La Cour suprême des États-Unis s’apprêterait à autoriser temporairement les avortements d’urgence lorsque la santé de la femme est en danger en Idaho, selon une copie de ce qui semble être le jugement qui est brièvement apparue sur le site web du tribunal mercredi.

La décision, non signée, rejette l’affaire pour des raisons de procédure, déclarant que la Cour suprême n’abordera pas le fond du litige pour l’instant, selon le document de 22 pages, qui a été publié par Bloomberg News. Une telle décision rétablirait une décision d’un tribunal fédéral inférieur qui avait suspendu l’interdiction quasi totale de l’avortement en Idaho et déclaré que les hôpitaux de l’État pouvaient pratiquer des avortements d’urgence, si cela s’avérait nécessaire pour protéger la santé de la mère.

L’affaire porte sur la question de savoir si une loi fédérale exigeant des soins d’urgence pour tout patient l’emporte sur l’interdiction stricte de l’avortement en Idaho, qui ne permet la procédure que dans de rares exceptions, notamment lorsque la vie de la femme enceinte est en danger.

Il n’était pas clair si le document était définitif, et une porte-parole de la Cour suprême a seulement déclaré qu’une décision dans les affaires jointes Moyle v. United States et Idaho v. United States serait éventuellement publiée.

Le service des publications de la Cour a téléchargé par inadvertance et brièvement un document sur le site web de la Cour. La décision de la Cour dans les affaires Moyle v. United States et Idaho v. United States sera publiée en temps voulu.

Patricia McCabe, porte-parole de la Cour suprême des États-Unis

La décision non signée, qualifiée de « per curiam », c’est-à-dire « par la Cour », est divisée à 6 contre 3. La juge Ketanji Brown Jackson a rédigé un accord partiel et une dissidence partielle. Elle écrit qu’elle aurait estimé que la loi fédérale l’emportait sur l’interdiction stricte de l’Idaho, ajoutant qu’elle pensait que la Cour suprême devrait immédiatement examiner la question plutôt que de la renvoyer à la juridiction inférieure.

Les juges libéraux, ainsi que les juges Amy Coney Barrett et Brett Kavanaugh et le président de la Cour suprême, John Roberts, ont tous rédigé des avis concordants ou s’y sont associés. Trois des juges conservateurs de la Cour, Samuel Alito, Clarence Thomas et Neil Gorsuch, ont exprimé leur désaccord.

Le document mis en ligne est daté du 26 juin. Mais la Cour n’a annoncé que deux décisions ce matin-là. Aucune ne concernait l’avortement.

Conserver l’accès aux avortements d’urgence

Si le document reflète une décision finale, ce serait la deuxième fois cette année que les juges évitent de se prononcer sur le bien-fondé de l’avortement. Le jugement publié mercredi, qui déclarait que l’affaire avait été « accordée de manière inappropriée », laissait entendre que les juges ne se prononceraient pas sur le fond, mais qu’ils se contenteraient de dire que l’accès aux avortements d’urgence serait maintenu pendant que l’affaire suit son cours.

Dans son opinion concordante, la juge Elena Kagan a déclaré que la décision « empêchera l’Idaho d’appliquer son interdiction de l’avortement lorsque l’interruption d’une grossesse est nécessaire pour éviter de graves préjudices à la santé d’une femme ».

Selon elle, la loi fédérale en question, connue sous le nom d’Emergency Medical Treatment and Labor Act, « exige sans ambiguïté » que les hôpitaux recevant des fonds fédéraux fournissent tout traitement médical nécessaire pour stabiliser un patient.

Ketanji Brown Jackson est d’accord avec cette évaluation. Lorsqu’elle a accepté d’examiner l’affaire, la Cour suprême a également permis à l’interdiction de l’avortement dans l’Idaho d’entrer temporairement en vigueur, provoquant ce qu’elle a décrit comme une « catastrophe » totalement inutile qui a duré des mois. Les médecins de l’État « ont été contraints de se retirer et de regarder leurs patientes souffrir, ou de prendre des dispositions pour que leurs patientes soient transportées par avion hors de l’Idaho », a-t-elle ajouté.

Toutefois, elle s’est écartée de la majorité en déclarant qu’un rejet pour des raisons de procédure ne devait pas devenir un moyen pour la Cour de reporter certaines questions.

« Nous ne pouvons pas simplement remonter le temps jusqu’à la situation qui prévalait avant que la Cour ne s’immisce dans cette affaire, a écrit la juge Jackson. Il n’y a tout simplement aucune raison valable de ne pas résoudre ce conflit maintenant. »

Une question « mûre pour une décision »

Dans son opinion dissidente, le juge Alito a reconnu que la Cour aurait dû statuer sur le fond de l’affaire, qualifiant son rejet de revirement déroutant.

« Cette question est aussi mûre pour une décision qu’elle ne le sera jamais, a écrit M. Alito. Apparemment, la Cour a tout simplement perdu la volonté de trancher la question facile, mais émotionnelle et hautement politisée que présente cette affaire. C’est regrettable. »

PHOTO ERIN SCHAFF, ARCHIVES REUTERS

Le juge Samuel Alito

Pour lui, écrit-il, la loi fédérale « n’oblige pas les hôpitaux à pratiquer des avortements en violation de la loi de l’Idaho ». Au contraire, a-t-il ajouté, elle exige des hôpitaux recevant un financement de Medicare « de traiter, et non d’avorter, un “enfant à naître” ».

Mme Barrett a semblé trouver un terrain d’entente. Même si elle a écrit qu’elle était d’accord avec le rejet, la portée de la loi de l’Idaho avait « changé de manière significative – deux fois » depuis le début du procès et les positions des parties avaient « rendu l’étendue du litige floue, au mieux ».

Son opinion concordante fait écho aux questions qu’elle a posées lors de la plaidoirie, lorsqu’elle s’est concentrée sur les circonstances dans lesquelles la loi de l’État autoriserait les avortements d’urgence et celles dans lesquelles de telles procédures seraient interdites.

Même si les défenseurs du droit à l’avortement se sont félicités de l’issue apparente de l’affaire de l’Idaho, ils ont prévenu qu’il ne s’agissait pas d’une victoire éclatante.

« Si l’avis qui a fuité est exact, il est clair que les femmes enceintes ne sont pas tirées d’affaire, loin de là », a déclaré Alexa Kolbi-Molinas, directrice adjointe du projet sur la liberté de reproduction de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union’s Reproductive Freedom Project).

« Ne vous y trompez pas : la Cour suprême avait la possibilité d’affirmer une fois pour toutes que toute personne enceinte a le droit fondamental de bénéficier de soins d’urgence en cas d’avortement, mais il semble qu’elle ne l’ait pas fait. »

Une décision élargie dans l’affaire de l’Idaho pourrait avoir des implications pour plus d’une douzaine d’États qui ont promulgué des interdictions quasi totales depuis que la Cour a renversé l’arrêt Roe c. Wade en 2022.

La loi fédérale sur les soins d’urgence était considérée comme l’un des rares – et étroits – moyens dont disposait l’administration Biden pour contester les interdictions d’avortement dans les États et en préserver l’accès, bien que la bataille judiciaire n’affecte qu’un nombre et un type limités de patientes.

L’Idaho avait demandé à la Cour suprême d’intervenir après qu’un panel de 11 membres de la Cour d’appel du 9circuit eut temporairement bloqué la loi. En acceptant d’entendre l’affaire, les juges ont rétabli l’interdiction.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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