(Toulon) Au marché du Mourillon, en plein cœur de Toulon, un couple s’approche de Sébastien Soulé, le candidat du Rassemblement national aux élections législatives dans la ville de la Côte d’Azur. Après des paroles enthousiastes et des tapes dans le dos, ils demandent à se faire prendre en photo avec le candidat. Juste devant les étals d’olives et de poisson.

Des amis ? « Non, je ne les avais jamais rencontrés, mais ils ont beaucoup aimé le film BAC Nord et ils nous soutiennent », répond le policier de 47 ans en souriant.

BAC Nord, c’est le film du réalisateur Cédric Jimenez qui est basé sur son histoire. BAC Nord, c’est aussi le nom de la brigade anticriminalité à laquelle Sébastien Soulé a appartenu pendant neuf ans.

Toulon en bref

• Population : 600 000

• Parti élu aux législatives de 2022 (1re circonscription) : La République en marche (Macron)

• Parti dominant aux européennes de 2024 : Liste Jordan Bardella et Marine Le Pen (RN)

• Pourquoi on y est ? C’est la grande agglomération française qui a montré le plus grand soutien envers le Rassemblement national lors des récentes élections européennes. C’est aussi à Toulon qu’un premier maire d’extrême droite a été élu.

En 2012, après avoir réussi une grande opération policière contre un réseau de narcotrafiquants à Marseille, Sébastien Soulé et 11 de ses collègues ont été arrêtés et accusés de corruption, de racket et de trafic de drogue.

Alors jeune papa, Sébastien Soulé a passé 69 jours derrière les barreaux, en isolement. Libéré en décembre 2012, il n’a été blanchi de tout soupçon qu’une décennie plus tard. Le film qui s’inspire de cette saga – et dans lequel le personnage de Sébastien Soulé a été rebaptisé Yassin – a été présenté au Festival de Cannes avant la fin du procès et connaît un regain de popularité sur Netflix depuis le mois de mai. M. Soulé a aussi récemment publié un livre sur toute l’affaire.

« Une inversion des valeurs »

Après sa libération de prison, muté à Toulon, Sébastien Soulé a été recruté par le syndicat des policiers pour défendre ses collègues. « Au vu de tout ce que j’avais vécu, le syndicat est venu me chercher pour aider les autres policiers quand ils ont des problèmes, raconte-t-il aujourd’hui. Dans ce travail, on se rend compte qu’il y a beaucoup de souffrance et un manque de reconnaissance. En fait, au cours des 25 dernières années, j’ai vu une inversion des valeurs. Quand je suis rentré dans la police, il y avait un profond respect du métier. Aujourd’hui, nous sommes devenus des cibles. Ils nous harcèlent jusque dans nos maisons », dit-il, en aparté de son activité de campagne, un café à la main.

Qui sont ces « ils » ? « Les jeunes et les islamo-gauchistes », résume-t-il.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE.

La ville de Toulon, dans le sud de la France, abrite une des plus grandes bases navales d’Europe.

« La société [française] s’est ensauvagée », continue-t-il, convaincu que la France a un immense problème de sécurité, et ce, même si les plus récentes statistiques démontrent que le taux de criminalité recule dans l’Hexagone. « On peut leur faire dire ce qu’on veut, aux statistiques ! », rétorque-t-il, le sourire aux lèvres et avec son accent du Midi.

Atomes crochus

Son discours est de la musique aux oreilles du Rassemblement national. Le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, qualifié d’extrême droite ou de droite radicale, a fait de la sécurité un thème central de sa campagne électorale.

Le parti propose notamment d’imposer des peines minimales pour certains crimes. Il veut aussi accorder la présomption de légitime défense aux policiers qui utilisent leur arme.

Quand un policier utilise son arme en ce moment, on lui prend immédiatement et on le met en garde à vue. Pour avoir fait son travail. Ça n’a pas de sens !

Sébastien Soulé, candidat du Rassemblement national à Toulon

La recrue

Quand Laure Lavalette, députée sortante du Rassemblement national dans une autre circonscription de Toulon, l’a approché pour qu’il se présente, il a décidé de se lancer.

Même s’il est un néophyte en politique. Même si la campagne électorale, qui s’est terminée vendredi, n’aura duré que deux semaines. « C’est bien d’alerter sur ce qui ne va pas, mais à un moment, il faut que ça bouge, dit-il. Ma candidature, c’est un peu ma réplique pour ce que j’ai vécu dans la BAC Nord », lance celui qui dit voter Rassemblement national depuis quelques années à peine.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

Sébastien Soulé, candidat du Rassemblement national, se fait prendre en photo par des sympathisants à Toulon. La photographe est la députée sortante du Rassemblement nationale, Laure Lavalette, venue prêter main-forte à sa recrue lors d’un dernier événement de campagne.

Et comment vit-il avec l’étiquette d’« extrême droite » que porte le parti rebaptisé en 2018, mais qui peine à faire oublier qu’il est l’héritier du Front national fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen et d’anciens sympathisants nazis ? « Ce que je vois, c’est que les tags qui sont faits sur les murs avec des symboles nazis, ils ne viennent pas de nous, mais de gens qui veulent nous discréditer », dit Sébastien Soulé. Il n’hésite pas cependant à faire un lien direct entre insécurité et immigration, qui, selon lui, « submerge » la France.

Enthousiasme toulonnais

Lors de l’activité de campagne à laquelle nous avons assisté, le candidat n’a pas eu à défendre avec ferveur les idées du parti. Il a reçu beaucoup plus de sourires et de poignées de main que de regards réprobateurs.

Ce n’est pas une immense surprise. Aux élections européennes du 9 juin, Toulon est l’agglomération urbaine française où le Rassemblement national a fait le meilleur score, avec 36 % des voix accordées à la liste coiffée par Jordan Bardella, le jeune président du parti.

Est-ce facile pour autant ? Quand une électrice est venue serrer la main de Sébastien Soulé en lui disant « je ne veux plus de femmes voilées ! », le nouveau politicien est resté bouche bée. C’est un jeune militant du RN qui l’accompagnait qui est venu à sa rescousse. « Vous savez, madame, nous défendons le droit à la religion de chacun », a répondu le jeune homme. Un ange est passé.

L’insécurité en France

« Le taux d’homicides a été multiplié par quatre en 15 ans. » Cette statistique a fait débat en France après que Marine Le Pen l’a lancée dans un discours sur « l’insécurité qui submerge le pays ». Que disent les chiffres ? L’Agence France-Presse, qui a étudié les diverses statistiques disponibles, a conclu que le taux d’homicides en France est relativement stable depuis 15 ans et atteint environ 1000 par année. Par ailleurs, les crimes et délits sont à la hausse, mais la violence grave, elle, a reculé depuis les années 1980. Les experts notent qu’il est difficile d’obtenir des statistiques éloquentes dans ce domaine, puisque les méthodes de mesure changent régulièrement. Cela dit, dans les sondages, on note une hausse marquée du sentiment d’insécurité depuis 2022.