drapeaux en soutien à la Palestine au détriment d’Israël. C’est un danger et ça n’a rien à faire dans nos élections à nous. Et pour faire face à ça, il n’y a que le bloc de droite. Alors mon choix est fait », affirme-t-il, mettant l’entrevue sur pause pendant qu’il sert quelques clients venus acheter ses croissants, ses pains au chocolat et ses brioches pur beurre, connus dans toute la région.

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Même s’il travaille de 3 h du matin à 19 h presque tous les jours, Frédéric Roy trouve le temps de s’intéresser à la politique.

Le boulanger de 52 ans au franc-parler est tout aussi célèbre que ses produits. En janvier 2022, il a été à la tête d’une coalition de quelque 5000 boulangers artisanaux qui sont descendus à Paris pour dénoncer notamment la montée en flèche des coûts de l’électricité dans la foulée de la guerre en Ukraine. Ils se sont campés devant les bureaux du ministre de l’Économie et ont réclamé une rencontre.

Tout ce qu’on a obtenu, c’est le mépris du gouvernement. Et c’est pour ça qu’il y a tant de colère en France aujourd’hui.

Frédéric Roy, boulanger à Nice

Il espère que les choses vont changer si « l’union de la droite » entre le Rassemblement national et les supporters d’Éric Ciotti l’emporte. D’ailleurs, ce dernier a rendu visite à la boulangerie de Frédéric Roy quelques heures avant le passage de La Presse, pour s’assurer de son soutien. Il en a fait l’étalage sur les réseaux sociaux.

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Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella

Dans le programme mis de l’avant par Jordan Bardella, actuel président du Rassemblement national, et Éric Ciotti, il y a beaucoup de promesses qui plaisent au boulanger. La diminution d’une taxe sur l’énergie et le durcissement des politiques migratoires. « Soit on a les moyens d’accueillir des gens et on y consacre des ressources, soit on ferme les portes. Et avec le gouvernement Macron qui a accumulé des dettes de 1000 milliards d’euros, on n’a plus la capacité de le faire », dit-il, en rappelant que Nice est une des plus grandes portes d’entrée des migrants irréguliers et plus spécifiquement de migrants mineurs qui arrivent non accompagnés.

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La promenade des Anglais, à Nice

A-t-il peur d’une guerre civile, comme l’a prédit le président Macron cette semaine, invitant les Français à ne pas voter pour les extrêmes ? « Emmanuel Macron est un pompier pyromane. Il a mis le feu et nous dit qu’il va l’éteindre. La guerre civile dont il parle, on la vit depuis sept ans. Depuis qu’il est élu. »

Une guerre des idées qui, pour le moment, ne semble pas encore entraver les déambulations estivales des Niçois et des touristes sur la promenade des Anglais.

L’immigration en France

« L’immigration est hors de contrôle. » « Nous avons excédé notre capacité d’accueil. » Voilà le message que transmet la droite radicale au sujet de l’immigration en France. Et que disent les chiffres ? En 2023, la France a admis 323 000 résidents temporaires (étudiants, motif familial, travailleurs), un record pour le pays. Le pays a aussi reçu 145 000 demandes d’asile, ce qui est moins que la moyenne européenne. Par ailleurs, environ une personne sur dix en France est née à l’extérieur du pays, soit proportionnellement deux fois moins qu’au Canada.