(Kandahar, Afghanistan) Le changement climatique met en péril l’abandon de l’opium par les talibans et pourrait avoir des répercussions à l’échelle mondiale.

Deux ans après l’interdiction de l’opium par les talibans, les agriculteurs afghans découvrent que certaines cultures anciennes ne poussent plus facilement dans leur pays en raison du changement climatique, mettant en péril les efforts d’éradication du pavot.

Pendant des décennies, les agriculteurs du sud de l’Afghanistan ont compté sur le pavot à opium pour gagner leur vie dans cette région aride. Même lorsque la sécheresse prolongée tarissait les rivières et asséchait les champs, les robustes pavots prospéraient.

Les talibans ont interdit le pavot pour des raisons religieuses après avoir pris le pouvoir en Afghanistan, en 2021. Mais ces agriculteurs se disent incapables de gagner leur vie avec le blé et le coton : le marché a été inondé depuis l’interdiction de l’opium et les prix ont chuté. D’autres grandes cultures de fruits et légumes qui poussaient autrefois dans cette région – aubergines, grenades, abricots – sont devenus ardues, voire impossibles en raison des conditions difficiles, que des chercheurs afghans attribuent au changement climatique.

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Des réfugiés dans un camp de la province de Kandahar, rentrés en Afghanistan après avoir fui au Pakistan durant la guerre

Des agriculteurs abandonnent leurs champs. D’autres envisagent de revenir au pavot ou défient l’interdiction.

« S’ils ne font pas leurs frais, ils planteront à nouveau du pavot », affirme Shams-u-Rahman Musa, haut responsable de l’agriculture à Kandahar pour le gouvernement taliban, qui est conscient de la frustration des agriculteurs : « On fait tout ce qu’on peut pour trouver des solutions. »

Si la transition du pavot à d’autres cultures se soldait par un échec, il pourrait y avoir des conséquences bien au-delà des frontières afghanes. Selon les Nations unies, l’Afghanistan était le premier exportateur mondial d’opium avant la prise de pouvoir par les talibans, avec plus de 80 % de l’offre mondiale avant que la production s’effondre l’an dernier.

Le gouvernement essaie maintenant d’identifier des cultures possibles dans un sol sec à forte teneur en sel. On fonde des espoirs sur le safran et la pistache, mais le choix de la variété sera déterminant. L’Afghanistan a demandé à d’autres pays de lui trouver des semences modifiées assez robustes pour y être cultivées.

Hausse spectaculaire de la température

La baisse des revenus agricoles est la plus prononcée dans le sud du pays, où poussaient les deux tiers du pavot à opium afghan avant l’interdiction.

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Mohammad Taher, 30 ans, à l’œuvre dans un champ de cumin dans la province de Kandahar, où poussait autrefois le pavot à opium

Alors que les températures moyennes annuelles en Afghanistan ont augmenté de 1,8 °C depuis 50 ans – deux fois l’augmentation moyenne mondiale –, la tendance a été encore plus forte – 2,4 °C – dans le sud du pays, selon les autorités afghanes.

Grâce à leurs racines profondes, de nombreux arbres fruitiers résistaient bien aux canicules. Mais le niveau de la nappe phréatique dans le bassin de la rivière Helmand a baissé de 2,6 m en moyenne entre 2003 et 2021. Selon plusieurs modèles climatiques, la situation va s’aggraver durant les prochaines décennies. Les précipitations hivernales, de la plus haute importance pour les agriculteurs, devraient diminuer beaucoup dans le sud.

Dans le passé, la pluie lessivait le sel des champs, mais la salinité du sol a augmenté en raison de la sécheresse prolongée des dernières années. « Le pavot pousse bien, mais pas grand-chose d’autre », observe Abdul Jalal, un responsable de l’irrigation à Kandahar.

Les agriculteurs les plus pauvres souffrent le plus. Ataullah Noorzai, un villageois de 30 ans de la province de Kandahar, dit que sa terre est devenue si salée qu’il ne peut plus cultiver que du blé et de l’orge, moins touchés par la salinité. Mais ces cultures lui rapportent si peu qu’il a déjà emprunté 250 kg de blé à un voisin pour les vendre au marché et qu’il doit trouver un moyen de rembourser son emprunt.

