(Varsovie) Trois jours, trois frappes : les Russes ont revendiqué, images de drones à l’appui, avoir touché trois bases aériennes ukrainiennes, des succès préoccupants pour la capacité l’Ukraine à défendre son ciel et pour les F-16 promis par les Occidentaux attendus par Kyiv.

Selon les communiqués russes, cinq Su-27 ont été détruits par une frappe de missile sur la base de Myrgorod, à 150 kilomètres de la frontière russe  ; un hélicoptère Mi-24 a été détruit, également par un tir de système Iskander, à Poltava, à une centaine de kilomètres de la Russie ; et un Mig-29 encore par un Iskander, sur la base de Dolguintsevo, à quelque 80 km du front et 200 km de la Crimée annexée, qui sert de base arrière aux forces russes.

Dans les trois cas, les Russes ont diffusé des vidéos faites par un drone, des images lourdes de sens qui signifient que l’appareil a pu s’enfoncer profondément en territoire ukrainien et voler longuement au-dessus des bases sans se faire abattre ou même repérer, avant de transmettre les coordonnées précises au système Iskander pour qu’il tire ses missiles balistiques 9M723.

« Le principal problème est le manque de systèmes de défense antiaérienne de très courte portée des Ukrainiens. La capacité des Russes à faire voler leurs drones si profondément en Ukraine pour fournir des coordonnées vient essentiellement de cette faiblesse », analyse Konrad Muzyka, le directeur de Rochan Consulting, une entreprise polonaise d’analyse de données en source ouverte sur la Russie et l’Ukraine.

Pour envoyer ses drones si loin, « la Russie peut avoir recours à un second drone servant de relais de télécommande pour augmenter la portée », explique une source industrielle européenne du secteur de la défense, sous couvert d’anonymat.

PHOTO ALEXANDER ERMOCHENKO, REUTERS

Une résidante se tient à côté des ruines de sa maison détruite par un récent bombardement à Donetsk, en Ukraine contrôlée par la Russie, le 4 juillet 2024.

Le populaire blogueur militaire ukrainien Sergiy Sternenko s’indigne du fait qu’au moment de la frappe sur Myrgorod, le drone avait été repéré. Et « pourtant, rien n’a été fait. Négligence, manque d’abris pour les avions et pour finir le manque de personnel », déplore-t-il.

Mais au-delà du problème du drone, les Ukrainiens pourraient aussi frapper le missile avec leurs systèmes antimissiles comme les Patriot et les Iris-T SLM ou SAMP/T donnés par les Occidentaux. Toutefois, là encore, ils font face au problème de la rareté de leurs ressources, surtout face à des Russes qui attaquent dans la profondeur les villes, les centrales électriques, etc.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky ne cesse de plaider auprès des Occidentaux pour qu’ils accélèrent leurs livraisons de ces batteries, d’armes et d’avions, d’autant que la quasi-totalité de la population vit désormais avec les pénuries d’électricité provoquées par les bombardements russes.

« Choix difficiles »

« L’Ukraine a un nombre limité de systèmes [antiaériens] de longue portée et ils doivent faire des choix. Ils ne peuvent pas couvrir les villes, les infrastructures essentielles, les bases aériennes », résume M. Muzyka.

Dans cette guerre d’usure, « les planificateurs ukrainiens doivent constamment faire des choix difficiles et les adapter, parce que l’aide occidentale est insuffisante pour protéger toutes les cibles », estime Alessandro Marrone, le directeur du programme défense du centre de recherche italien IAI.

À elles seules, « ces frappes ne vont pas changer le cours de la guerre, mais ce sont des signaux inquiétants qui soulignent que la Russie se prépare à contrer le déploiement des F-16 » que les Occidentaux se sont engagés à envoyer aux Ukrainiens.

Réclamés depuis le début de la guerre par l’Ukraine, plusieurs dizaines de ces avions multirôles de fabrication américaine ont été promis par les Occidentaux pour cet été et devraient donc commencer à voler prochainement.

Selon une source militaire occidentale, des appareils sont déjà arrivés, mais n’effectuent pas de missions. Ni Kyiv ni les pays donateurs n’ont cependant fait d’annonces dans l’immédiat.

M. Zelensky a martelé avoir besoin de 120 à 130 de ces avions pour faire la différence.

« En 2024, la priorité est de chasser la Russie du ciel, car celui qui contrôle le ciel déterminera quand et comment la guerre va se finir », avait insisté en janvier, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba.

