Entre stress et fatigue, après des mois de préparation des élections européennes, les employés chargés d’organiser les élections françaises les plus rapides de l’histoire de l’Hexagone se sentent méprisés et déprimés.

L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron le soir des résultats a été un véritable choc pour les fonctionnaires de l’ombre, chargés d’organiser les élections.

« Ça voulait dire repartir au combat alors qu’on était déjà à bout. J’en ai pleuré au travail le lendemain, mes nerfs ont lâché. Faire en 20 jours ce qu’on fait normalement en 4 mois, c’est très dur. Il y a des tensions, du stress, de la fatigue. On se sent méprisés par le président », raconte Georges*, 35 ans, jeune fonctionnaire en région parisienne.

Depuis fin mai, et la course des élections européennes – qui s’est échelonnée sur quatre mois –, Georges n’a eu que deux jours de repos en travaillant presque sept jours sur sept. Et les vacances devront attendre : les agents de l’État à Paris n’ont officieusement pas le droit de prendre des congés d’été lors des JO.

Je suis épuisée physiquement et moralement. J’ai mis ma vie entre parenthèses depuis plusieurs semaines, je ne vois plus mes enfants, mon conjoint ou mes amis.

Sonia*, 45 ans

Sonia est fonctionnaire depuis plusieurs années au « Bureau des élections » d’une préfecture en région parisienne. Au quotidien, ces bureaux, présents dans toutes les préfectures de France, organisent les élections professionnelles, locales, nationales et européennes.

PHOTO SARAH NABLI, COLLABORATION SPÉCIALE

Les bureaux des élections doivent se préparer plus rapidement que jamais pour le premier tour des élections législatives, le 30 juin.

En France, de multiples étapes juridiques, administratives, financières et logistiques se succèdent pour organiser des élections dans les moindres détails. La charge de travail la plus importante est la « mise sous pli » : envoyer à des millions d’électeurs les programmes des candidats en version papier par voie postale.

Le week-end dernier, près de 25 000 agents ont effectué ce travail chronophage de 8 h à 22 h. Et le travail d’une élection ne s’arrête pas à la date du dernier scrutin dans les préfectures, le travail se poursuit bien au-delà des semaines encore.

Des risques psycho-sociaux

Les fonctionnaires sont tenus à un devoir de réserve, ils n’ont pas le droit de communiquer avec la presse. Mais Sonia avait besoin « de se libérer d’un poids », de raconter la « détresse de ces petites mains en première ligne ». Pour ces élections les plus rapides de l’histoire, il faut aller vite tout en respectant les cadres juridiques et administratifs, la rigueur que demandent des élections. « On n’a pas le droit à l’erreur ! »

Une situation critique dénoncée par les syndicats des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Ils s’alarment des risques psycho-sociaux de ces élections surprises anticipées.

« Une fois que les nerfs vont redescendre, qu’est-ce qu’il va se passer après ? », s’interroge Olivier Ortuno, secrétaire départemental Force ouvrière à la préfecture du département du Lot.

On ne juge pas la décision politique, mais enchaîner deux élections, c’est un coup dur. Emmanuel Macron n’a pas mesuré l’impact sur ses services.

Olivier Ortuno, secrétaire départemental Force ouvrière à la préfecture du département du Lot.

De son côté, l’Union des syndicats CGT Intérieur a envoyé une lettre au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le 14 juin pour dénoncer les conditions de travail imposées à ces services, « qui sont inadmissibles et ne respectent pas les obligations réglementaires sur les temps de repos ».

Un directeur d’une préfecture rurale, qui souhaite rester anonyme, relativise toutefois la fatigue des fonctionnaires. « On sort des élections européennes, les équipes sont toujours en place et déjà rodées, elles sont habituées à un rythme assez soutenu en préfecture, et on fait appel à d’autres agents de l’État pour nous aider », soutient-il.

Le casse-tête des bureaux de vote

« À 10 jours du premier scrutin, on doit trouver 150 assesseurs sur 207 pour nos 34 bureaux de vote, c’est du jamais-vu, une situation très grave. Alors on cherche des bénévoles, on publie sur les réseaux sociaux, on sollicite les associations. On a dû aussi déplacer un bureau de vote à cause d’un mariage, ça veut dire informer les électeurs en amont, installer de la signalisation. On est face à une accumulation de difficultés », avoue Quentin Clarin, maire adjoint, responsable de la sécurité et de la citoyenneté à Charleville-Mézières, commune de 46 000 habitants dans le nord-est de la France.

À Cahors, 21 000 habitants, dans le Sud-Ouest, un festival gastronomique vient compliquer la donne des employés municipaux.

« Le samedi soir, c’est un banquet de 2000 personnes, organisé sur la place principale, le lendemain [jour du vote pour le premier tour], un brunch très attendu. Pour les services, c’est une fatigue, du travail, du stress et des tensions supplémentaires. Mais pour les élections, tout le monde est mobilisé, il y a une vague de solidarité pour faire face à ce moment historique », insiste Vincent Bouillaguet, adjoint au maire chargé notamment des ressources humaines et de l’administration générale.

*Nom fictif pour protégér l’anonymat