(Pékin) Depuis 2022, Gong Junli attend. Depuis que sa fille de 8 ans, Xinyue, a été tuée à coups de couteau, son corps jeté dans un bois dans le nord-ouest de la Chine, il imagine le jour où son meurtrier sera enfin traduit en justice.

Mais rendre justice est compliqué quand l’accusé est un enfant.

Selon la police, le garçon qui a tué Xinyue avait 13 ans à l’époque. Son procès, qui a commencé mercredi, doit composer avec un enjeu qui tenaille la société chinoise : que faire des enfants accusés de crimes odieux ?

Partout au monde, on peine à trouver l’équilibre entre la punition et le pardon pour les enfants. Mais le débat est très vif en Chine, où la relative indulgence à l’égard des jeunes délinquants contraste fortement avec les droits limités des accusés adultes. Longtemps le gouvernement a privilégié l’éducation et la réhabilitation plutôt que l’emprisonnement. Mais la donne a changé.

Meurtres très médiatisés

Une série de meurtres très médiatisés commis par des enfants au cours des dernières années a amené de nombreux Chinois à réclamer plus de sévérité. Le gouvernement a réagi. Le meurtre de Xinyue est une des premières affaires à faire l’objet d’un procès depuis que l’État a abaissé de 14 à 12 ans la responsabilité criminelle pour meurtre et d’autres crimes graves.

PHOTO ANDREA VERDELLI, THE NEW YORK TIMES

Gong Junli, père de la fillette tuée en 2022 par un voisin de 13 ans

Cette année, plusieurs affaires ont relancé le débat, dont deux dans le centre de la Chine. En janvier, la police a abandonné les poursuites contre un garçon accusé d’avoir tué une fillette de 4 ans en la poussant dans une fosse à purin. Il avait moins de 12 ans, donc était trop jeune pour être poursuivi. En mars, la police de Handan a mis en accusation trois garçons de 13 ans pour avoir tué un camarade de classe dans une serre abandonnée, où ils avaient creusé une tombe.

Les mots-clics liés à ce meurtre ont attiré plus de 1 milliard de vues en une journée, juristes et internautes ordinaires réclamant un châtiment sévère, voire la peine de mort pour les trois garçons. Certains affirment que les jeunes sont plus tentés par le crime, sachant qu’ils ne peuvent être punis.

Un professeur de droit criminel, suivi par 30 millions d’abonnés sur les médias sociaux, a accusé de « relativisme moral » ceux qui cherchent à épargner les mineurs.

Parents absents, enfants négligés

Mais d’autres ont souligné des facteurs, comme des parents absents ou la pauvreté. Bien des Chinois s’inquiètent de ce que les enfants pauvres des zones rurales – où ont eu lieu certaines affaires très médiatisées – sont abandonnés au nom du progrès économique, laissés pour compte par leurs parents partis au loin en quête d’un meilleur emploi.

Sous la pression de l’opinion publique, la Cour populaire suprême a édicté en mai de nouvelles directives sur la délinquance juvénile : les parents pourraient désormais être tenus responsables des actes commis par leurs enfants.

Selon M. Gong, Xinyue était une enfant au tempérament doux qui aimait les mangues, les fraises et l’émission La Pat’ Patrouille. Le 25 septembre 2022, ses grands-parents la gardaient tandis que M. Gong, père célibataire, travaillait à un chantier de construction à 160 km de là. Le père de M. Gong l’a appelé : Xinyue était disparue.

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Le village où Gong Xinyue a été assassinée par un mineur.

M. Gong s’est précipité chez lui, un hameau pauvre d’environ 40 maisons niché au milieu de champs de maïs et de pommes de terre en terrasses dans la province de Gansu. À son arrivée, Xinyue avait été retrouvée, morte.

La police a arrêté le fils d’un voisin, âgé de 13 ans. Selon l’acte d’accusation, montré au Times par M. Gong, le garçon s’était mis à « haïr les femmes » parce qu’il était « mécontent des méthodes disciplinaires de sa mère ».

Le garçon, que M. Gong dit reconnaître, mais sans plus, avait placé un couteau dans le bosquet, puis y avait conduit Xinyue et l’avait poignardée dans le cou. L’acte d’accusation cite des preuves matérielles, des témoignages et les aveux du garçon.

Le Times a tenté de joindre les parents du garçon, en vain. Un média du Parti communiste chinois, Red Star News, cite la mère de l’enfant, Mme Chen. Elle ne dit pas si elle pense que son fils a tué Xinyue, mais elle s’excuse et dit avoir offert une compensation à la famille Gong.

