(Paris) Qui gouvernera la France à l’issue, très incertaine, des élections législatives de dimanche ? La question hante les esprits, tandis que l’idée d’un gouvernement provisoire gérant les affaires courantes fait son chemin, quel que soit le résultat du second tour.

« Aujourd’hui le péril, c’est une majorité dominée par l’extrême droite et ce serait un projet catastrophique », a prévenu le premier ministre Gabriel Attal, chef de la campagne des partisans du président Emmanuel Macron, sur la chaîne publique France 2 vendredi soir.

À deux jours du dénouement de ce scrutin historique, l’extrême droite espère remporter la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale. La campagne a révélé la grande fragmentation d’un des pays piliers de l’Union européenne, après sept années de présidence d’Emmanuel Macron.

Et la France pourrait de facto s’endormir dimanche sans la moindre idée de qui la gouvernerait, à un mois des Jeux olympiques de Paris (26 juillet –11 août).

Depuis la décision surprise du président français de dissoudre l’Assemblée après sa débâcle aux Européennes du 9 juin, la rapide recomposition politique du pays a confirmé la montée en puissance du Rassemblement national (RN, extrême droite), qui espère accéder au pouvoir la semaine prochaine.

La crainte d’un gouvernement dirigé par l’extrême droite, qui serait une première en France depuis la Seconde Guerre mondiale, a toutefois conduit à la formation, dans la douleur, d’un nouveau « front républicain » avec les partis de droite, centre droit et gauche pour contrer les candidats RN au second tour.

La cheffe de file de l’extrême droite Marine Le Pen a fustigé la mise en place d’un « parti unique » réunissant « ceux qui veulent conserver le pouvoir contre la volonté du peuple ». Et les « leçons de morale » du capitaine de l’équipe de France de football Kylian Mbappé, qui avait appelé la veille à « voter pour le bon côté ».

« Vous avez vu la déclaration de Mbappé ? Il a appelé le peuple français à ne pas permettre que les fascistes, les nazis et l’extrême droite gouvernent la France, car il sait quels sont les problèmes quand les extrémistes sont au pouvoir », s’est lui enthousiasmé le président brésilien de gauche Luiz Inacio Lula da Silva sur X.

L’extrême droite « a le potentiel de conduire à une déstabilisation plus large à la fois de l’Europe et du cours même de l’intégration européenne » : « nous sommes donc confrontés à un danger existentiel », a jugé de son côté vendredi l’ancien premier ministre grec Alexis Tsipras, lors d’une table ronde en France.

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Place Albert 1er à Montpellier, le 4 juillet 2024, à l’approche du second tour des élections législatives françaises : lors d’un rassemblement, une femme lance une balle vers des canettes représentant les dirigeants l’extrême droite.

L’inconnue des abstentions

Parmi les inconnues figure le nombre d’abstentionnistes. « Avec les désistements, celui ou celle pour qui les électeurs avaient l’intention de voter est passé à la trappe », explique à l’AFP Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite au Centre de recherche politique de Sciences Po (Cevipof).  

Certains « vont se dire : “non, dans ces conditions, c’est pas possible” ».

Trois sondages donnaient vendredi au parti d’extrême droite et à ses alliés une majorité relative, mais en érosion (175 à 230 sièges), devant l’alliance de gauche du Nouveau Front populaire (145-190) et le camp présidentiel (118-162).  

Des écarts qui témoignent d’une incertitude immense, d’autant que la participation s’annonce la plus forte depuis 1997, avec des procurations 3,6 fois plus nombreuses qu’en 2022, selon le ministère de l’Intérieur.

« Soit le Rassemblement national obtient une majorité absolue et je peux, dès dimanche, engager le projet de redressement que je porte […]. Ou alors le pays est bloqué », a asséné jeudi soir le président du RN Jordan Bardella, 28 ans, qui aspire à devenir premier ministre.

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Jordan Bardella

En attendant, Emmanuel Macron a chargé un ancien ministre de « regarder les hypothèses » de l’après 7 juillet, « et ce qu’elles impliquent techniquement, institutionnellement », selon deux sources proches de l’Élysée.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a, lui, rappelé que « la coutume républicaine » après des législatives voulait que « le gouvernement démissionne ». Mais si le président « me demande de rester quelques heures, quelques jours de plus, le temps de former un gouvernement, je le ferai ».

51 agressions physiques

L’hypothèse d’une coalition de la gauche à la droite républicaine, mais sans la gauche radicale de La France insoumise (LFI), revient sans cesse.  

« Il faudra que les responsables se conduisent en adultes [et] que chacun […] accepte de faire un pas vers l’autre », a estimé le patron du MoDem (centre) François Bayrou, évoquant un « gouvernement d’entente républicaine ».

La fracture fondamentale du paysage politique national a donné lieu à une campagne violente, avec agressions physiques de militants, menaces verbales, règlements de comptes politiques et libération de la parole raciste. « 51 candidats, suppléants ou militants » ont été « agressés physiquement » ces derniers jours, selon Gérald Darmanin.

Malgré sa longue stratégie de normalisation, le RN a été rattrapé par des dérapages racistes et antisémites de plusieurs de ses candidats, que le parti a tenté de minimiser en parlant de quelques « brebis galeuses » ou de « maladresses ».

 « Quand c’est un candidat sur trois […], ce n’est pas quelques brebis galeuses, c’est tout le troupeau qui est malade », a raillé Gabriel Attal.

Signe du climat tendu, le gouvernement a annoncé que « 30 000 policiers et gendarmes dont 5000 à Paris et sa banlieue » seraient mobilisés dimanche pour la soirée du second tour.