(Moscou) Un tribunal de Moscou a placé vendredi en détention provisoire un Français, Laurent Vinatier, collaborateur d’une ONG suisse de règlement des conflits, arrêté la veille et accusé de collecter des renseignements sur l’armée russe.

Cette affaire tombe en pleine aggravation des tensions entre Moscou et Paris : la Russie est soupçonnée d’une série d’actes de déstabilisation et de désinformation en France, tandis que la France se voit reprocher son soutien croissant à l’Ukraine.

Le président Emmanuel Macron a appelé vendredi la Russie à libérer sans délai M. Vinatier, estimant que « les éléments de propagande qui ont été donnés sur lui (par Moscou) ne correspondent pas à la réalité ».

Le tribunal Zamoskvoretski de Moscou a ordonné, à la demande des enquêteurs, le placement en détention de Laurent Vinatier, 47 ans, au moins jusqu’au 5 août, en vue d’un éventuel procès, ont constaté des journalistes de l’AFP.  

Lors de l’audience vendredi, le seul chef d’accusation cité contre lui a été de ne pas s’être enregistré comme « agent de l’étranger », délit passible de cinq ans de prison. Cette législation est utilisée par les autorités russes pour réprimer ou surveiller leurs détracteurs.

PHOTO NATALIA KOLESNIKOVA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Laurent Vinatier

Durant l’audience, M. Vinatier, en jeans et chemise noire dans la cage réservée aux accusés, a présenté « ses excuses pour ne pas s’être enregistré ». « Dans tout mon travail, j’ai toujours essayé […] de présenter, soutenir, expliquer l’intérêt de la Russie », a-t-il ajouté.

Son avocat Alexeï Sinitsyne a souligné que son client « ne savait pas » qu’il était obligé de s’enregistrer sous ce label. Il a demandé, en vain, le placement de M. Vinatier –– marié et père de quatre enfants - en résidence surveillée à Moscou, chez son épouse.

L’AFP n’a vu aucun représentant de l’ambassade de France à l’audience.

« Sécurité de l’État »

Le Comité d’enquête, puissant organe russe, avait affirmé jeudi que M. Vinatier recueillait des informations sur les activités militaires russes qui, « si elles sont obtenues par des sources étrangères, pourraient être utilisées contre la sécurité de l’État ». Ce qui pourrait conduire à d’autres poursuites.

Selon des sources interrogées par l’AFP, le Français travaillait depuis des années sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine, avant même l’assaut de février 2022, dans le cadre de discrets efforts diplomatiques en parallèle des États.  

Son employeur, l’ONG suisse Centre pour le dialogue humanitaire (HD), a dit vendredi faire « tout son possible pour aider » M. Vinatier, qui « vit en Suisse et voyage régulièrement pour son travail ».

Selon Emmanuel Macron, Laurent Vinatier n’est « en aucun cas […] quelqu’un qui travaillait, qui travaille pour la France ».

Les médiateurs d’ONG comme HD travaillent dans la confidentialité et hors des carcans de la diplomatie classique. Cela permet des contacts informels entre adversaires, mais peut aussi exposer ces acteurs à des accusations d’espionnage.

Tensions avec Paris et Berne

L’arrestation de M. Vinatier intervient au moment où Paris s’efforce de convaincre ses alliés de dépêcher des instructeurs militaires en Ukraine pour former les soldats ukrainiens.

M. Macron a assuré vendredi soir lors d’une conférence de presse à Paris avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky vouloir « finaliser une coalition » de pays prêts à apporter une telle aide.

Cette arrestation est aussi survenue au lendemain de l’interpellation en région parisienne d’un Russo-Ukrainien soupçonné d’avoir projeté une action violente en lien avec une entreprise « terroriste » en France, à moins de deux mois de l’ouverture des Jeux olympiques à Paris.

La Russie est aussi soupçonnée de multiples actions d’ingérence, d’intimidation ou de désinformation, accusations qu’elle rejette.

Parmi les actions pour lesquelles de tels soupçons pèsent : des cercueils installés début juin au pied de la tour Eiffel, des tags en mai sur le mémorial de la Shoah, des étoiles de David bleues marquées au pochoir à Paris et dans sa banlieue en octobre 2023.