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Gong Junli, devant une photo de sa fille, Gong Xinyue

Mme Chen ajoute que son fils avait été victime de brimades et qu’une fois, des camarades de classe l’avaient forcé à manger des excréments. Elle admet aussi l’avoir battu à cause de ses mauvaises notes.

Après l’arrestation du garçon, M. Gong s’attendait à un procès dans les plus brefs délais et à une condamnation à mort, compte tenu des nombreux crimes qui peuvent entraîner cette peine en Chine.

Les procureurs ont mis un an pour inculper le garçon. Quand M. Gong a appris que la loi interdisait l’exécution de mineurs, il s’est indigné.

La loi prétend protéger les mineurs. « [Mais] l’enfant que nous avons perdue a-t-elle été protégée ? », demande-t-il.

Une justice assez progressiste envers les mineurs

La Chine a longtemps été vue comme assez progressiste en matière de justice des mineurs, plus que certains pays occidentaux, note Anqi Shen, professeure de droit à l’Université Northumbria, en Angleterre.

Les conventions internationales recommandent d’établir l’âge de la responsabilité criminelle à 12 ans. (C’est le cas au Canada. Aux États-Unis, cet âge varie selon les États, la plupart n’ayant pas fixé de limite inférieure.) Durant les années 1970, la Chine a fixé cet âge à 14 ans.

Au cours des dernières années, Pékin a encouragé les procureurs à orienter les jeunes délinquants vers des programmes éducatifs ou des travaux communautaires. Partout au monde, des études montrent que l’emprisonnement des mineurs ne contribue guère à réduire la récidive. De 2008 à 2022, le nombre de condamnations de mineurs a chuté de près de 70 %.

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La chambre vide de Gong Xinyue, assassinée à l’âge de 8 ans

Toutefois, le traitement des mineurs de 12 à 14 ans posait encore plus de difficulté. En 2018, un garçon de 12 ans a été autorisé à retourner à l’école quelques jours après avoir tué sa mère : il n’y avait pas d’autre option, selon la police, qui ne pouvait pas l’inculper.

Le tollé qui a suivi a incité l’État à abaisser en 2021 l’âge de la responsabilité criminelle à 12 ans, explique Zhang Jing, qui conseille l’Association chinoise pour la prévention de la délinquance juvénile, à Pékin.

Mais il n’est pas certain que le taux de criminalité juvénile soit vraiment en hausse.

Selon la Cour populaire suprême, 12 000 mineurs ont été condamnés durant le premier trimestre 2024, une hausse de 80 % par rapport à 2023. Mais cela pourrait s’expliquer par la plus grande sévérité des procureurs et non par l’augmentation du nombre de crimes commis par des mineurs, selon les experts.

La Chine ne publie pas de statistiques sur les arrestations et les médias sociaux magnifient l’effet des cas individuels.

Environ 70 millions d’enfants laissés pour compte

Le débat sur le châtiment éclipse les considérations sur la prévention : comment aider les enfants laissés à eux-mêmes qui commettent des crimes ?

Selon des études, ces laissés pour compte – il y en a environ 70 millions – sont plus susceptibles d’être victimes de brimades ou de sévices, en partie parce qu’ils manquent de surveillance ou d’affection. Selon les médias d’État, les trois garçons accusés d’avoir tué un camarade de classe à Handan étaient des laissés pour compte, tout comme la victime.

De nombreux Chinois ont réagi en exhortant les parents à rentrer chez eux pour élever leurs enfants, ou réclamé que les parents soient tenus responsables en cas de négligence avérée.

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Gong Junli montre une photo de sa fille, Gong Xinyue, tuée en 2022.

Mais selon M. Zhang, à Pékin, ces opinions ignorent la cause première de l’exil des parents, loin de leurs enfants. La Chine interdit à la plupart des enfants de fréquenter des écoles hors de leur lieu d’origine : les travailleurs ne peuvent pas emmener leurs enfants avec eux.

Punir les parents ne sert à rien. Ne vaudrait-il pas mieux changer l’environnement des parents ?

Zhang Jing, consultant pour l’Association chinoise pour la prévention de la délinquance juvénile

M. Zhang réclame aussi plus de ressources pour la réhabilitation et la prévention, comme des policiers formés pour s’occuper des mineurs.

M. Gong souligne lui aussi les choix impossibles que doivent faire les parents. Il s’est souvent absenté des semaines ou des mois, parce qu’il ne trouvait pas de travail chez lui.

« Qui ne souhaite pas offrir une vie meilleure à son enfant ou à sa famille ? Mais chacun doit le faire à sa manière », dit-il.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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