De plus en plus d’États américains espèrent générer des revenus en introduisant une nouvelle taxe sur les armes à feu. Le but ? Réinvestir l’argent dans la prévention et les soins médicaux.

Le Dr Joseph Sakran est passé à un cheveu de la mort à 17 ans. Une bagarre a dégénéré lors d’un match de football. Il a reçu un projectile d’arme dans le cou.

« C’est ce qui m’a amené à devenir chirurgien spécialisé en traumatologie », explique au téléphone le professeur et directeur des urgences chirurgicales du Johns Hopkins Hospital de Baltimore.

PHOTO JOSE LUIS MAGANA, ARCHIVES THE ASSOCIATED PRESS

Le Dr Joseph Sakran témoigne devant une audience sur la violence par arme à feu de la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, en 2019.

Des blessés par balle, il en a vu défiler au fil des ans. La ville la plus populeuse du Maryland est marquée depuis une dizaine d’années par la violence. De 2015 à 2022, elle a enregistré plus de 300 homicides par an, pour une population avoisinant les 600 000 habitants. Sans compter les blessés.

Le coût de la violence

Au-delà des conséquences sur les victimes et leurs proches, la violence a un prix : les blessures et leurs répercussions coûtent quelque 557 milliards US annuellement, selon une étude de Harvard publiée en 2022. Une facture assumée notamment par les individus, les hôpitaux, le système de santé et les assureurs.

Des lois pour taxer les armes à feu ont été proposées dans une demi-douzaine d’États récemment. La Californie est devenue la première à l’adopter ; à partir du 1er juillet, une taxe de 11 % sera imposée sur la vente d’armes à feu et de munitions, pour financer des programmes de prévention de la violence. L’implantation d’une nouvelle taxe similaire sera soumise au vote au Colorado aux élections de novembre.

Les législateurs du Maryland ont aussi commencé au printemps l’étude d’une proposition visant à taxer la vente d’armes à feu et de munitions. Plus de la moitié de l’argent ainsi récolté irait au Maryland Trauma Physician Services Fund et à un centre de traumatologie affilié à l’Université du Maryland. Le reste serait versé à des programmes de prévention.

Personne ne se réveille le matin en pensant être blessé dans la journée. Mais tout le monde s’attend à être pris en charge si ça arrive.

Le Dr Joseph Sakran

Le Dr Sakran, qui juge que les services en traumatologie sont sous-financés, milite depuis des années pour davantage de mesures pour le contrôle des armes à feu.

« J’ai réalisé que, peu importe tout le bien qu’on peut faire comme médecin, quand quelqu’un arrive à l’hôpital avec une balle dans la tête, il y a très peu de choses qu’on peut faire », dit celui qui siège au Brady Board to Prevent Gun Violence.

L’opposition des lobbies proarmes

Les lobbies proarmes voient d’un mauvais œil les projets de taxation des armes.

« Les droits sont donnés aux citoyens des États-Unis, et il ne devrait pas y avoir de frais pour les exercer », dénonce, au téléphone, Andi Turner, porte-parole de la Maryland State Rifle and Pistol Association. L’organisme est affilié à la National Rifle Association (NRA), un puissant groupe défendant les droits des détenteurs d’armes.

Mme Turner ne remet pas en question les besoins financiers en traumatologie ou les problèmes de violence. Mais les élus se trompent de cible, selon elle, en faisant porter le poids d’activités criminelles aux détenteurs légaux d’armes à feu.

« Pensez-vous que les membres de gangs paient des taxes ? », commente-t-elle.

Des armes volées

Dru Stevenson, professeur du South Texas College of Law spécialisé dans les politiques sur les armes à feu, réfute cet argument. « La majorité des armes utilisées par les criminels viennent indirectement de propriétaires légaux d’armes à feu », souligne-t-il.

En 2022, près de 112 000 pistolets ont été déclarés volés, selon l’organisme pour le contrôle des armes à feu Everytown, qui a compilé des données du FBI. Plus de la moitié de ces armes se trouvaient dans un véhicule.

« Les gens aiment avoir leur arme dans leur auto, et les voleurs le savent : c’est la première chose qu’ils vont vérifier lors d’un cambriolage de voiture, parce que ça a une valeur de revente », explique M. Stevenson.

Mais pour Mme Turner, c’est d’abord une question de respect du deuxième amendement, qui permet aux citoyens de détenir une arme, répète-t-elle. Elle ne s’oppose pas à la taxe fédérale de 11 % sur les ventes d’armes à feu, qui existe depuis les années 1930 pour financer un fonds de conservation de la faune, citant sa longue existence. Mais trouve « ridicule » l’idée d’une taxation supplémentaire.

Pas de solution simple

Une nouvelle taxe peut être une avenue intéressante pour générer des revenus supplémentaires – davantage que pour dissuader les futurs acheteurs, estime M. Stevenson. « Mais, parfois, c’est aussi à double tranchant, parce qu’une législature pourrait ne pas prévoir d’argent pour ce poste budgétaire, en se disant que des fonds sont déjà prévus pour ce programme », dit-il.

En cette année électorale, il s’attend à ce que les questions sur la sécurité, la violence et les armes à feu restent au premier plan des inquiétudes des électeurs – avec des opinions aux antipodes, suivant la ligne de chaque parti.

« Il n’y a pas de solution simple pour résoudre le problème de violence par arme à feu ; c’est une série de mesures qu’il faut », ajoute-t-il.

L’histoire jusqu’ici

26 septembre 2023

Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, signe une loi pour ajouter une taxe de 11 % sur la vente d’armes à feu et de munitions, pour subventionner des programmes de prévention et de sécurité dans les écoles. L’État est le premier à adopter une taxe de ce genre.

6 mai 2024

La législature de l’État du Colorado adopte une loi pour imposer une taxe de 6,5 % sur la vente d’armes à feu, sur laquelle les citoyens seront appelés à se prononcer le 5 novembre prochain. La proposition initiale d’une taxe de 11 % a été revue à la baisse. Les revenus générés iraient principalement aux victimes d’actes criminels.

1er juillet 2024

La nouvelle taxe californienne sur les armes à feu et les munitions entrera en vigueur. Des contestations juridiques sont attendues.

1er avril 2025

Si la nouvelle taxe est adoptée au Colorado, elle entrera en vigueur le 1er avril 2025 au plus tôt.