Les partis de la droite radicale ont enregistré des progrès marqués dans plusieurs pays, au point même de précipiter des élections législatives en France, sans chambouler pour autant l’équilibre des forces à l’échelle continentale, lors des élections européennes conclues dimanche.

Le dépouillement partiel des votes indiquait en soirée que les formations centristes au Parlement européen étaient en position de conserver une majorité de sièges susceptible d’assurer une continuité politique à Bruxelles.

Le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe les partis de la droite traditionnelle de plusieurs pays membres, était donné gagnant du scrutin en fin de soirée avec 184 sièges, en hausse de 8.

Les 139 sièges attribués aux sociaux-démocrates et les 80 du groupe Renew devraient permettre aux membres de la « grande coalition » de dépasser confortablement le seuil critique de 360 requis pour assurer la poursuite de leur travail.

Les partis de la droite radicale, qui sont réunis principalement au sein du groupe Identité et démocratie (ID) et du Groupe des conservateurs et des réformistes européens (CRE), ont obtenu respectivement 58 et 73 sièges, une hausse d’une douzaine de sièges.

« Ils ont obtenu des gains assez significatifs qui ne menacent pas pour autant la majorité en place » au Parlement européen, a résumé à La Presse Jean-Yves Camus, politologue français rattaché à l’Observatoire des radicalités politiques.

Les cas français et allemand

« Des progrès incontestables ont cependant été enregistrés » dans certains pays, a précisé l’analyste, évoquant notamment les cas de la France et de l’Allemagne.

Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, qui est membre de l’ID, a servi une sévère rebuffade au président français, Emmanuel Macron, en remportant plus de 30 % des voix lors de l’élection, un score sans précédent représentant plus du double de l’appui obtenu par la formation du chef d’État. Un seul point de pourcentage les séparait lors du scrutin européen de 2019.

M. Macron a confirmé l’importance de la défaite en annonçant rapidement la tenue d’élections législatives anticipées, parlant d’une « décision grave, lourde » visant à doter la France d’une « majorité claire pour agir dans la sérénité et la concorde ». Le scrutin à deux tours qui sera utilisé s’avère traditionnellement plus difficile pour le RN que le scrutin proportionnel européen.

En Allemagne, une autre formation de la droite radicale, l’AfD, a fait bonne figure en terminant deuxième au scrutin avec 16 % des voix, devant le camp social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, qui a aussi été largement déclassé par les conservateurs.

M. Camus a indiqué que l’AfD avait obtenu un bon résultat même s’il avait fait campagne sur un « ton radical » et dû surmonter plusieurs controverses. L’un de ses chefs de file a suscité l’indignation en campagne en déclarant que les membres des Waffen SS, qui avaient joué un rôle central dans l’exécution de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, n’étaient « pas tous des criminels ».

Certains sondages suggéraient avant le scrutin européen que le poids de la droite radicale pourrait atteindre 30 % du total des sièges au Parlement européen, ce qui ne s’est pas matérialisé, le total demeurant plus près de 20 %.

Pour renforcer sa position, Marine Le Pen avait multiplié récemment les appels au rapprochement avec le CRE, qui regroupe notamment le parti de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, sortie aussi largement gagnante dimanche du vote dans son pays.

Le centre tient bon

M. Camus doute que ces deux formations fassent formellement alliance, notamment, dit-il, parce que la dirigeante italienne est « pragmatique » et ne veut pas d’une confrontation frontale avec la Commission européenne susceptible de compromettre les intérêts de son pays.

Les formations de la droite radicale seront quoi qu’il en soit en meilleure position pour œuvrer en faveur d’une « Europe des nations » moins centralisatrice, une réduction des cibles environnementales et une politique d’immigration plus restrictive, dit-il.

Cette dernière question, ajoute l’analyste, apparaît plus que jamais comme un enjeu profondément clivant sur le continent.

À l’est de Berlin, la plupart des pays veulent arrêter l’immigration extraeuropéenne. Et la question divise de plus en plus à l’ouest, comme on le voit avec ce vote.

Jean-Yves Camus, politologue français rattaché à l’Observatoire des radicalités politiques

Les difficultés économiques, liées notamment à l’inflation, sont aussi fréquemment évoquées pour expliquer la montée de la droite radicale.

M. Camus pense que la situation témoigne aussi du fait que les dirigeants européens n’ont pas réussi, à travers les années, à développer un « narratif collectif » susceptible de rallier la population.

« Un peu partout en Europe, les gens ont une vision claire des désagréments qui viennent de l’Union européenne, que ce soit les tracasseries administratives ou les normes à respecter. Mais mettez-leur le nez sur une route neuve construite avec des fonds structurels européens et ils ne la voient pas », commente-t-il.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui est issue du PPE, s’est félicitée malgré tout que « le centre tienne » et qu’une majorité d’électeurs se soient prononcés en faveur d’une « Europe centrale forte ».

La politicienne, qui sollicite un nouveau mandat de cinq ans à la tête de la Commission européenne, a assuré dans la même veine que sa formation et ses alliés veilleraient à « construire un rempart contre les extrêmes ».

Quelques pays en bref

La confirmation de l’Italie

La cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, arrivée au pouvoir en 2022, avait fait du scrutin européen une forme de référendum et a été récompensée par une large victoire. Frères d’Italie, sa formation de droite radicale, a obtenu plus de 25 % des voix après en avoir reçu moins de 7 % en 2019. La gauche est arrivée derrière avec près de 22 % des voix.

Le score hongrois

Le parti Fidesz, du premier ministre hongrois, Viktor Orbán, a obtenu 44 % des voix lors du scrutin. Le score, bien qu’élevé, représente un recul de près de 10 points de pourcentage pour la formation du politicien conservateur, qui a souvent eu maille à partir avec les autorités européennes, notamment sur les questions d’immigration et la guerre en Ukraine.

Le nationalisme autrichien

La droite radicale a aussi fait bonne figure en Autriche, le parti nationaliste FPÖ ayant remporté 27 % des voix, devant les conservateurs et les sociaux-démocrates. Les Verts ont enregistré un fort recul, reflétant une baisse de popularité des formations écologistes qui s’est manifestée dans plusieurs pays ayant participé au scrutin européen.