  • Les toxicomanes du centre de désintoxication de Herat apprennent des métiers comme boulanger.

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    Les toxicomanes du centre de désintoxication de Herat apprennent des métiers comme boulanger.

  • Bashir Ahmad Durrani, 38 ans, passe du temps avec ses enfants dans la province de Kandahar.

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    Bashir Ahmad Durrani, 38 ans, passe du temps avec ses enfants dans la province de Kandahar.

  • Asana, 9 ans, la fille de Durrani, portant dans ses bras Zaid Ahmad, 2 ans, près de la maison familiale. Sa sœur Hafiza l’accompagne.

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    Asana, 9 ans, la fille de Durrani, portant dans ses bras Zaid Ahmad, 2 ans, près de la maison familiale. Sa sœur Hafiza l’accompagne.

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Certains de ses voisins ont réussi à amener de l’eau douce par des canaux et à éliminer beaucoup de sel, puis à planter des grenadiers, une culture plus rentable. Une solution hors de prix pour M. Noorzai, qui s’accroche à l’espoir – bien mince – de pluies abondantes et soutenues qui lessiveraient le sel.

Selon Zabihullah Mujahid, porte-parole du gouvernement taliban, des efforts sont en cours dans toutes les provinces pour identifier les cultures céréalières et fruitières de substitution les plus rentables.

Dans une ferme expérimentale de Kandahar, l’ancien gouvernement soutenu par les États-Unis avait planté des grenadiers pour évaluer leur résistance à la chaleur. Près de 80 variétés sont cultivées aujourd’hui entre des murs pare-souffle criblés de balles.

Mais, de plus en plus, cette stratégie contre le changement climatique semble une cause perdue. Certains responsables gouvernementaux estiment que les grenadiers sont la solution de choix, leurs racines très profondes leur donnant une chance de trouver de l’eau. Mais M. Jalal, le responsable local de l’irrigation, se désole de leur mauvaise croissance dans les zones désertiques à forte salinité.

Certains succès initiaux déçoivent maintenant. La sécheresse prolongée de ces dernières années a eu raison des pêchers, qu’il a fallu abattre, et les vignes expérimentales ont été brûlées par le soleil, explique M. Jalal.

Les fermiers s’appauvrissent

Au début, l’interdiction de l’opium semblait réussir, mais les revers agricoles changent la donne. L’an dernier, des images satellite ont révélé que la production d’opium avait chuté de 99,9 % dans le Helmand et de 90 % au Kandahar, autrefois le cœur de la culture.

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Bashir Ahmad, 31 ans, discutant du prix du blé au marché où il travaille à Kandahar

Mais dans les capitales provinciales du sud de l’Afghanistan, on s’inquiète désormais de la surabondance de blé et de coton. Même avant la récolte actuelle, l’offre avait déjà abaissé les prix.

Cela cause des tensions dans les marchés du sud de l’Afghanistan, mais certains en profitent. Les exportations afghanes sont en plein essor, se félicite Abdul Manan, négociant en coton dans un marché de Helmand, arborant un large sourire.

Mais très vite, le voilà houspillé par des agriculteurs. « Dis la vérité ! », crient-ils, ignorant le policier chargé de suivre l’équipe du Washington Post.

  • Un marché de coton dans la province de Helmand

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    Un marché de coton dans la province de Helmand

  • Le fermier Haji Wazir, 55 ans, expliquant les difficultés causées par l’interdiction du pavot, dans un marché de coton de la province de Helmand

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    Le fermier Haji Wazir, 55 ans, expliquant les difficultés causées par l’interdiction du pavot, dans un marché de coton de la province de Helmand

  • Des ballots de coton dans un marché de la province de Helmand

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    Des ballots de coton dans un marché de la province de Helmand

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« Lorsque je cultivais le pavot, c’était cinq fois plus payant et bien plus facile », affirme Haji Wazir, 55 ans, un agriculteur. « Aujourd’hui, on ne fait même pas nos frais. »

La grogne contre l’interdiction du pavot monte aussi ailleurs dans le pays. En mai, de violents affrontements ont éclaté entre producteurs d’opium et policiers dans le nord-est de l’Afghanistan, où les talibans peinent à imposer leur autorité. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la culture du pavot dans la province de Badakhshan n’a diminué que de 56 % entre 2021 et l’an dernier.

