(Port-Au-Prince) L’anticipation se mêle à la peur en Haïti, alors que le pays accueille la quatrième intervention étrangère majeure de son histoire pour lutter contre la violence des gangs qui étouffe ce pays des Caraïbes.

Quelques centaines de policiers du Kenya, qui se préparent à se déployer dans les prochains jours, ont rencontré mercredi matin le premier ministre Garry Conille. Personne, à l’exception des hauts fonctionnaires, ne sait exactement quelle sera leur mission qui, selon les responsables, est motivée par des raisons de sécurité.

Le premier contingent de policiers étrangers soutenu par l’ONU est arrivé lundi. Ces officiers seront ensuite rejoints par des policiers et des soldats des Bahamas, du Bangladesh, de la Barbade, du Bénin, du Tchad et de la Jamaïque, pour un total de 2500 personnes.

« La stratégie haïtienne consiste à rétablir la sécurité maison par maison, quartier par quartier, ville par ville », a déclaré M. Conille, mercredi, lors de sa rencontre avec la police kenyane.

Reste à savoir si cela se produira. Les gangs contrôlent 80 % de Port-au-Prince et sont mieux équipés que la Police nationale d’Haïti, brandissant des fusils d’assaut et exhibant des munitions sur les réseaux sociaux, notamment des balles de calibre 50.

Un mandat délicat

Les attentes sont grandes. Les Haïtiens ont peur et sont fatigués des gangs qui ont pillé la capitale Port-au-Prince et ses environs, tuant, violant et kidnappant des milliers de personnes, ces dernières années, et laissant des centaines de milliers d’autres sans-abri et sans-emploi.

PHOTO ROBERTO SCHMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des personnes à la recherche d’une assistance médicale font la queue devant une clinique mobile installée pour la journée par l’Alliance pour l’action médicale internationale dans un camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays abritant quelque 5 000 personnes à Port-au-Prince.

Le 29 février, des gangs ont lancé des attaques coordonnées qui ont finalement conduit le premier ministre Ariel Henry à démissionner. Ils ont attaqué plus de deux douzaines de commissariats de police, ouvert le feu sur le principal aéroport international, le forçant à rester fermé pendant près de trois mois, et pris d’assaut les deux plus grandes prisons d’Haïti, libérant plus de 4000 détenus.

La mission dirigée par le Kenya en Haïti devra prouver son efficacité, avance Sabrina Karim, professeure adjointe à l’Université Cornell de New York, spécialiste des conflits et des processus de paix.

« C’est un mandat très délicat qui nécessite de l’expérience et de solides connaissances locales », a-t-elle déclaré, soulignant que les Kenyans doivent gagner la confiance des Haïtiens déjà méfiants à l’égard d’un gouvernement longtemps lié à la corruption et aux gangs. « La question de la responsabilité est vraiment importante. Cela détermine en fin de compte si le public haïtien acceptera ou non la mission. »

PHOTO MARCKINSON PIERRE, ASSOCIATED PRESS

Le Premier ministre haïtien Garry Conille serre la main de la police kenyane dans leur base à Port-au-Prince.

Les interventions précédentes ont mal tourné. La mission de maintien de la paix de l’ONU de 2004 à 2017 a été entachée d’allégations d’agressions sexuelles et d’introduction du choléra, qui a tué près de 10 000 personnes.

« Le bilan n’est pas non plus excellent pour la police kenyane, souligne Mme Karim lors d’un entretien téléphonique. Tous les regards sont tournés vers la police kenyane pour démontrer qu’elle peut faire mieux. »

La police kenyane est confrontée depuis des années à des allégations d’abus, notamment d’exécutions extrajudiciaires. Plus récemment, ils ont été accusés d’avoir ouvert le feu sur des manifestants qui ont pris d’assaut le parlement de la capitale kenyane mardi.

Les enfants à risque

Les organisations à but non lucratif qui travaillent en Haïti se sont déclarées préoccupées par la mission dirigée par le Kenya, surtout depuis que l’ONU a récemment annoncé qu’entre 30 % et 50 % des membres des groupes armés sont désormais des enfants.

« Le risque de faire des victimes parmi les enfants est important », a déclaré l’organisation à but non lucratif américaine Save the Children dans un communiqué. « Un nombre croissant d’enfants en Haïti ont été poussés à rejoindre des groupes armés en raison de la faim et du désespoir. Ces enfants sont victimes de violations de leurs droits et doivent être traités comme des enfants et non comme des milices. »

L’OBNL a noté que les agences humanitaires ont reçu des « rapports alarmants » faisant état de groupes armés utilisant des enfants et des adolescents lors d’affrontements avec la police haïtienne.

Pour l’instant, les Haïtiens surveillent de près les Kenyans avec des sentiments mitigés.

« Je demande au premier ministre et aux Kenyans de libérer Haïti de ces gangs », s’est exprimé Mathurin Jean François, un professeur de mathématiques de 30 ans au chômage depuis deux ans parce que la violence des gangs a forcé la fermeture de son école. « Beaucoup de gens souffrent. »

« Il y a un vent d’espoir dans l’air », a témoigné Frantz Pradieu, un menuisier de 39 ans qui fabriquait une table, son premier travail depuis plusieurs mois.

« Si les Kenyans travaillent dur, peut-être que dans quelques mois, l’économie se redressera, espère-t-il. Beaucoup de gens veulent travailler. Beaucoup de gens ont perdu leur emploi. La situation est catastrophique depuis trois ans. Tout le monde vit dans la peur. Des gens sont kidnappés. Des gens sont violés. Cela doit cesser. »

Dánica Coto a rapporté ces informations depuis San Juan, Porto Rico.