(Toretsk) Bien qu’habitant dans l’est de l’Ukraine, ravagé par les combats, Galina Porochina a longtemps été épargnée par la guerre. Sa ville minière de Toretsk est nichée dans un secteur du front, il y a peu encore, relativement tranquille.

C’était jusqu’à début juin, lorsque les roquettes russes ont commencé à pleuvoir sur la bourgade, chamboulant sa vie et celle des autres habitants.

Aujourd’hui, Galina est contrainte de remplir des bouteilles à la fontaine publique, avant de revenir dans son foyer privé d’eau et d’électricité. Elle apprend à vivre cachée dans le sous-sol de sa maison pour éviter les bombes.

« Quand tout fonctionne, on dirait que tout est normal. L’eau a disparu, c’est inconfortable, mais on s’est habitué », explique cette assistante de maternelle à la retraite de 63 ans.

Toretsk se situe à 40 kilomètres au nord de la grande ville de Donetsk, occupée par les Russes, et à moins de cinq kilomètres de la ligne de front, où les troupes de Moscou poussent face à un adversaire épuisé après plus de deux ans et demi de guerre.

Malgré les frappes quotidiennes, Galina refuse de partir, car son fils et sa mère reposent dans le cimetière de la ville.

« C’est le genre de lien qu’il est très difficile de briser. Je ne peux pas partir. Je ne peux pas », dit-elle avant de fondre en larmes.

« C’est si douloureux quand vous ne pouvez pas aller au cimetière. »

« Ville brisée »

Toretsk, dont la population s’élevait à 12 000 âmes avant l’invasion, est un important verrou dans ce secteur du front, dont la chute donnerait l’accès à l’armée russe à Kostiantynivka, puis à terme à Kramatorsk, objectif ultime du Kremlin dans cette région.

« C’était une bonne ville. Petite, compacte et toujours propre. Beaucoup de gens restaient ici et se mariaient », se remémore Oleksandre, le mari de Galina.

Lampe sur le front, il tente de réparer une paire de chaussures dans l’obscurité. Lui et sa femme pensaient que la paix dans la ville serait durable.

« Il y avait des concerts tout le temps, des musiciens du coin jouaient dans le parc pour des soirées dansantes […] c’était notre parc », raconte-t-il.

Aujourd’hui, les immeubles sont éventrés et les badauds ne s’aventurent plus dans le parc. Les tirs d’obus résonnent dans les rues et une fumée noire s’élève à l’horizon.

« La ville est morte. Brisée », déplore Galina. « Maintenant, la chose la plus importante est la vie humaine, la survie, pour sauver ne serait-ce que la mémoire des membres de la famille ».

« Nous partons »

Oleksandre Borbrik, qui est né et a grandi à Toretsk, est lui aussi un enfant du cru. Mais à 41 ans, il est sur le point de laisser sa vie derrière lui, notamment son épicerie éventrée et sa maison en ruine.

« Chaque jour, il y a des dizaines de frappes. C’est effrayant de rester ici. Nous partons », explique cet homme bien bâti aux cheveux ras et regard bleu.

Dans son épicerie vide et plongée dans le noir, il supervise le déménagement, sans savoir de quoi demain sera fait. « Nous n’y avons pas encore réfléchi », avoue-t-il.

Le gouverneur de la région de Donetsk, Vadym Filachkine, avait, en début de semaine, exhorté les habitants à évacuer, alors que les bombardements se font quotidiens.

Car sur le front, la situation est « difficile ». Emmitouflé dans sa balaklava, le commandant Kurt, comme il se fait appeler, ne mâche pas ses mots à propos des assauts de Moscou en direction de la ville.

« Des erreurs »

« Pendant la période où la rotation (des troupes) a été effectuée, certaines erreurs ont été commises. L’ennemi les a analysées et les a utilisées », concède-t-il, tenant fermement son fusil d’assaut.

Des « dents de dragon », sortes de blocs en béton devant gêner les chars, ont été dressés tout autour de la ville, mais Kurt n’est pas convaincu de leur efficacité.

« Les lignes de défense extérieures ne signifient rien », explique-t-il en rappelant le sort de villes ukrainiennes tombées sous la coupe de Moscou, malgré de nombreuses fortifications.  

Selon lui, les forces russes pilonnent la ville depuis début juin avec des bombes planantes très destructrices et tentent des incursions en petites équipes.

Malgré tout, certains habitants de Toretsk ne fuiront pas, comme Galina.

« Ça fait dix ans qu’on subit ce type d’oppression », explique l’ancienne institutrice de maternelle, en référence à l’époque où les séparatistes soutenus par le Kremlin se sont emparés de pans entiers de la région de Donetsk, à partir de 2014. « Maintenant, je ne fais plus de prédictions », lance-t-elle.