Ouvertement anti-immigration, le parti Reform UK vient jouer sur les platebandes des conservateurs.

« Il est temps de redonner l’Angleterre aux Anglais. »

Cette phrase punch nous est servie début juin, dans les rues de Londres, en marge d’une manifestation ultranationaliste devant le parlement de Westminster. L’homme qui nous parle a le crâne tondu, des tatouages sur ses gros bras, un drapeau anglais en guise de cape. Il ne souhaite pas donner son nom, mais n’hésite pas à affirmer que l’immigration est devenue un vrai problème dans son pays. C’est pourquoi il a l’intention de voter pour le parti Reform UK, le 4 juillet.

Menée par Nigel Farage, figure emblématique de la droite nationaliste et ancien leader du Brexit Party et du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), cette formation politique marginale pourrait bien causer quelques surprises lors des élections législatives britanniques, avec un programme assez radical.

Sans être ouvertement xénophobe, Reform UK plaide pour un « gel » de l’immigration « non essentielle » au Royaume-Uni, et un contrôle plus musclé des frontières, en particulier contre les « petits bateaux » (small boats) de migrants qui traversent la Manche depuis la France, sans oublier une sécurité accrue, avec l’embauche de 40 000 nouveaux policiers pour le territoire.

Quant à Nigel Farage, il adopte la même posture identitaire qui l’avait révélé lors de la campagne pour le Brexit en 2015-2016. Lors du lancement de son programme à la mi-juin, le politicien de 60 ans a notamment déclaré que la Grande-Bretagne était « cassée » et en « déclin culturel », qu’elle ne se reconnaissait plus, et qu’il fallait agir pour « rattraper le temps perdu ».

On serait tenté de faire des parallèles avec le Rassemblement national de Marine Le Pen en France, qui joue lui aussi la carte identitaire anti-immigration. Mais les experts interrogés hésitent à dire que la formation britannique appartient à l’extrême droite.

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Nigel Farage courtise en premier lieu les électeurs déçus par les conservateurs.

Pour Mark Wickham-Jones, professeur de science politique à l’Université de Bristol, Reform UK serait plutôt « un parti populiste avec une vision particulière sur l’immigration, qui peut parfois générer de la xénophobie… » Maître de conférence en civilisation britannique, à l’Université Sorbonne-Nouvelle, Thibaud Harrois va dans le même sens. Reform UK est, à ses yeux, « un parti populiste qui joue sur l’exaspération des gens », avec l’idée « de proposer des solutions simplistes ».

Quoi qu’il en soit, ce discours d’« exaspération » capte une partie de l’électorat britannique plus réactionnaire, désenchantée par des conservateurs fatigués et jugés trop mous sur les enjeux qui la préoccupent. Sa progression est d’ailleurs impressionnante, puisqu’un sondage YouGov publié mi-juin lui prédit 15 % des intentions de vote, à peine quelques points derrière les tories.

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Des partisanes du Reform UK, lors d’un rassemblement politique à Clacton-on-Sea, le 18 juin

Cet appui ne se traduira pas nécessairement en nombre de sièges en raison du système électoral britannique où les électeurs votent pour élire le député de leur circonscription (scrutin uninominal majoritaire à un tour), comme au Canada. Les prédictions les plus optimistes accordent sept députés à la formation de droite radicale. D’autres estimations ne lui en donnent qu’un seul, voire aucun. Avec un humour faussement modeste, mais décidément très british, Nigel Farage est d’ailleurs le premier à admettre qu’il ne sera pas premier ministre cette fois, même si des projections le donnent gagnant dans sa circonscription de Clacton, dans l’est du pays.

En revanche, Reform UK pourrait bien jouer de mauvais tours aux conservateurs le 4 juillet, en divisant le vote à droite, ce qui pourrait priver les tories de quelques précieuses circonscriptions.

Un camouflet de plus pour le parti du premier ministre sortant Rishi Sunak, qui ne cesse depuis quelques années de se déporter à la droite de la droite pour éviter de perdre une part de son électorat aux mains du Reform.

Le manifestant que nous avons rencontré dans la rue va même plus loin. Selon lui, ce n’est qu’une question de temps avant que Reform UK ne devienne le principal parti de droite britannique et s’impose comme la solution de rechange principale face aux travaillistes. « Vous allez voir, nous allons prendre le pouvoir aux prochaines élections, dans cinq ans », déclare notre interlocuteur.

Réaliste ? Thibaud Harrois en doute. Selon lui, Reform UK est voué à demeurer un parti de l’opposition, marginal en raison de sa radicalité. Il est vrai, en revanche, qu’on peut se questionner sur l’avenir du Parti conservateur, dont la déroute s’annonce complète.

« Quelle ligne [conservatrice] va gagner après ces élections ? Il y aura certainement un changement de leader, une bataille sur la ligne du parti pour l’avenir. Est-ce que c’est un parti qui va pencher plutôt vers sa droite et adopter une ligne proche du Reform, ou va-t-il essayer de remettre en place des valeurs centristes comme valeurs principales du parti et se donner une nouvelle image ? C’est là toute la question… »