Le gouvernement kényan souffle le chaud et le froid dans l’espoir d’endiguer la vague de manifestations déclenchée à la mi-juin par l’annonce de l’introduction de nouvelles taxes.

Après que les forces de sécurité eurent ouvert le feu à balles réelles sur une foule qui tentait de prendre d’assaut le parlement la semaine dernière, le président William Ruto avait défendu leur travail en soulignant la nécessité de contrer l’action de « traîtres » encourageant « la violence et l’anarchie ».

Le lendemain, le chef d’État avait changé radicalement de ton en relevant que la population avait fait entendre sa colère face au projet budgétaire du gouvernement et annoncé dans la foulée qu’il serait retiré.

Il avait également promis que le gouvernement entamerait un dialogue avec les jeunes de la « génération Z », à l’origine du mouvement de contestation, pour identifier leurs priorités, et que l’exécutif ainsi que les élus du Parlement reverraient leurs propres dépenses pour contribuer à l’assainissement des finances publiques.

Plusieurs élus avaient pris pour habitude de mettre en ligne des photos de leurs déplacements à l’étranger ou de leurs conditions de vie privilégiées, alimentant l’indignation.

Après de nouvelles manifestations qui ont tourné à l’affrontement dans plusieurs villes, dont Nairobi, le ministère de l’Intérieur a fustigé mardi dans un communiqué les actions de groupes criminels visant à faire « régner la terreur » dans le pays et promis de sévir en conséquence.

Nouvelle vague de colère populaire

Bien que le projet de loi budgétaire controversé ait été retiré, de nombreuses personnes sont allées manifester pour réclamer le départ du président William Ruto, qui était arrivé au pouvoir en 2022 en promettant de venir en aide aux classes défavorisées.

« Il a dit ce qu’il devait dire pour accéder à la présidence. Ensuite, il a complètement changé de discours… Je pense qu’il n’y a plus grand monde qui croit aujourd’hui ce qu’il affirme », a commenté mardi Patrick Gathara, journaliste et auteur kényan qui suit de près les protestations en cours.

PHOTO JOHN MUCHUCHA, REUTERS

Un homme porte un cercueil lors d’un rassemblement dénonçant les assassinats de manifestants par la police, à Nairobi, au Kenya, mardi.

Plutôt que d’aider la population, le président a imposé après son élection une série de mesures d’austérité visant à freiner la progression de la dette du pays, qui représente 70 % du PIB.

Une vague de manifestations alimentée par l’opposition politique était survenue au printemps 2023 en réaction à la hausse du coût de la vie et d’allégations de fraude électorale, mais s’était essoufflée après quelques mois.

PHOTO LUIS TATO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un manifestant dans un nuage de gaz lacrymogènes à Nairobi, mardi

Les protestations actuelles sont différentes, note M. Gathara, puisqu’elles ont été lancées par des jeunes en rupture avec la classe politique traditionnelle, vue comme inefficace et corrompue.

[Les jeunes qui manifestent] ont constaté que le système auquel leurs parents ont cru n’a rien donné pour la population et s’interrogent sur la meilleure manière de s’engager pour faire bouger les choses.

Patrick Gathara

Il ne s’étonne pas outre mesure du fait que les forces de sécurité ont ouvert le feu la semaine dernière.

« C’était une tentative délibérée de faire cesser les manifestations », relève le journaliste, qui ne s’attend pas à ce que le stratagème vienne à bout de la colère populaire.

L’agence officielle de protection des droits de la personne (KHNCR) estime que 39 personnes sont mortes et 360 autres ont été blessées depuis le début des manifestations.

Capital de sympathie

Le principal parti de l’opposition du pays, chapeauté par Raila Odinga, qui avait été battu par William Ruto à l’élection de 2022, a dénoncé le recours à la manière forte et accusé le président d’être responsable des morts survenues la semaine dernière.

« Ce n’est pas une surprise que des appels à la démission retentissent un peu partout au pays », a relevé la formation.

Le chef d’État avait assuré pour sa part dimanche qu’il « n’avait pas de sang sur les mains » et défendu la police en affirmant qu’elle avait « fait de son mieux » dans des circonstances difficiles.

Selon M. Gathara, les protestataires disposent pour l’instant d’un important capital de sympathie au sein de la population.

Celui-ci pourrait cependant s’essouffler rapidement, dit-il, si le mouvement peine à établir des objectifs clairs après le retrait du projet de loi budgétaire et que les actes de vandalisme et de pillage survenus en marge des manifestations se multiplient.

« Le président est déjà affaibli, quoi qu’il advienne. S’il tente de s’imposer par la force, les choses risquent de se détériorer », conclut M. Gathara.

L’histoire jusqu’ici

Août 2022

William Ruto remporte l’élection présidentielle kényane après avoir été vice-président de 2013 à 2022.

Avril 2023

Une série de manifestations soutenues par l’opposition pour dénoncer la hausse du coût de la vie secoue le pays.

25 juin 2024

Une nouvelle vague de manifestations, animée cette fois par des jeunes de la « génération Z », tourne au bain de sang lorsque la police tire à balles réelles, faisant des dizaines de morts.