Les élections européennes devraient confirmer la progression de la droite dure et populiste. Une tendance qui s’explique.

En première place

Si la tendance se maintient, le Parlement européen devrait pencher lourdement à droite – et même très à droite – après les prochaines élections européennes, qui se déroulent du 6 au 9 juin. Selon une étude publiée fin janvier par le Conseil européen des relations internationales (CERI), les partis de la droite populiste et radicale, voire extrême, sont susceptibles de l’emporter dans neuf des 27 États membres (Autriche, Belgique, République tchèque, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Slovaquie) et d’arriver en deuxième ou troisième place dans neuf autres pays (Bulgarie, Estonie, Finlande, Allemagne, Lettonie, Portugal, Roumanie, Espagne, Suède).

Une montée qui s’explique

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André Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega

« Si on remonte 20 ans en arrière, l’extrême droite européenne se limitait principalement à la France, à l’Italie et à l’Autriche. Aujourd’hui, on la retrouve même dans un pays comme le Portugal. » Expert de la droite radicale, Jean-Yves Camus constate comme tout le monde l’irrésistible progression de l’extrême droite en Europe. Mais il serait erroné, selon lui, de réduire cette montée à la question de l’immigration. Si ce sujet demeure leur principal fonds de commerce, les partis de la droite radicale exploitent désormais d’autres formes de ressentiment, liées à la crise du coût de la vie, aux inégalités sociales et économiques, au sentiment de déclassement et d’abandon par les élites politiques, à la frustration de voir disparaître une certaine idée de l’Europe traditionnelle (et idéalement chrétienne). Jean-Yves Camus note cependant que chaque pays a ses spécificités. Les succès de l’extrême droite sont en réalité le fruit d’une « convergence » et d’une « conjoncture ».

60 sièges de plus pour la droite dure

Si les sondages se confirment, le Parti populaire européen (PPE, centre droit) restera le premier groupe politique au sein du Parlement européen avec environ 175 sièges sur 720, tandis que les Socialistes et démocrates européens (S&D, centre gauche) et les Verts accuseront un recul d’au moins 14 sièges. De leur côté, les deux groupes de la droite dure, les Conservateurs et réformistes européens (CRE) et Identité et démocratie (ID, qui abrite notamment le Rassemblement national de Marine Le Pen), pourraient respectivement passer de 67 à 85 sièges et de 58 à 98 sièges, un bond considérable.

Un plan vert fragile

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Des militants écologistes tiennent une banderole où l’on peut lire en allemand « Les élections européennes sont des élections sur le climat », lors d’une manifestation à Berlin, le 31 mai.

Cette droitisation du Parlement européen pourrait avoir des conséquences sur les politiques de l’UE. Outre l’immigration (voir autre texte), la question de la guerre en Ukraine, du renforcement militaire européen, de l’élargissement de l’Union européenne (la Moldavie et l’Ukraine sont sur la liste d’attente) seront possiblement au cœur des débats. Sans oublier l’environnement, qui s’annonce comme un enjeu particulièrement important. Plusieurs partis de la droite conservatrice, radicale ou populiste sont sceptiques quant au réchauffement climatique, souhaitent moins d’écologie, moins de taxes sur les véhicules polluants, moins de restrictions pour l’agriculture. Pilier du dernier quinquennat, le Pacte vert, ou Green Deal, visant à garantir la transition écologiste et économique du continent, pourrait ainsi être détricoté sous la pression des partis populistes. « L’écologie divise, résume Jean-Yves Dormagen, politologue et responsable de la maison d’enquête Cluster17. C’est vécu comme une menace par beaucoup de citoyens. Ils ont l’impression qu’on va leur faire payer la transition, qu’on va s’en prendre à leur mode de vie. Que ça va coûter cher. Et qu’au final, ils vont aboutir à une régression sociale et économique. »

Une prédiction alarmiste

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Le président du PPE, Manfred Weber

Selon Ditte Brasso Sørensen, analyste chez Think Tank Europa à Copenhague, il ne fait « aucun doute » que le Parlement européen se « déplacera encore un peu plus vers la droite ». Mais elle hésite avant de tirer des conclusions « alarmistes ». Tout dépendra en réalité des coalitions entre les divers groupes parlementaires. Début mars, le président du PPE, Manfred Weber, a affirmé qu’il n’excluait pas des alliances « sélectives » avec des partis du groupe ERC (qui abrite entre autres Fratelli d’Italia, de la première ministre italienne anti-immigration Giorgia Meloni), les seuls critères étant de rester pro-Europe, pro-Ukraine et pro-État de droit. Mme Sørensen pense toutefois que ces « partenariats » seront très circonstanciels, et s’attend plutôt au retour d’une « grande coalition » entre les groupes PPE (centre droit), S&D (centre gauche) et Renew (centre), qui assurerait plutôt une forme de continuité au sein de l’UE. « Ce sera une majorité plus faible, mais une majorité quand même. » Quant au groupe ID, il n’aura que « peu d’influence » malgré ses 40 sièges supplémentaires, étant toujours ostracisé au Parlement, en raison de la présence de certains partis jugés extrêmes comme le Rassemblement national et l’AfD allemand, dont les positions anti-immigration (préférence nationale, remigration) sont assez radicales.