(Winooski, Vermont) Pâtisseries à la pistache, yogourts fermentés, bonbons colorés, conserves importées : le petit marché Nada, à Winooski, accueille les amateurs de saveurs moyen-orientales. La communauté arabe n’est pas très grande dans cette banlieue de Burlington, mais elle est bien accueillie, assure le directeur du commerce, Ahmad Aref.

« Les gens sont vraiment gentils, très amicaux », insiste l’homme de 51 ans d’une voix feutrée.

Winooski est à plus de 9000 km de Bagdad, d’où il est originaire. Ni sa femme ni lui ne quitteraient maintenant le Vermont, où ils ont emménagé en 2009 avec leurs trois enfants – un quatrième est né sur le sol américain –, suivant les traces d’un parent arrivé avant eux.

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Ahmad Aref et Ohood Abdulkhaleq ont quitté l’Irak en guerre en 2005 pour s’installer en Jordanie. Ils ont gagné les États-Unis en 2009.

« Pour moi, le rêve américain, ça veut dire vivre dans un endroit sûr, dans un endroit en paix », explique sa femme Ohood Abdulkhaleq, le visage encadré par un hijab noir.

Un idéal américain

La notion de « rêve américain » a été popularisée en 1931 par l’historien James Truslow Adams et son livre The Epic of America. « Dans un sens très large, c’est cette idée que les aspirations personnelles sont réalisables », explique au téléphone l’historien Jim Cullen, auteur de nombreux essais, dont The American Dream : A Short History of an Idea That Shaped a Nation.

Le concept n’est pas exclusif aux États-Unis, précise-t-il. « Mais je pense que c’est assez proche d’être central dans la notion de l’identité américaine, que c’est aussi à la base du patriotisme américain, une idée à laquelle les gens adhèrent », ajoute-t-il.

Dans le contexte politique actuel, les divisions sont mises de l’avant. Mais un certain idéal s’inscrit dans la continuité.

Le Sine Institute of Policy and Politics, rattaché à l’American University à Washington, a sondé les adultes de 18 à 34 ans, il y a deux ans, pour savoir à quoi ressemblerait pour la jeune génération un « rêve américain réinventé ». Leurs réponses semblent en phase avec… la Déclaration d’indépendance de 1776 et son droit à « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ».

Quel est le rêve américain réinventé pour les jeunes ?

Se sentir personnellement heureux et accompli

  • Absolument essentiel : 60 %
  • Très important : 27 %

Succès financier

  • Absolument essentiel : 50 %
  • Très important : 31 %

Se marier

  • Absolument essentiel : 27 %
  • Très important : 24 %

Se sentir patriotique et fier d’être Américain

  • Absolument essentiel : 21 %
  • Très important : 21 %

Sondage réalisé auprès d’Américains de 18 à 34 ans par le Sine Institute of Policy and Politics, rattaché à l’American University à Washington

Peu importe leur orientation politique, leur appartenance ethnique et leur genre, une forte majorité d’entre eux ont répondu que « se sentir personnellement heureux et accompli » était l’élément le plus important de ce « rêve réimaginé ».

La liberté de prendre des décisions, des relations interpersonnelles significatives et le succès financier étaient aussi parmi les éléments les plus populaires.

Mais les jeunes restent conscients des obstacles sur leur chemin : le manque de ressources financières, les sentiments d’anxiété et d’impuissance, le manque de confiance envers les institutions sont les plus grands défis cités par les répondants.

En danger

« Le rêve américain ne s’est pas réalisé à la hauteur des idéaux sur lesquels il a été pensé et nous devons constamment travailler pour essayer de rendre cette idée aussi réelle que possible », exprime au téléphone Bill McKibben, auteur et militant écologiste du Vermont.

Pour cet homme de 63 ans, précurseur du combat contre les changements climatiques, le rêve américain est en péril. « Pour moi, ce qui le définit, c’est qu’on vit dans un des plus beaux pays du monde, et c’est aussi l’idée derrière sa création, de se gouverner soi-même », dit-il. Or, les dérèglements climatiques modifient sa géographie et menacent ses habitants, déplore-t-il.

Et comme une majorité d’Américains de toutes allégeances, M. McKibben s’inquiète pour l’avenir de la démocratie.

Il se bat aujourd’hui pour ses idéaux, tant écologiques que démocratiques. Ce partisan du sénateur vermontois Bernie Sanders craint un retour du républicain Donald Trump au pouvoir, et mobilise les Américains plus âgés sur les enjeux qui lui sont chers, avec son organisme 3rd Act.

« C’est important de s’intéresser aux jeunes, mais le vote de la génération plus âgée aussi est important, rappelle-t-il. Après tout, on est vieux plus longtemps qu’on est jeune. »

Difficile citoyenneté

L’immigrant arrivé aux États-Unis avec quelques dollars en poche et qui parvient à gravir les échelons de la société est aussi un mythe tenace du rêve américain. Des centaines de milliers d’étrangers continuent chaque année de mettre le cap sur les États-Unis, dans l’espoir d’une vie meilleure.

