Des violations « massives et horribles des droits de l’Homme » : les gouvernements ukrainien et néerlandais ont exposé mercredi devant la Cour européenne des droits de l’Homme leurs arguments en faveur d’une condamnation de Moscou pour ses agressions militaires à partir de 2014 et 2022 et la destruction du vol MH17 de la Malaysia Airlines.

Dans la salle comble de la Grande chambre, formation la plus solennelle de ce tribunal international installé à Strasbourg, seules les 11 places réservées aux représentants du Kremlin sont restées inoccupées, la Russie ayant choisi de ne plus répondre aux demandes de la cour peu après le début de la guerre en Ukraine.

Moscou n’ayant pas apporté de raisons pour expliquer son absence, le maintien de l’audience a été décidé pour permettre « une bonne administration de la justice », a déclaré en introduction la présidente, l’Irlandaise Siofra O’Leary.

Face aux 17 juges, Iryna Mudra, directrice adjointe du cabinet du président Volodymyr Zelensky, a dénoncé les « violations massives et systématiques des droits humains » commises par la Russie en Ukraine.

« Son comportement rappelle celui de l’Allemagne entre 1939 et 1945 », a-t-elle affirmé, pointant une ambition russe de « détruire l’Ukraine en tant qu’État et les Ukrainiens en tant que Nation ».

Les représentants de Kyiv ont rappelé comment, dès 2014, des « agitateurs ont été amenés dans le Donbass pour participer à un soulèvement » et ont procédé à des « meurtres de civils et des enlèvements », ainsi qu’à des « actes de tortures » sur des détenus.

« Désinformation organisée »

Ils sont revenus sur « l’invasion à grande échelle » menée à partir de février 2022 et l’usage « aveugle et disproportionné de la force » contre les civils et leurs biens, citant les exemples de Boutcha, Marioupol ou Irpin, et la « violation des corridors humanitaires », à Zaporijjia notamment.

À leur suite, les représentants du gouvernement néerlandais ont exposé leurs vues sur la destruction par un missile, le 17 juillet 2014, du vol MH17 parti d’Amsterdam vers la Malaisie, abattu dans la région de Donetsk, dans le Donbass, faisant 298 victimes.

La batterie « Buk Telar qui a tiré le missile était pilotée par des membres des forces armées russes, ou à tout le moins avec leur assistance », a soutenu Babette Koopman, du ministère des Affaires étrangères. « Les séparatistes ne disposaient pas de spécialistes capables de faire fonctionner » un tel équipement.

Représentant une association de proches des victimes, Peter Pieg a dénoncé « l’absence de coopération » de Moscou et la « désinformation organisée » autour de ce dossier, renforçant « le traumatisme » des familles.

« Il y a un an le magistrat chargé de l’enquête sur d’autres responsables (une première condamnation concernant trois hommes a été prononcée en 2022 par un tribunal néerlandais, NDLR) a dû suspendre l’enquête car la Russie ne transmet pas les informations », a-t-il souligné.

« Approche prudente »

Vingt-six États, dont la quasi-totalité des membres de l’UE, ont fait part de leurs observations au cours de la procédure. S’exprimant en leur nom, Henriette Busch, agente du gouvernement norvégien, a apporté son « soutien sans équivoque à l’Ukraine » et insisté sur sa « condamnation la plus ferme des violations flagrantes commises par la Russie ».

Outre les récits documentant les atteintes aux droits humains, les exposés ont porté sur la question de la « juridiction exercée » pendant le conflit par la Russie dans les régions d’Ukraine, soit sa responsabilité face aux faits commis sur un territoire étranger selon son degré de contrôle physique de ce territoire et des agents publics dans ces zones.

Sur cette question, la Pologne et le Royaume-Uni ont livré des visions divergentes, Varsovie appelant à ne pas « détacher l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme du contexte de guerre », quand Londres a au contraire réclamé une « approche prudente », craignant de possibles « répercussions négatives et graves sur la capacité des États à mener des opérations militaires internationales licites ».

La Russie, qui n’est plus partie à la Convention européenne des droits de l’Homme depuis le 16 septembre 2022, reste redevable devant la CEDH des violations commises avant cette date.

La décision de la Cour n’est pas attendue avant plusieurs mois.