Oubliez le parti de vieux « fachos » grisonnants. En France, le Rassemblement national (RN) attire plus que jamais la nouvelle génération, que ce soient les militants ou les votants.

Les résultats du premier tour des législatives anticipées, dimanche dernier, en témoignent.

Selon différents sondages*, les électeurs de 18-24 ans seraient entre 23 % et 33 % à avoir voté pour le Rassemblement national de Marine Le Pen. C’est moins que les 40 % qui ont opté pour le Nouveau Front populaire (bloc de gauche), mais beaucoup plus que les 14 % qui avaient choisi le RN aux législatives de 2022.

Les réseaux sociaux expliquent en partie cette augmentation. Le RN a investi les plateformes numériques avec brio, à commencer par son jeune président Jordan Bardella, 28 ans, devenu un « roi » d’Instagram et, surtout, de TikTok, où il compte 1,9 million d’abonnés et dont les vidéos obtiennent parfois plus de 3 millions de visionnements. Ces deux réseaux sont cités par 56 % des jeunes comme principale source d’information, selon une enquête du journal Le Monde.

Les vidéos de « Jordan », très peu axées sur le programme du parti, le montrent au milieu d’un discours, en train de se préparer en coulisses, de manger des bonbons, de boire des verres dans un marché ou d’enlever sa veste sous les cris d’admiration, révélant ses éternelles chemises blanches immaculées.

Des clips très visuels, où son physique avantageux est mis en évidence, comme s’il était une vedette de cinéma.

Selon Le Monde, les jeunes qui le suivent sur les plateformes le trouvent « percutant, très bon orateur, avenant », certains le voient même comme le « gendre idéal », issu de la classe moyenne, comme le « porte-parole de leur génération ».

« C’est un homme de son temps », résume Pierre-Stéphane Fort, auteur du Grand remplaçant, une longue enquête sur Jordan Bardella. « Il a grandi sur les réseaux sociaux. Il angle toute sa communication là-dessus. Il connaît et manie très bien tous les codes des réseaux sociaux. L’humour, la dérision. »

Cette approche, qui joue sur la proximité, fait que son public le suit et le comprend.

Il entre dans la vie des jeunes, leur fait des blagues. Ils ont l’impression que c’est leur ami… C’est un influenceur politique, en fait.

Pierre-Stéphane Fort

On est décidément loin de l’époque où Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti, terrorisait les plateaux de télévision avec son œil de pirate et ses propos horrifiants sur la Shoah – ce « détail de l’Histoire » –, entouré de vieux « réacs » nostalgiques de l’Algérie française ou d’anciens collabos du IIIe Reich.

Rebaptisé Rassemblement national, l’ancien Front national est devenu un parti fréquentable et, surtout, séduisant pour les jeunes, qui le voient comme une option de rechange de choix dans une France qui semble avoir perdu ses repères.

Convergence des droites

C’est vrai pour les électeurs, c’est aussi vrai pour les cadres du parti. Dans leur livre L’extrême droite, nouvelle génération, la journaliste de L’Express Marylou Magal et le journaliste de Libération Nicolas Massol racontent comment la formation s’est régénérée de l’intérieur, pour devenir une machine politique aussi attractive que son président tiktokeur.

PHOTO THOMAS PADILLA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Marine Le Pen et Jordan Bardella lors d'un évènement de campagne du Rassemblement national, début juin

« Avec Marine Le Pen est arrivée toute la nouvelle génération, résume Nicolas Massol. Quand elle a pris la tête du parti en 2011, elle a fait disparaître l’extrême droite folklorique, s’est mise à parler de pouvoir d’achat, d’Europe, des sujets plus proches des préoccupations actuelles. En même temps, elle a fait un vrai travail de dédiabolisation, en abandonnant plusieurs marqueurs de son père, en gommant le discours antisémite et en absorbant des notions comme le mariage homosexuel et l’interruption volontaire de grossesse… »

PHOTO FRANÇOIS LO PRESTI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Rassemblement de partisans du Rassemblement national, fin mai

De nombreux jeunes, comme Jordan Bardella, vont adhérer à ce discours renouvelé et voir dans le Front national (devenu le Rassemblement national en 2018) la famille idéale pour leurs convictions et leurs ambitions politiques. Ils viennent de familles catholiques, de milieux traditionalistes, souverainistes – en faveur d’une France plus affranchie de l’Union européenne. Ils ont fait des études, aiment l’ordre et s’habillent bien. Ce ne sont plus des marginaux.

Par leur image, par le fait qu’ils n’ont plus de tatouages et le crâne rasé, ils peuvent se mêler à d’autres cercles. Ce sont eux qui vont normaliser l’image du RN.

Nicolas Massol, journaliste de Libération et co-auteur de L’extrême droite, nouvelle génération

Cette « extrême droite nouvelle génération » ne se résume pas au RN, précise le journaliste. Elle existe aussi dans le parti Reconquête, fondé par l’ancien journaliste Éric Zemmour, voire dans l’aile droite du parti Les Républicains, dont le président, Éric Ciotti, vient d’ailleurs de se rallier à Le Pen. Elle a pour nom Jordan Bardella, mais aussi Sarah Knafo (conjointe de Zemmour), Marion Maréchal (nièce de Marine Le Pen), Geoffroy Lejeune, Stanislas Rigault, Pierre Gentillet ou Pierre-Romain Thionnet.

PHOTO OLIVIER CHASSIGNOLE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La député européenne Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, rencontrant des militants lors d'un évènement du Rassemblement national, le 27 juin

Dans leur livre, les deux journalistes expliquent que ces jeunes cadres, peu importe leur affiliation, se retrouvent depuis des années dans des soirées, des bars et des discothèques branchées, pour échanger et fantasmer sur leur France idéale. Selon eux, ces rencontres informelles ont progressivement contribué à faire disparaître le fameux « cordon sanitaire » qui interdisait jusqu’ici tout lien avec le RN… favorisant ainsi une certaine forme de convergence.

« Nous, on considère que le jour où toutes les droites se rassemblent est arrivé », résume Nicolas Massol.

Leur point commun ? Une vision « identitaire » et la peur du « grand remplacement », théorie selon laquelle les Français de souche seront un jour minoritaires en France, face aux immigrants, principalement musulmans.

Selon eux, le rôle de la politique est de défendre l’identité ethnoraciale de la France. Ils s’imaginent que cette France est en proie à des envahisseurs d’une autre civilisation qui est fondamentalement hostile à la civilisation européenne et qu’il convient de combattre parce que sinon, on va mourir.

Nicolas Massol, journaliste de Libération et co-auteur de L’extrême droite, nouvelle génération

Une peur existentielle, qui se traduit au RN par un programme controversé. S’il prend le pouvoir, le parti promet de supprimer le droit du sol (pas de nationalité française systématique si on est né en France de parents étrangers), de donner la « préférence nationale » (priorité aux Français pour certains services, dont l’accès au logement social) et d’interdire aux binationaux des emplois « sensibles » dans la fonction publique.

De quoi créer bien des remous dans la France de demain.

* Ipsos et Harris Interactive

Le grand remplaçant

Le grand remplaçant

Studiofact Editions

240 pages

L’extrême droite, nouvelle génération

L’extrême droite, nouvelle génération

Denoël

265 pages