Mais le chemin reste parsemé d’embûches.

« Aux États-Unis, il y a la paix publique et des lois, mais pour les gens à faibles revenus, c’est un endroit de survie, confie Uzima Bora, originaire du Congo. Un bon pays où vivre si vous êtes riche. »

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Uzima Bora, mère de quatre enfants, estime la vie américaine particulièrement difficile avec peu de moyens, mais meilleure que la situation qu’elle a fuie au Congo.

La trentenaire et sa cousine de 43 ans, Mwajuma Ntirampeba, sont assises dans une salle de l’organisme Association of Africans Living in Vermont (AALV), à Burlington. Elles s’expriment en swahili, accompagnées d’une interprète.

La vie est meilleure aux États-Unis que dans leur pays en guerre ou dans le camp de réfugiés burundais qu’elles ont fui il y a six ans, précise Mme Bora. L’aide-soignante a cependant hâte d’obtenir pour de bon sa citoyenneté, se sentant « apatride » ; les services de l’immigration et de la citoyenneté accusent d’importants retards depuis 10 ans dans le traitement des demandes d’asile. Les deux cousines n’ont pas encore leur citoyenneté américaine.

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Mwajuma Ntirampeba, mère de sept enfants, trouve aussi la vie américaine difficile.

Mère de sept enfants, Mme Ntirampeba confie avoir déchanté au fil des ans. « Ce n’est pas du tout comme ce à quoi je m’attendais », déplore la femme aux grands yeux bruns.

Des démêlés avec les services sociaux, qu’elle attribue à la naïveté de sa famille, ont particulièrement terni ses espoirs d’une vie plus sereine.

« Je me bats contre le système, je me bats contre le racisme systémique et je suis tellement stressée mentalement qu’il y a des moments où je me sens comme si je préférerais retourner en Afrique, parce qu’au moins, mes sources de stress là-bas m’étaient familières », dit-elle, les mains croisées sur la table.

Obstacles à la réalisation de ses buts et de son rêve américain*

Manque d’argent et de ressources financières 

62 %

Défis de santé mentale, y compris le sentiment d’impuissance et l’anxiété

48 %

Peur de la violence ou de ne pas se sentir en sécurité

24 %

Inégalité raciale

19 %

* Les répondants étaient invités à choisir trois facteurs.

Sondage réalisé auprès d’Américains de 18 à 34 ans par le Sine Institute of Policy and Politics, rattaché à l’American University à Washington

Défis communs

En plus des difficultés touchant les nouveaux arrivants, comme l’apprentissage de la langue, la reconnaissance des compétences acquises à l’étranger et la recherche d’un travail, s’ajoutent les défis communs à l’ensemble de la population, comme la hausse importante du coût de la vie, souligne Yacouba Jacob Bogre, directeur exécutif de l’AALV.

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Originaire du Burkina Faso, le directeur exécutif de l’Association for Africans Living in Vermont, Yacouba Jacob Bogre, s’est installé à Burlington parce que sa femme avait étudié dans cet État.

« Depuis la COVID, le prix des logements a augmenté de façon astronomique », illustre, en français, l’homme originaire du Burkina Faso.

Dans les couloirs de l’organisme, les membres de la communauté sont invités à se servir dans les boîtes de pousses vertes et de légumes frais disposés sur une table. Si l’AALV a été fondée à l’origine pour les immigrés africains, elle offre maintenant son aide à tous les nouveaux arrivants.

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Les membres de la communauté sont invités à prendre des légumes dans les locaux de l’AALV.

Sur le mur du bureau de M. Bogre, une illustration d’un arbre est encadrée, avec l’inscription en anglais « Gratitude : épanouis-toi là où tes racines sont plantées ».

Il n’a « pas encore senti trop de peur » parmi les nouveaux arrivants, malgré l’année électorale houleuse et la rhétorique anti-immigration chère à une frange de politiciens. Il souligne le côté particulièrement accueillant du Vermont, comme l’ont aussi répété M. Aref et Mme Abdulkhaleq.

Pour le jour de l’Indépendance, la famille d’origine irakienne, ayant maintenant la citoyenneté américaine, a prévu de se rendre dans un parc pour regarder les feux d’artifice.

« C’est pour le plus jeune, il veut tout voir », précise en souriant Mme Abdulkhaleq. Ce garçon, né aux États-Unis, s’exprime mieux en anglais qu’en arabe. « Je suis fière de mes enfants et de leur facilité à s’exprimer en anglais, ils m’apprennent beaucoup », ajoute-t-elle.

Le système politique et le rêve américain

48 % des répondants estiment que le système politique leur a nui, contre 27 % qui jugent qu’il les a aidés

Sondage réalisé auprès d’Américains de 18 à 34 ans par le Sine Institute of Policy and Politics, rattaché à l’American University à Washington