Alors que la France vote ce dimanche dans le premier tour d’élections législatives sous tension, notre chroniqueuse Laura-Julie Perreault parcourt l’Hexagone de la Côte d’Azur à la Bretagne pour parler aux électeurs et aux politiciens attirés par les extrêmes. Ou pas. Aujourd’hui, les craintes des Marseillais issus de la diversité.

(Marseille) Des rubans de vent soulèvent la poussière sur la place Jean-Jaurès, rappelant qu’un avertissement de tempête est en vigueur. Mais c’est un autre orage – politique, celui-là – que Carla Tavares craint alors qu’elle fait des achats pour le mariage de sa fille, qui aura lieu en août.

« J’ai peur que si Marine [Le Pen] et son Rassemblement national l’emportent, elle va vouloir se débarrasser des Noirs et des Arabes, dont elle parle tout le temps. Elle va tous nous mettre dehors », dit la mère de quatre enfants, originaire d’Angola, citoyenne portugaise, mais résidante de Marseille depuis plus de 25 ans.

Elle trouve que le sujet mérite mieux qu’une conversation de coin de table et, chargée de ses rideaux neufs, elle m’invite à prendre un verre dans un café-bar qui jouxte la place.

À la veille du premier tour des élections législatives, elle en a gros sur le cœur.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

Carla Tavares vit en France depuis plus de 25 ans, mais n’y a pas le droit de vote. Elle craint que le Rassemblement national ne remporte les législatives.

Ce qui est dur, c’est que je n’ai pas mon mot à dire. J’ai toujours travaillé, je paie des impôts et je n’ai pas le droit de vote, alors je suis à la merci de ce que les Français vont choisir.

Carla Tavares, résidante de Marseille

Ils sont nombreux dans son cas à Marseille. Les statistiques officielles évaluent que 10 % de la population de la grande ville provençale est issue de l’immigration, mais il suffit d’y passer quelques heures pour constater que la diversité est beaucoup plus grande au centre-ville. Et c’est vrai sur le marché de la place Jean-Jaurès où les commerçants originaires du Maghreb jouent du coude avec des vendeurs issus de l’Afrique subsaharienne. Parmi eux, on trouve bon nombre de citoyens français, mais aussi des travailleurs avec un permis de travail et des sans-papiers.

L’image déformée des immigrés

Carla Tavares, qui a aussi vécu à Lisbonne, a élevé ses enfants dans cette « ville d’immigrés », comme elle appelle affectueusement Marseille. Elle travaille depuis un quart de siècle comme cuisinière dans une résidence pour personnes âgées, un travail qu’elle adore. Elle a aujourd’hui peur de tout perdre si le Rassemblement national prend les rênes de l’Assemblée nationale après le second tour, qui aura lieu le 7 juillet.

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Histoire et graffitis se côtoient à Marseille. Ici, près de la place Jean-Jaurès.

Quand elle écoute les politiciens de ce parti parler des étrangers qui vivent en France, elle ne se reconnaît pas. « Je n’ai jamais eu accès à un logement social. Je ne touche pas un sou d’aide publique », dit-elle. Notre voisine de table s’en mêle. « Même chose pour moi », note Linda Charni, qui n’en peut plus qu’on parle des immigrants comme de sangsues asséchant le système social français. « Si on n’était pas là, qui soignerait les personnes âgées ? Les malades ? La France a besoin de ses immigrés », dit la Franco-Tunisienne, qui travaille auprès des enfants en bas âge.

Cette dernière, qui a la double nationalité, compte bien utiliser son droit de vote pour soutenir le Nouveau Front populaire, la coalition de la gauche qui regroupe les socialistes, les écologistes et les candidats de La France insoumise. Dans les derniers sondages publiés à la veille du premier tour, cette coalition arrive bonne deuxième derrière le Rassemblement national.

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Les affiches du Front populaire, la coalition ombrelle de la gauche, prennent des allures festives à Marseille.

On s’attend d’ailleurs à une confrontation féroce entre la droite radicale et la gauche lors du second tour. Des appels pour que les politiciens proches d’Emmanuel Macron se retirent à la faveur de la gauche lors du second scrutin se sont déjà fait entendre avant même que les Français ne se présentent pour la première fois dans les isoloirs. Pour le moment, ils sont restés sans réponse.

« Ce sera la guerre »

Ancien camionneur reconverti en chauffeur Uber – « pour voir grandir ma petite dernière » –, Mohammed Macchi croit que, quoi qu’il arrive, un Rassemblement national au pouvoir, avec le jeune Jordan Bardella dans le siège de premier ministre, n’aurait pas les coudées franches.

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Mohammed Macchi

« S’ils sont élus, ils vont vite se rendre compte qu’ils ne peuvent pas réaliser une bonne partie de leurs idées », croit le Français d’origine algérienne. Pour des raisons budgétaires, par inexpérience politique, mais aussi parce que la société civile ne courbera pas l’échine, notamment si le Rassemblement national remet en cause le droit du sol, qui permet aux enfants d’immigrés d’obtenir la nationalité française, ou s’ils adoptent des lois discriminatoires à l’égard des binationaux, comme c’est prévu dans le programme du parti.

« Ici à Marseille, s’il y a de la provocation qui vient de Paris, il va y avoir des émeutes. On l’a vu dans le passé », prédit-il.

« Ce sera la guerre », affirme pour sa part Carla Tavares, espérant que la France qu’elle aime, le Marseille qu’elle aime, ne se rendra pas là.

Marseille

  • Population : 1,6 million d’habitants
  • Parti élu aux législatives de 2022 (1re circonscription) : La République en marche (Macron)
  • Parti dominant aux européennes de 2024 (1re circonscription) : Liste Jordan Bardella et Marine Le Pen (RN)
  • Pourquoi on y est ? Avec de fortes communautés issues de l’immigration, Marseille est très divisée politiquement. Dans l’ensemble, la ville penche plus vers la gauche.