Qui est Keir Starmer, nouveau premier ministre britannique ?

On le dit peu charismatique, trop prudent, un peu terne. Rien d’un homme politique flamboyant. Mais il est peut-être exactement ce dont le Royaume-Uni avait besoin, après 14 ans d’un règne conservateur tumultueux.

Comme prévu, Keir Starmer, 61 ans, deviendra le nouveau premier ministre britannique – et le premier travailliste à occuper ce poste depuis 2010 – au terme d’élections législatives largement remportées jeudi par le Labour Party avec une majorité écrasante de plus de 400 sièges sur 650.

Cet accomplissement était loin d’être un acquis pour cet avocat au style austère et aux cheveux grisonnants, arrivé en politique sur le tard. Il y a trois ans, il avait même failli tout lâcher après une défaite humiliante de sa formation lors d’une élection partielle à Hartlepool. Mais sa patience, son image responsable et sa stratégie de recentrage ont fini par payer.

PHOTO CLAUDIA GRECO, REUTERS

Keir Starmer et sa femme, Victoria, arrivant jeudi au bureau de vote du quartier de Kentish Town à Londres

Fils d’un outilleur et d’une infirmière, tous deux militants socialistes, prénommé Keir en hommage au premier président du Labour, Keir Hardie, Starmer a grandi dans une petite maison dans la région de Londres.

Des origines plutôt modestes qu’il n’a pas hésité à mettre de l’avant pendant la campagne, afin de casser l’image de représentant typique de l’élite londonienne que ses opposants conservateurs ont tenté de lui accoler.

« Il y a eu des périodes difficiles, a-t-il martelé lors d’un discours, en parlant de sa jeunesse. Je sais comment on se sent quand l’inflation est incontrôlée, comment la hausse du coût de la vie peut vous faire craindre l’arrivée du facteur : amènera-t-il d’autres factures qu’on n’aura pas les moyens de payer ? »

Brillant dans ses études, il sera le premier de ses quatre frères et sœurs à fréquenter le collège, avant de faire son droit aux universités de Leeds et d’Oxford.

Il a ensuite pratiqué le droit humanitaire, défendu des syndicats, bataillé contre McDonald’s, combattu la peine de mort dans les Caraïbes, puis a été nommé procureur général pour l’Angleterre et le pays de Galles, avant de faire son entrée en politique vers l’âge de 50 ans.

Loin de lui nuire, ce parcours atypique a contribué à renforcer sa crédibilité, estime Thibaud Harrois, maître de conférence en civilisation britannique à l’Université Sorbonne Nouvelle, à Paris. « Ça lui a permis de se construire l’image de quelqu’un qui connaît autre chose, dit-il. Contrairement à beaucoup d’élus qui ont fait ça toute leur vie. »

PHOTO ANDREW MILLIGAN, ASSOCIATED PRESS

Keir Starmer allant à la rencontre de partisans avant de prononcer un discours de campagne, à East Kilbride, en Écosse, mercredi

Les qualités de ses défauts

Keir Starmer n’a certes pas le charisme de Tony Blair, ancien premier ministre travailliste (1997-2007) auquel on le compare souvent… désavantageusement. Ses détracteurs fustigent une personnalité qui manque d’éclat, qui est limite « drabe ».

On lui reproche aussi ses difficultés à dessiner une vision claire pour l’avenir du pays. ainsi qu’une campagne trop prudente, pendant laquelle il a évité de se mouiller, alors que sa victoire était quasi assurée.

Certains disent qu’il hérite de Downing Street à la suite d’un vote de protestation, sa victoire étant plutôt attribuable à la défaite d’un Parti conservateur en déroute.

Ce serait oublier que depuis son arrivée à la tête du Labour, en 2020, Keir Starmer a fait des miracles pour ramener le parti dans le jeu, parvenant à le recentrer après les années très (trop ?) à gauche de Jeremy Corbyn et s’attachant à éradiquer l’antisémitisme que son prédécesseur est accusé d’avoir laissé prospérer dans les rangs travaillistes.

PHOTO STEFAN ROUSSEAU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Keir Starmer, lors d’un rassemblement partisan à Londres, samedi dernier

Ce coup de barre vers le centre est critiqué par les plus militants, qui y voient une dénaturation du parti. Mais Catherine Ellis, professeure d’histoire à l’Université métropolitaine de Toronto, rappelle que le Parti travailliste a « toujours été tiraillé » entre ces deux tendances. L’historienne suggère que Keir Starmer a fait ce qui était nécessaire pour faire gagner son parti. « Les gens disaient la même chose de Tony Blair dans les années 1990. Il avait réformé le Labour jusqu’à le rendre méconnaissable. Mais il a gagné en 1997, avec un raz-de-marée », dit-elle.

Quant à sa personnalité sans charisme, Thibaud Harrois y voit plutôt un atout. « C’est l’image qu’il cherche à mettre en avant, explique-t-il. Il montre qu’il est sérieux, qu’il ne cherche pas à contourner la loi, à plaire à tout prix, qu’il est responsable, qu’il est là pour faire le travail. Disons que ça fait un fort contraste avec Boris Johnson. »

« Il ne dit pas de bêtises », renchérit Mark Wickham-Jones, professeur de science politique à l’Université de Bristol. « Et bien qu’il soit à gauche, il est aussi très pragmatique, voire non idéologique dans certaines situations. »

M. Wickham-Jones convient que l’homme n’est pas le plus charismatique, ce « qui pourrait être un problème à long terme ». Mais il croit que cette faiblesse est aussi sa force, l’ayant notamment servi pour faire chuter le flamboyant Johnson pendant le « partygate » (scandale autour de fêtes à Downing Street pendant la pandémie de COVID-19). « Il peut être un astucieux tacticien », dit-il.

PHOTO PHIL NOBLE, ARCHIVES REUTERS

Keir Starmer avec des électeurs à Milton Keynes, en Angleterre, lundi

Marié et père de deux enfants, ce supporteur du club de foot londonien d’Arsenal a été fait chevalier par la reine Élisabeth II pour services rendus à la justice – même s’il utilise rarement le titre « sir ».

Il a aussi appris le violon auprès de Norman Cook, du groupe anglais The Housemartins, mieux connu sous le nom de Fatboy Slim. De quoi étonner, alors qu’il s’apprête à prendre les rênes du Royaume-Uni.

Avec l’Agence France-Presse, l’Associated Press et Ouest-France