(Varsovie) Lorsque Evguéni Prigojine et son groupe paramilitaire Wagner ont marché sur Moscou, les armes à la main, en pleine guerre contre l’Ukraine, abattant des hélicoptères de l’armée russe, Vladimir Poutine paraissait vulnérable comme jamais en un quart de siècle au pouvoir.

Un an après, le président russe semble au sommet de sa puissance.

Prigojine le mutin est mort dans un accident d’avion suspect deux mois après sa révolte des 23-24 juin 2023. Son groupe a été de facto refondé et placé sous l’autorité du ministère de la Défense, celui-là même que les rebelles critiquaient pour sa corruption, son incompétence et les lenteurs de sa logistique.  

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Une statue représentant l’ex-chef du groupe Wagner, Eugène Prigojine, a été installée sur sa tombe au cimetière Porokhovskoye à Saint-Pétersbourg.

Puis, Vladimir Poutine s’est attaqué au printemps 2024 aux cadres du ministère, quitte à faire écho aux revendications des mutins.

Présenté comme une opération mains propres contre la corruption et non comme une purge, cette initiative a mené des généraux et un vice-ministre, Timour Ivanov, en prison. D’autres ont été limogés.

« Il n’y a plus personne de déloyal envers Poutine désormais », constate Nikolaï Petrov, chercheur à Chatham House, un centre d’analyse britannique banni en Russie.  

Le président russe « exerce un contrôle direct et constant sur tous les acteurs les plus importants », poursuit-il. Plus question de laisser à quiconque l’autonomie que Prigojine avait, ou de nommer un militaire en mesure d’avoir le contrôle de la loyauté des troupes.

Grand nettoyage

Sergueï Choïgou, son fidèle ministre de la Défense est transféré à un poste prestigieux mais bien moins de premier plan.

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Le ministre de la Défense Sergueï Choïgou a été limogé en mai dernier.

M. Poutine a confié le ministère à un technocrate, l’économiste Andreï Belooussov. Parmi les adjoints de ce dernier, le président russe place une cousine, Anna Tsiviliova, et Pavel Fradkov, fils de l’ex-premier ministre et ex-patron des services des services de renseignement extérieur (SVR) Mikhaïl Fradkov.

« La corporation des militaires est parmi celles qui en théorie pourrait jouer un rôle plus politique […] et la méthode de Poutine a été de ne laisser personne qui en soit issu devenir le chef de la corporation », résume M. Petrov.

Le message envoyé est aussi qu’il ne nettoie pas le ministère de la Défense à cause de la pression politico-militaire exercée par Wagner, mais par choix et nécessité.

Car si Moscou a l’initiative sur le champ de bataille depuis l’automne, la Russie reste empêtrée dans une guerre qu’elle croyait pouvoir remporter en quelques jours. Et elle ne parvient pas à effectuer de percée, malgré son avantage en hommes et en armes.

Réorganiser l’armée et modeler une économie de guerre efficace pour des années de confrontation avec l’Occident est la priorité.

« Le fait que [Poutine] puisse prendre ces mesures, s’en prendre aux intérêts et aux revenus de hauts responsables militaires est la preuve de sa force, pas de sa faiblesse », note Nigel Gould-Davies, un chercheur spécialiste de la Russie au International Institute for Strategic Studies.

Juste avant ce grand nettoyage, le maître du Kremlin a aussi consolidé sa toute-puissance avec une victoire sur-mesure à la présidentielle de mars, avec 87 % des voix.

Un mois plus tôt, son ennemi numéro 1, l’opposant Alexeï Navalny, mourrait dans des conditions troubles dans sa prison dans l’Arctique, sans que cela ne suscite de protestations de masse dans le pays.

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Des gens sont akkés se recueillir sur la tombe d’Alexeï Navalny, le plus fervent opposant politique de Vladimir Poutine mort dans une prison de l’Arctique en février, le 17 mars à Moscou.

Courber l’échine

L’élection montre qu’il peut « concocter ce qu’il veut », relève M. Gould-Davies, « l’expression de sa domination, c’est qu’il peut tout se permettre ».

« Le pouvoir de Poutine est plus personnel que jamais », conclut l’expert.

Sur le front politique, l’opposition a tout simplement été éradiquée à l’intérieur du pays et chaque semaine apporte sa litanie de condamnations de simples citoyens, d’opposants ou de journalistes ayant critiqué le régime ou ayant publiquement évoqué les exactions dont est accusée la Russie en Ukraine.

« Entre les mesures répressives et les peines de prison exemplaires imposées à diverses personnes, il a intimidé et mis au pas une large partie de la population », résume M. Gould-Davies.

L’expert relève qu’il ne faut pas pour autant confondre absence de défiance et enthousiasme.

D’ailleurs, il y a un an, des badauds applaudissaient les troupes de Wagner qui avaient pris le contrôle, sans tirer, du quartier général de l’armée russe pour l’invasion de l’Ukraine dans la ville de Rostov-sur-le-Don.

« Il n’y a pas d’enthousiasme à grande échelle envers Poutine ou la guerre », estime M. Gould-Davies, mais « les leçons de la mutinerie de Wagner ont été tirées et rendent moins probable qu’on vienne le défier de cette manière à l’avenir ».