Parallèlement, de riches propriétaires terriens qui ont pu stocker le pavot avant l’interdiction peuvent aujourd’hui l’exporter à des prix bien plus élevés, ce qui décuple la frustration et la colère des fermiers.

  • Des écoliers passent devant des policiers talibans qui s’apprêtent à pénétrer dans un champ de pavot et à le détruire, dans la province de Parwan.

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    Des écoliers passent devant des policiers talibans qui s’apprêtent à pénétrer dans un champ de pavot et à le détruire, dans la province de Parwan.

  • Des policiers talibans détruisant un champ de pavot à Parwan

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    Des policiers talibans détruisant un champ de pavot à Parwan

  • Un champ de pavot détruit à Parwan

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    Un champ de pavot détruit à Parwan

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Même chez les talibans chargés d’imposer l’interdiction de l’opium, on commence à douter, comme Ahmad Jan Frotan, chargé d’aller de maison en maison à la recherche de contrevenants dans la province de Parwan, dans le centre de l’Afghanistan : « Je ressens de la pitié », admet ce policier de 28 ans, qui a étudié l’agriculture tout en combattant les Américains.

« Les gens manquent d’argent », dit-il, exhortant le chef suprême des talibans à « travailler pour tous les Afghans et Afghanes ».

À la recherche d’une solution de rechange

Selon Hayatullah Rohani, chef de l’escouade des narcotiques à Herat, deuxième ville d’Afghanistan, l’industrialisation pourrait remplacer les revenus tirés de l’opium.

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De jeunes hommes encadrés par Mohammad Arif, lui-même ex-toxicomane, dans un centre taliban de désintoxication, à Herat

Herat est un centre industriel et Rohani souhaite que des centaines d’usines soient construites. « Chaque usine pourrait employer 500 personnes, pas juste des agriculteurs, d’ex-drogués aussi. »

Selon les autorités afghanes, plus de 10 % de la population se droguait quand les talibans ont pris le pouvoir en 2021. Il n’y a pas de statistiques plus récentes, mais on voit peu de toxicomanes dans les rues de Kaboul, d’Herat et d’autres villes. Ils ont été envoyés par milliers dans des centres de désintoxication.

L’un d’eux, à Herat, fait penser à un camp de prisonniers. Des toxicomanes surveillés par des gardes armés de bâtons s’entassent dans des bâtiments exigus.

  • Le centre de désintoxication de Herat fait penser à un camp de prisonniers.

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    Le centre de désintoxication de Herat fait penser à un camp de prisonniers.

  • Ataullah Noorzai, 30 ans, cultivait le pavot à opium, mais s’est reconverti dans la culture du blé et de l’orge. L’espace vert au loin est une ancienne base militaire canadienne.

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    Ataullah Noorzai, 30 ans, cultivait le pavot à opium, mais s’est reconverti dans la culture du blé et de l’orge. L’espace vert au loin est une ancienne base militaire canadienne.

  • Du pain sort du four au centre de désintoxication de Herat.

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    Du pain sort du four au centre de désintoxication de Herat.

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M. Rohani était fier d’expliquer que ses pensionnaires apprennent à réparer du matériel industriel et des téléphones portables, en vue de l’industrialisation du pays. Mais comme partout en Afghanistan, l’argent manque, se plaint M. Rohani, y compris pour la piscine qu’il espérait faire construire pour aider les toxicomanes à se rétablir.

« Malheureusement, la saison chaude approche », dit-il.

Cet article a d’abord été publié dans le Washington Post.

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