Les élections législatives en France, dont le 1er tour est prévu dimanche, pourraient déboucher sur un paysage politique inédit… et chaotique

Pourquoi ces élections sont-elles inédites ?

Parce qu’elles sont les premières à résulter d’une dissolution de l’Assemblée nationale après une défaite du parti présidentiel à des élections intermédiaires (les élections européennes du 9 juin). La « liste » liée à Emmanuel Macron n’a en effet récolté que 15 % des voix contre 31 % pour le Rassemblement national de Marine Le Pen et de son dauphin, Jordan Bardella.

Macron risque-t-il son poste avec ce nouveau scrutin ?

Non. Macron est chef de l’État. Il s’agit ici de renouveler le Parlement et de désigner un nouveau premier ministre. En revanche, il prend le risque de devoir diriger la France en « cohabitation » avec un gouvernement qui n’est pas de son côté.

PHOTO DYLAN MARTINEZ, ASSOCIATED PRESS

Le président français, Emmanuel Macron

Qu’espère Macron en déclenchant de nouvelles élections législatives ?

La majorité au pouvoir (la coalition Ensemble, qui regroupe les partis Renaissance, Horizons et MoDem) gouverne avec difficulté depuis 2022, ne disposant que d’une majorité relative (245 sièges sur 577). Avec ce « coup » inattendu, Macron espère prendre ses adversaires à contre-pied et recomposer une Assemblée nationale qui lui serait plus favorable. Il cherche en quelque sorte un nouveau vote de confiance des Français, par le truchement d’un nouveau gouvernement, et ce, pour les trois ans restants à son second (et dernier) mandat.

Quelles sont les forces en présence ?

On parle grosso modo de quatre blocs politiques. 1) Le bloc Ensemble, dirigé par le premier ministre sortant Gabriel Attal. 2) Le bloc de gauche, baptisé Nouveau Front populaire (NFP), rassemble le Parti socialiste, la France Insoumise, les Verts, les communistes. Une « alliance de façade », précise le politologue Jean Petaux, car ces formations ne s’apprécient guère en temps normal. 3) À l’extrême droite, on trouve le Rassemblement national (RN) mené par Jordan Bardella (et dans une moindre mesure le parti Reconquête, d’Éric Zemmour). 4) Le parti de droite Les Républicains (LR). Mais celui-ci est scindé en deux à la suite d’une crise interne, depuis que son président Éric Ciotti a décidé de se rallier au RN. Une soixantaine de candidats l’ont suivi. Les 400 autres sont farouchement opposés à cette alliance et revendiquent la bannière du parti. De quoi alimenter la confusion des électeurs.

Comment fonctionnent les élections ?

Les député(e)s sont élu(e)s au scrutin uninominal à deux tours, dans 577 circonscriptions, dont une dizaine réservées aux Français de l’étranger (dont le Canada et les États-Unis). Un(e) candidat(e) est élu(e) dès le premier tour s’il ou elle remporte plus de 50 % des voix. Pour pouvoir passer au second tour, il faut obtenir 12,5 % ou plus de voix équivalant au nombre d’électeurs inscrits (y compris les non-votants). Si trois candidats passent au second tour, on parle de « triangulaire », un cas de figure qui a généralement tendance à favoriser le bloc central (dans ce cas-ci, les partis macronistes), explique Olivier Ihl, professeur de sciences politiques à l’Université de Grenoble. « Au premier tour, on choisit, au deuxième tour on élimine, c’est un effet quasi mécanique. » Le second tour est prévu le dimanche 7 juillet.

Que disent les sondages ?

Il est à peu près certain que le bloc Ensemble ne retrouvera pas de majorité, même relative. Les différentes enquêtes d’opinion publiées cette semaine le donnent bon troisième, derrière le bloc de gauche et le RN. Selon un sondage IFOP-Fiducial pour Le Figaro, LCI et Sud Radio en date de vendredi, le Rassemblement national pourrait ainsi remporter entre 225 et 265 sièges (36,5 % des voix). Le NFP est quant à lui crédité de 170 à 200 députés (29 % des voix), alors que le groupe Ensemble n’obtiendrait que 70 à 100 sièges (20,5 % des voix) contre 250 au moment de la dissolution. Les projections en sièges doivent toutefois être interprétées avec prudence, « compte tenu des incertitudes liées aux configurations de second tour », souligne l’IFOP.

