Je vous rassure. Je ne vise pas des personnes en particulier dans mon titre. Je parle plutôt de tous ces gouvernements occidentaux qui nous chantent la liberté, l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination, mais qui possèdent encore des colonies à l’autre bout du monde.

Je sais que parler de colonie est un peu fort, mais j’assume. Pour améliorer l’acceptabilité de ces dernières poches de résistance des entreprises coloniales, ces dominants préfèrent parler de collectivités territoriales ou de territoires d’outre-mer.

Si j’aborde le sujet, c’est à cause de cette saga qui se joue en Nouvelle-Calédonie depuis quelques semaines. Cependant, avant d’aller plus loin, je dois préciser que je suis contre l’usage de la violence comme outil de revendication politique lorsque la porte d’accès à ces demandes par des méthodes plus démocratiques est encore ouverte.

Une fois cette précision posée, je dois ajouter qu’il y a quelque chose qui me dérange profondément dans les derniers développements de cette insurrection néo-calédonienne. Dernièrement, on apprenait que 11 Kanaks indépendantistes, dont le porte-parole de la cause, Christian Tein, avaient été interpellés par les services de sécurité. Jusque-là, on peut comprendre les raisons.

Là où je décroche complètement, c’est lorsqu’on nous annonce que ces accusés seront déplacés de la terre de leurs ancêtres pour être jugés et enfermés en France. Cette pratique très colonialiste est indigne d’un pays qui se targue d’être celui des droits de l’homme.  

Quand est-ce que la France va décoloniser la Nouvelle-Calédonie ? Quand est-ce que les Nations unies vont oser réclamer ostensiblement une décolonisation des territoires encore occupés de la sorte ?

Pouvez-vous imaginer qu’en 2024, 17 territoires à décoloniser sont encore recensés par cette organisation sur la planète ?

Je parle ici de la France, mais la Grande-Bretagne et les États-Unis détiennent numériquement bien plus de ces territoires que l’Hexagone. D’ailleurs, je suis assez vieux pour me souvenir de la guerre des Malouines de 1982. Entre le 2 avril et le 14 juin de cette année-là, la dictature argentine qui réclamait la souveraineté de son pays sur ses îles a vu son armée s’incliner rapidement devant la puissance de feu britannique. Cette guerre avait fait 907 victimes, dont plus des deux tiers étaient des militaires argentins.

À l’époque, le jeune lycéen que j’étais n’arrivait pas à comprendre comment Margaret Thatcher pouvait prétendre que ce territoire situé à plus de 12 000 km de son pays était sous sa gouverne. Aujourd’hui, je sais que le cas des Malouines est un exemple parmi d’autres territoires à décoloniser, y compris la Nouvelle-Calédonie. Oui, je sais que les Néo-Calédoniens ont déjà eu l’occasion de prendre leur destin en main, mais ont choisi le statu quo.

Ce que je dénonce ici, ce sont les manigances politiques destinées à briser les ailes du mouvement indépendantiste de ces autochtones qui vivent dans un système d’occupation et de discrimination qui dure depuis 1853.

En cherchant à élargir le corps électoral à 25 000 électeurs natifs ou résidents depuis 10 ans, le président Emmanuel Macron veut aussi diminuer durablement le poids politique des indépendantistes. Cette vicieuse manœuvre semble pourtant ne pas déranger les chancelleries occidentales. Ainsi va la vie dans notre monde.

Bienvenue dans le système d’indignation à géométrie variable ! Ici, quand le régime de Pékin ramène douloureusement dans son giron Hong Kong, qui était un territoire arraché par la Grande-Bretagne à la Chine en 1841 après la première guerre de l’opium, tout le monde crie à l’injustice. Cependant, des nations occidentales perpétuent une autre forme de colonialisme en toute impunité. 

Voulez-vous des noms de victimes ? Voici quelques territoires avec leur pays colonisateur : Polynésie française (France), îles Caïmans (Grande-Bretagne), Samoa américaines (États-Unis), île Pitcairn (Grande-Bretagne), Bermudes (Grande-Bretagne), Gibraltar (Grande-Bretagne), îles Turques et Caïques (Grande-Bretagne), îles Vierges britanniques (Grande-Bretagne), îles Vierges américaines (États-Unis), Anguilla (Grande-Bretagne), Montserrat (Grande-Bretagne), îles Malouines (Grande-Bretagne), Sainte-Hélène, Ascension et Tristan da Cunha (Grande-Bretagne), Guam (États-Unis), Nouvelle-Calédonie (France), Tokélaou (Nouvelle-Zélande).

Vous remarquerez que dans cette liste, la Grande-Bretagne est encore la nation qui a le plus de territoires non décolonisés sur la planète. La France arrive en troisième position juste après les États-Unis. 

Pour des raisons géostratégiques ou économiques, ces puissances militaires s’accrochent à ces terres bien loin de leur pays. Je parle de puissances, car dans certains cas, la présence de bases militaires stratégiques demeure la principale raison qui fait perdurer ces poches de résistance à la décolonisation. Évidemment, dans les territoires qui n’abritent pas des populations autochtones rêvant d’indépendance, le statu quo est un peu plus défendable.

Cependant, dans les contrées habitées par des autochtones, il est absolument abject, comme le fait la France en Nouvelle-Calédonie, d’user de manœuvres politiques douteuses pour miner leur poids politique et les empêcher de s’émanciper.

Je vois d’ailleurs une certaine contradiction dans ce projet de loi qui a allumé le feu en Nouvelle-Calédonie. D’un côté, le gouvernement d’Emmanuel Macron refuse d’entendre les anxiétés identitaires des Kanaks, mais de l’autre, pendant cette campagne électorale pour les législatives françaises, des formations politiques passent beaucoup de temps à parler de reconquête des territoires dits perdus de la République, de grand remplacement, de déchéance de nationalité, de suppression du droit du sol, de limitation de l’accès à la nationalité à des critères de mérite et d’assimilation, etc.

Comme contradiction, il est difficile de trouver plus surréaliste.