Le député ukrainien Roman Kostenko, qui dirige la commission pour la sécurité nationale, a ainsi résumé mercredi le défi auquel est confronté son pays à l’antenne de la Radio Freedom Ukraine : « Si nous perdons des avions ainsi [comme à Myrgorod], personne ne nous en donnera plus ».

L’Ukraine revendique une attaque de drone contre une usine russe

L’Ukraine a revendiqué jeudi une attaque de drones contre une usine de fabrication de poudre et de munitions dans la région russe de Tambov (ouest), à environ 350 kilomètres de la frontière ukrainienne.

Une source au sein de la Défense ukrainienne a affirmé à l’AFP qu’un « drone-kamikaze » avait frappé ce site faisant partie du « complexe militaro-industriel » russe, dans la ville de Kotovsk.

Selon cette source, l’étendue des dégâts occasionnés par l’attaque est « en train d’être clarifiée ».

Un média local russe a publié une vidéo présumée des faits, tournée par un riverain, montrant un objet non identifié s’écrasant au loin près d’une cheminée d’usine, dans une forte déflagration accompagnée d’un nuage de fumée.

L’AFP n’est pas en mesure de confirmer l’authenticité de ces images.

Plus tôt, le gouverneur local, Maxime Egorov, avait affirmé sur Telegram que deux drones avaient été signalés dans la région vers 4 h du matin et « tous les deux détruits », sans faire de dégâts ni de victimes.

« Bien sûr, aucune frappe. Et donc l’usine de poudre de Tambov n’existe pas non plus dans ce cas-là », a ironisé auprès de l’AFP la source au sein de la Défense ukrainienne.

Toujours selon cette source, ce site produit des munitions et de la poudre pour des armes légères et a déjà été visée par des drones ukrainiens en janvier 2024 et en novembre 2023.

L’Ukraine a retiré ses troupes d’un quartier de Tchassiv Iar

L’armée ukrainienne a confirmé jeudi sa retraite d’un quartier de la ville stratégique de Tchassiv Iar, dans l’est, dont la conquête a été revendiquée la veille par Moscou.

« Le commandement a décidé de se replier sur des positions plus sûres et mieux préparées », a déclaré à la télévision le porte-parole du groupement de forces Khortytsia déployé dans la zone, Nazar Volochyne.

PHOTO 18TH SLAVIC BRIGADE OF THE NGU, FOURNIE PAR REUTERS

Dans cette capture d’écran obtenue à partir d’une vidéo sur les réseaux sociaux publiée le 4 juillet 2024, une vue par drone montre des bâtiments détruits dans la ville de première ligne de Tchassiv Iar, dans la région de Donetsk, en Ukraine,. Bataillon spécial « Donbass » de la 18e brigade slave de la NGU/via REUTERS

La Russie a revendiqué mercredi la conquête d’un premier quartier de la ville stratégique de Tchassiv Iar, dont elle tente depuis des mois de s’emparer dans l’espoir d’une percée décisive dans l’est de l’Ukraine.

Sa position en hauteur permettrait en effet aux troupes russes d’atteindre avec leurs canons notamment Kramatorsk, la plus grande cité minière de la région de Donetsk et garnison ukrainienne sur cette partie du front.

« Il n’était plus opportun de tenir le quartier de Kanal, dans lequel l’ennemi avait pénétré, car cela menaçait la vie et la santé des soldats. Les positions de nos défenseurs ont été détruites », a expliqué Nazar Volochyne.

238 bombardements ont été enregistrés rien que dans la zone de Tchassiv Iar au cours des dernières 24 heures. La plupart des tirs d’artillerie visaient la partie sud de la ville.

Nazar Volochyne, porte-parole du groupement de forces Khortytsia déployé dans la zone

L’armée russe continue d’attaquer le reste de la ville, située de l’autre côté d’un canal, dans l’espoir d’en capturer la totalité, a ajouté le porte-parole.

La chaîne Telegram DeepState, qui se base sur des sources ouvertes et proches de l’armée ukrainienne, a affirmé mercredi que ce quartier avait été « complètement rasé » et que s’obstiner à le tenir ne mènerait qu’à « des pertes accrues ».

« Le retrait de ce quartier est donc une décision logique, bien que difficile », a-t-elle conclu.

L’armée russe est à l’initiative ces derniers mois sur le front, grignotant du terrain petit à petit.

Elle cherche à enfoncer les lignes de défense ukrainiennes dans l’est, pour conquérir la partie du Donbass qu’elle ne contrôle pas, plus de deux ans après le début de l’invasion et dix ans après y avoir initié le déclenchement d’un conflit séparatiste.