La campagne pour les élections législatives bat son plein en France à l’issue d’une période des mises en candidature riche en rebondissements. Bien que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen demeure en tête dans les intentions de vote à 10 jours du premier tour, sa mainmise sur le prochain gouvernement est loin d’être acquise, soulignent des experts.

Comment se présentent les forces politiques du pays à la fin de la période des mises en candidature ?

Les jours frénétiques ayant suivi l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président français Emmanuel Macron ont donné lieu à de multiples tractations entre partis qui ont considérablement changé la donne en vue du scrutin. Le chef d’État espérait recruter des candidats parmi les élus sortants à la gauche et à la droite de sa coalition centriste, mais le scénario ne s’est pas matérialisé comme il l’espérait, note Jean-Pierre Beaud, professeur de science politique de l’Université du Québec à Montréal.

La formation de gauche radicale La France insoumise (LFI), les communistes, les écologistes et les socialistes ont rapidement réussi à s’entendre sur un programme pour présenter une liste de candidats unique sous la bannière du « Nouveau Front populaire ».

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Éric Ciotti, chef du parti de droite Les Républicains (LR)

À droite, les déchirements des Républicains n’ont pas non plus mené d’emblée à des ralliements importants au camp centriste. Le président contesté de la formation de droite traditionnelle, Éric Ciotti, favorable à une coalition avec le RN, a amené avec lui peu de députés sortants et présentera des candidats dans une soixantaine de circonscriptions sans opposition de la droite radicale. Les Républicains du « courant historique » opposés au RN présenteront pour leur part des candidats dans près de 400 circonscriptions. « Ça risque d’être un peu compliqué pour les électeurs de les départager sur le bulletin de vote », prévient Olivier Ihl, professeur de politique à l’Université de Grenoble.

Dans quelle position ces développements laissent-ils le camp du président ?

Plusieurs médias français ont publié des comptes rendus suggérant que le président avait décidé en cercle restreint de tenir des élections législatives, avisant même tardivement le premier ministre Gabriel Attal, qui aurait accepté de prendre la tête de la campagne des élections législatives en partie pour pallier l’impopularité du chef d’État auprès de la population. Nombre de députés du camp centriste ont réagi à la dissolution avec colère, craignant pour leur survie politique.

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Emmanuel Macron, président de la France, au moment d’annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale, il y a une dizaine de jours.

Le plus récent sondage IFOP n’est pas de nature à les rassurer puisqu’il place le RN à 33 % des intentions de vote, devant la coalition de gauche, à 28 %, et la coalition centriste, à 18 %. Les Républicains du « canal historique » suivent loin derrière avec 5 % des voix, devant le groupe de candidats piloté par Éric Ciotti avec l’appui du RN. Tant M. Beaud que M. Ihl pensent que le camp du président va probablement finir troisième pour le nombre de voix.

Les jeux sont-ils faits pour autant ?

Le système de vote à deux tours utilisé en France lors des élections législatives fait en sorte qu’il est impossible de prédire, sur la base des intentions de vote nationales, comment les 577 sièges de l’Assemblée nationale seront répartis. Au niveau de chaque circonscription, les candidats appuyés par au moins 12,5 % des électeurs inscrits au premier tour demeurent en lice pour le second si aucun n’atteint le seuil de 50 %, ce qui peut donner lieu à des « triangulaires » avec trois candidats.

Lorsque la droite radicale était représentée au second tour, les formations traditionnelles appelaient à voter pour le candidat le plus susceptible d’empêcher la victoire de ses candidats, mais cette pratique s’est estompée avec la normalisation relative du RN et rend les projections encore plus complexes.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Olivier Ihl note que l’impopularité du leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui tient un discours controversé sur le conflit israélo-palestinien, l’Ukraine et l’Union européenne, risque de nuire au report des voix à gauche au second tour. « La part de la population qui a peur de LFI est plus élevée que celle qui a peur du RN », dit-il.

« On ne sait pas trop ce qui va se passer au deuxième tour », ajoute M. Beaud, qui se demande notamment comment voteront les partisans de la droite traditionnelle détestant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen s’ils doivent opter au deuxième tour pour un candidat de la coalition de gauche ou un autre du RN.

Quels sont les scénarios possibles à l’issue du second tour ?

Jordan Bardella, le président du RN, a indiqué qu’il accepterait de devenir premier ministre uniquement si sa formation remportait une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le président n’aurait d’autre choix que de désigner un premier ministre issu de la droite radicale et de s’engager dans une inconfortable cohabitation.

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Jordan Bardella, président du Rassemblement national

Si le RN ou la coalition de gauche arrive au premier rang sans majorité absolue de sièges, d’autres scénarios sont possibles, note M. Beaud. Une « grande coalition à l’allemande » – le Nouveau Front populaire, possiblement sans LFI, les partis centristes fidèles au président et des Républicains anti-RN – soutenant un premier ministre de gauche ou de droite modéré pourrait notamment être envisagée, relève l’analyste.

En attendant le verdict des urnes, sur quoi porte la campagne ?

Le camp centriste cherche notamment à faire valoir que les politiques défendues par le RN et la coalition de gauche précipiteraient une crise financière en France. Il propose des mesures susceptibles de réduire le coût de la vie, un thème sur lequel la coalition de gauche multiplie aussi les promesses. Le RN, qui avait promis d’abroger la réforme des retraites réalisée sous l’égide du président sortant, temporise ses promesses sur ce plan et se dit prêt à fonctionner en cohabitation avec Emmanuel Macron.

M. Ihl note que la prise en charge du gouvernement serait un défi de taille pour le RN. « Quand un parti populiste est dans l’opposition, il a le plus beau ministère, le ministère de la parole. L’arrivée au pouvoir les mettrait à l’épreuve de la vérité », dit-il.