PHOTO JEFF PACHOUD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le NFP est quant à lui crédité de 170 à 200 députés (29 % des voix).

Que se passe-t-il ensuite ?

C’est bien toute la question ! En l’absence possible de majorité claire à l’Assemblée nationale, la France risque de basculer dans une période d’incertitude politique. Chargé de nommer son premier ministre, le président de la République aura alors devant lui un certain dilemme : désigner le leader du parti vainqueur comme le veut la coutume ou tenter de dégager une coalition rassemblant une partie des deux autres blocs ?

Le premier scénario est peu probable si c’est le RN qui remporte le plus de sièges. Le parti de Marine Le Pen ne possède aucun allié, c’est sa plus grande faiblesse. S’il est nommé premier ministre, Jordan Bardella sera vraisemblablement rejeté par une motion de censure à l’Assemblée. Il le sait et affirme d’ailleurs ne pas vouloir briguer le poste sans majorité absolue.

Le second cas de figure, impliquant des alliances, irait dans le sens d’une « fédération de projets » prônée par M. Macron. Cet « arc républicain », plus modéré, pourrait se dessiner autour de la centaine d’élus macronistes, auxquels se grefferaient les députés du PS (gauche) et ceux de LR (droite), mais exclurait d’office la France Insoumise (gauche radicale) et le RN (droite radicale). À noter que la France n’est pas habituée aux gouvernements de coalition, même si ce système est bien implanté dans plusieurs pays d’Europe. Et d’ailleurs, rien ne dit que ce scénario sera mathématiquement réalisable. En cas d’échec s’ouvrirait une période de « reparlementarisation » (comme celle vécue en Belgique, restée sans gouvernement pendant de longues périodes) avec une nouvelle dissolution possible permise dans un an. Ou alors la création d’un gouvernement « technique » et « apolitique », chargé de gérer les affaires courantes jusqu’aux prochaines législatives. Un scénario potentiellement favorable au président de la République qui, selon Jean Petaux, se poserait alors en « arbitre des élégances pouvant sauvegarder les intérêts du pays ».

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jordan Bardella affirme qu’il briguera le poste de premier ministre uniquement si le RN obtient la majorité absolue.

Et si le Rassemblement national obtenait une majorité absolue ?

Scénario improbable, mais pas du tout impossible. Dans ce cas de figure, on assisterait à une « cohabitation » compliquée entre le président Macron et un gouvernement RN mené par Jordan Bardella, puisque ces deux entités ont des vues très opposées sur à peu près tout, de l’Union européenne à l’Ukraine, en passant par l’immigration, le droit du sol, les retraites, alouette.

En principe, le premier ministre dirige les grandes politiques de la nation, son gouvernement soumet les lois. Le président n’a pas droit de veto. En revanche, il peut renvoyer les textes au Conseil constitutionnel, sorte de Cour suprême à la française, qui doit juger de la « constitutionnalité » de ces lois. Les politiques les plus radicales du Rassemblement national (préférence nationale, droit du sol) seraient vraisemblablement retoquées, à moins de revoir les bases de la Constitution française. Peu probable, du reste, que le RN fonce d’emblée avec ses textes les plus controversés. « Je pense que leur premier défi est de rassurer, lance Olivier Ihl. Ils ont plutôt intérêt à ce que les choses aillent bien, surtout s’ils visent les élections [présidentielles] de 2027. Ils n’ont rien à gagner à faire peur aux Français… »

Pour combien de temps sont élus les députés ?

Techniquement, pour cinq ans, donc ici jusqu’en 2029. Mais il est fort probable que le prochain ou la prochaine président(e) de la République voudra dissoudre cette Assemblée suite à la prochaine présidentielle en 2027, afin d’avoir une majorité à sa main. Histoire à suivre.

Avec l’Agence France-Presse

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