(San Diego) Les rangées de tentes apparaissent au détour d’une clairière, dans un secteur poussiéreux du parc Balboa, où se trouve le célèbre zoo de San Diego, plusieurs musées et espaces verts.

Les 320 tentes alignées sur un ancien stationnement font penser à un camp de réfugiés. Ceux qui y vivent peuvent effectivement être considérés comme des réfugiés, qui ont fui des conditions de vie difficiles dans la rue.

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Shayla Hupperts et son chien Wavey

Shayla Hupperts peut en témoigner : à 26 ans, elle a vécu plus de 10 ans dans des campements, où elle a déjà été violée et battue. « L’itinérance, c’est très difficile pour les femmes », confie-t-elle, en flattant son chien Wavey.

En obtenant une place, en décembre dernier, au site de Safe Sleeping installé par la Ville de San Diego, avec l’aide de l’organisme Dreams for Change, qui gère l’endroit, la jeune femme s’est trouvé deux emplois comme agente de sécurité. Elle est maintenant en attente d’un logement subventionné. Mais d’ici là, vivre dans une tente, dans un endroit sécuritaire, lui convient très bien.

« Les gens qu’on reçoit boudent les refuges traditionnels, où les règlements sont très contraignants », explique Teresa Smith, PDG de Dreams for Change.

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Teresa Smith, PDG de l'organisme Dreams for Change

Ici, il y a moins de restrictions. On ne tolère pas la drogue ni la violence, mais les animaux sont acceptés et les gens peuvent vivre en couple. Ceux qui formaient une communauté dans un campement ailleurs peuvent aussi être regroupés en s’installant ici, pour conserver leurs liens.

Teresa Smith, PDG de Dreams for Change

L’endroit est censé servir d’hébergement temporaire. Depuis son ouverture, en octobre 2023, 68 campeurs ont emménagé dans des appartements permanents.

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La salle de lavage

Les résidants du site peuvent y trouver un semblant de normalité. Il y a des toilettes, des douches et une salle de lavage. Deux repas par jour sont livrés sur place, et il y a aussi un coin cuisine sous un auvent. Des infirmières de l’organisme Healthcare in Action viennent chaque jour avec leur fourgonnette.

L’endroit est calme en plein jour : la majorité des résidants travaillent. Ils peuvent se rendre en ville facilement grâce à un service de navettes assuré par des minibus électriques.

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Chris Coleman

Quand Chris Coleman a perdu sa femme, morte d’un cancer en 2017, il a sombré dans la dépression et a tout perdu, confie-t-il, en attendant sa lessive près de la salle de lavage. Après quatre ans d’itinérance et d’abus de drogues, l’homme de 65 ans est en train de remettre sa vie sur les rails : ancien chauffeur de camion, il récupérera bientôt son permis de conduire pour reprendre le boulot. « Je reçois aussi de l’aide pour obtenir les subventions auxquelles j’ai droit en raison de mon âge », dit-il.

Il existe un autre site de Safe Sleeping, comptant 130 tentes, à San Diego.

« Il a fallu un peu de travaux pour aménager les terrains : amener l’électricité, l’eau courante, les égouts, désherber », explique John J. Lowther, de la Ville de San Diego, qui a supervisé l’installation du site. Les tentes étaient conçues à l’origine pour la pêche sur glace, révèle-t-il. Elles n’ont pas de plancher en toile mais sont installées sur des plateformes de bois, et on peut s’y tenir debout.

Safe Parkings

En plus des sites de camping, la Ville a aménagé quatre stationnements sécuritaires à différents endroits. Des gens qui vivent dans une roulotte ou une autocaravane peuvent s’y installer et recevoir divers services.

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Ce Safe Parking accueille des familles en situation d'itinérance.

Le Safe Parking que nous visitons, un peu à l’extérieur de la ville, propose 12 grandes roulottes, fournies par la Ville, pour loger des familles. Ce sont des caravanes destinées à recevoir des sinistrés lors de grandes catastrophes, qui n’avaient jamais servi.

Elles sont dotées de grandes salles de bains et de six couchages. À l’extérieur, un espace de jeu a été installé. Les enfants peuvent aussi faire du vélo le long des roulottes. Des repas sont livrés chaque jour.

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Nichole McCune, directrice des Safe Parkings pour le Jewish Family Service, qui gère le site

« Ce n’est pas facile de loger des familles dans des refuges, les chambres sont souvent exiguës », souligne Nichole McCune, directrice des Safe Parkings pour le Jewish Family Service, qui gère le site. « Ici, ils ont plus d’espace et d’intimité. »

Ici aussi, la majorité des résidants ont un boulot, alors que leurs enfants vont à l’école.

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John J. Lowther, de la Ville de San Diego

Ils travaillent à plein temps pour Amazon, McDonald’s ou Starbucks, mais leur salaire n’est pas suffisant pour faire vivre une famille. Les trois quarts d’entre eux sont sans-abri pour la première fois, parce qu’ils n’arrivent plus à payer un appartement.

John J. Lowther, de la Ville de San Diego

Même si ces initiatives ont ajouté plusieurs options de logement temporaire, il n’y a toujours pas assez de places pour tous les itinérants de San Diego qui souhaitent avoir un lit. Le dernier décompte mené par la Ville a dénombré plus de 10 000 sans-abri, en hausse de 18 %, alors qu’il n’y a que 2400 places dans les refuges et campements municipaux, sur une population de 1,4 million.

« Nous avons un service centralisé pour savoir où des lits sont disponibles, mais il y en a seulement de 15 à 20 qui s’ouvrent chaque jour, et ils sont distribués en moins de 45 minutes », révèle Nicholas Miller, superviseur des services de coordination pour la San Diego Housing Commission. « Quand il n’y a plus de place, les gens doivent rester dans la rue. »