Plusieurs Américains sont déjà détenus dans des prisons russes. Moscou est accusée de procéder à de telles arrestations pour ensuite négocier des échanges et faire libérer ses agents.  

C’est le cas du journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d’espionnage malgré ses dénégations, celles de ses proches, de son pays et de son employeur.  

La Suisse et la Russie entretiennent aussi des relations difficiles du fait de l’Ukraine.

Le Kremlin considère que la Confédération helvétique ne respecte pas son statut de neutralité, car elle a adopté les sanctions européennes et accueille les 15-16 juin un sommet de la paix à la demande de Kyiv, sans la Russie.

Les responsables russes accusent la Suisse d’« avoir perdu toute crédibilité en tant que pays neutre » et vilipendent ce sommet.

D’autres Occidentaux arrêtés en Russie

Evan Gershkovich

Le journaliste américain du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, 32 ans, est emprisonné à Moscou depuis mars 2023.

Arrêté par les services de sécurité russes (FSB) lors d’un reportage à Ekaterinbourg, dans l’Oural, il est accusé d’espionnage, crime passible de vingt ans de prison, malgré ses dénégations, celles de ses proches, de son pays et de son employeur.

Moscou semble vouloir l’échanger contre un homme condamné en Allemagne pour avoir commis un assassinat pour le compte des services spéciaux russes.

Paul Whelan

Un autre ressortissant américain, l’ex-marine Paul Whelan, 54 ans, qui a également les nationalités britannique, irlandaise et canadienne, est emprisonné en Russie depuis décembre 2018. Il rejette lui aussi les accusations d’espionnage qui lui ont valu en juin 2020 une peine de 16 ans de prison.

Arrêté par les services spéciaux russes (FSB) dans un hôtel du centre de Moscou, il était alors directeur de la sécurité internationale du groupe américain BorgWarner, un fabricant de pièces détachées dans le secteur automobile, et s’était selon lui rendu au mariage d’un ami.

Alsu Kurmasheva

La journaliste russo-américaine de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), Alsu Kurmasheva, 47 ans, a été arrêtée en Russie en octobre 2023 pour ne pas s’être enregistrée en tant qu’« agent de l’étranger ».

Selon son employeur, elle est également accusée de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe, passible de 15 ans de prison.

Sa détention provisoire a été prolongée fin mai jusqu’au 5 août par un tribunal de la ville russe de Kazan, où elle est incarcérée.

La journaliste, qui résidait avant son arrestation à Prague, s’était rendue en Russie pour rendre visite à sa mère malade le 20 mai 2023, mais n’avait pas pu repartir, ses passeports américain et russe lui ayant été confisqués.

Gordon Black

Le soldat américain Gordon Black, 34 ans, arrêté début mai et dont le procès s’est ouvert jeudi à Vladivostok, dans l’Extrême-Orient russe, est accusé de « vol » et de « menace de meurtre » et risque jusqu’à cinq ans de prison.

Déployé en Corée du Sud selon les médias américains, il était venu en Russie pour vivre une relation amoureuse avec une Russe, Alexandra Vachtchouk, qu’il est accusé d’avoir battue et volée.

Ksenia Karelina

En février, le service fédéral de sécurité (FSB) a annoncé l’arrestation à Ekaterinbourg d’une ressortissante russo-américaine de 33 ans, résidente de Los Angeles, pour « trahison ».

Le FSB accuse la jeune femme, identifiée comme étant Ksenia Karelina par les médias, d’avoir réalisé un don à l’armée ukrainienne. La trahison est passible d’une peine allant jusqu’à la détention à vie.

Brittney Griner

La basketteuse américaine Brittney Griner, âgée aujourd’hui de 33 ans, est pour sa part restée en détention pendant neuf mois en Russie pour possession d’une cigarette électronique contenant du liquide de cannabis. Condamnée à neuf ans de prison, elle a été libérée en décembre 2022 en échange du marchand d’armes russe Viktor Bout, emprisonné pendant dix ans aux États-Unis.