(Paris) Donnée favorite des législatives anticipées en France, l’extrême droite promet une loi « d’urgence » pour restreindre l’immigration malgré les risques de censure constitutionnelle et d’un scénario à l’italienne, où ce même engagement de la dirigeante post-fasciste Giorgia Meloni a été peu suivi d’effets.

En cas de victoire de son camp les 30 juin et 7 juillet, le président du Rassemblement national (RN, extrême droite) Jordan Bardella assure que son gouvernement agirait « dès les premières semaines » pour limiter les droits des étrangers, une revendication centrale de son parti et de son ancêtre, le Front national, qui prônait la « préférence nationale » et voulait « rendre la France aux Français ».

Selon l’entourage de M. Bardella, un gouvernement dirigé par le RN pourrait présenter cet été un projet de loi pour supprimer « les contraintes administratives qui empêchent l’expulsion des étrangers » et réduire drastiquement l’Aide médicale d’État, qui permet aux étrangers sans-papiers d’avoir accès aux soins.

Aux termes du projet de loi, ce dispositif serait désormais réservé aux seuls cas où le pronostic vital est engagé.

Le texte contiendrait surtout la « suppression » du droit du sol, qui permet actuellement à un jeune né en France de parents étrangers d’accéder à la nationalité française à sa majorité, notamment à la condition qu’il réside dans le pays à ses 18 ans.

En parallèle du texte, une circulaire gouvernementale demanderait « aux préfets de mettre fin à toutes les régularisations » de sans-papiers, affirme Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée nationale.  

Le risque d’inconstitutionnalité

Cet agenda législatif pourrait toutefois se heurter au Conseil constitutionnel, organe indépendant qui vérifie la conformité des lois à la Constitution française et à son préambule, texte fondateur des libertés fondamentales dans le pays.

Au vu de « l’histoire » ancienne du droit du sol en France, pays d’immigration, les juges constitutionnels pourraient ainsi le considérer comme l’un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » et censurer sa remise en cause généralisée, souligne la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.  

En 2018, pendant le premier mandat du président Emmanuel Macron, le Conseil constitutionnel avait certes validé une restriction du droit du sol à Mayotte, mais en soulignant la situation spécifique de cet archipel français de l’océan Indien, soumis à une forte pression migratoire en provenance des Comorres.

S’agissant de l’Aide médicale d’État, une réduction trop drastique pourrait contrevenir au préambule de la Constitution qui stipule que la « Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », estime Mme Bezzina.

Le précédent Meloni

À plus long terme, l’extrême droite souhaite organiser un « référendum » sur l’immigration afin de consacrer une « priorité nationale » dans l’accès à certaines prestations.

Mais le RN, s’il obtient la majorité à l’Assemblée nationale, devra gouverner avec le président de la République Emmanuel Macron, dont le référendum est une prérogative quasi exclusive en France.

« Les Français ont […] tout à fait conscience qu’on ne peut pas le faire tout de suite » et « sauront pour qui voter à la présidentielle » de 2027, dit-on au RN.  

Les adversaires du RN insistent toutefois sur le cas de l’Italie où la dirigeante d’extrême droite Giorgia Meloni avait été élue en 2022 en promettant une réduction drastique de l’immigration qu’elle a, pour l’heure, échoué à obtenir.

En 2023, quelque 158 000 migrants ont débarqué en Italie contre environ 105 000 en 2022.  

« C’est clair que nous espérions mieux en matière d’immigration alors que nous avons travaillé si dur », avait reconnu Mme Meloni fin septembre.

À l’été 2023, son gouvernement avait par ailleurs validé par décret l’entrée en Italie de 452 000 travailleurs étrangers pour la période 2023-2025.

« La situation de la France et celle de l’Italie sont très différentes. Meloni était beaucoup plus dépendante de l’Union européenne pour son plan de relance », rétorque-t-on au RN.

Mais ailleurs en Europe, d’autres partis de droite ou d’extrême droite ont eux aussi été contraints d’adapter leurs positions sur l’immigration, face au manque de main-d’œuvre et une démographie déclinante.

En Hongrie, malgré la rhétorique anti-migrants de son premier ministre Viktor Orban, le nombre de travailleurs extracommunautaires est ainsi passé de 35 000 début 2019 à plus de 73 000 fin 2023.