(Nairobi) Jets de pierre, gaz lacrymogène, pillages : dans la capitale kényane Nairobi, l’appel à manifester contre le gouvernement du président William Ruto, dans le cadre d’un mouvement de contestation lancé mi-juin, a donné lieu mardi à des échauffourées et dégradations.

Des rassemblements de plusieurs centaines de personnes se sont également tenus dans d’autres villes (Mombasa, Kisumu, Nakuru…). À Mombasa, deuxième ville du pays, des voitures ont été incendiées et au moins un commerce vandalisé, selon des images de la télévision kényane.  

Le Kenya est secoué depuis deux semaines par une vague de contestation, déclenchée par le projet de budget 2024-25 prévoyant de nouvelles taxes, qui a cristallisé et fait culminer un plus large mécontentement contre William Ruto, élu en 2022.

Ce mouvement – dépourvu de véritable leader et d’organisation – a viré au bain de sang lors de la journée du 25 juin, qui a notamment vu la police tirer à balles réelles sur la foule qui prenait d’assaut le Parlement.

Au total, 39 personnes ont été tuées et 361 blessées depuis la première manifestation le 18 juin, avec au moins 22 morts le 25 juin, selon l’agence officielle de protection des droits humains (KNHCR), qui a également fait état lundi de 32 cas de « disparitions forcées ou involontaires » et 627 arrestations de manifestants.

Malgré l’annonce par le président qu’il retirait le projet de budget, les appels à se mobiliser ont continué mais été diversement suivis, notamment au sein de la « Génération Z » (jeunes nés après 1997) qui était au cœur du mouvement.

PHOTO JOHN MUCHUCHA, REUTERS

Des manifestants portent un cercueil

« Voyous »

Comme jeudi dernier, la foule nombreuse, variée et pacifique des premières manifestations a laissé place mardi dans le centre d’affaires (CBD) de Nairobi à des groupes de jeunes hommes jetant des pierres aux forces de l’ordre, qui ont riposté avec des gaz lacrymogènes.  

Hors du CBD, des axes de circulation ont été temporairement bloqués. La police les a libérés avec des gaz lacrymogène et canon à eau.

En hommage aux manifestants tués ces deux dernières semaines, certains manifestants ont disposé quelques cercueils sur la principale avenue du CBD, rapidement dégagés par la police.  

Dans ce quartier, épicentre du mouvement, de nombreux magasins étaient restés fermés mais les rideaux de fer n’ont pas empêché des pillages. Du mobilier urbain a également été brûlé.

Plusieurs personnes ont été blessées, d’autres arrêtées, ont constaté des journalistes de l’AFP.

« Les voyous se sont infiltrés », a déploré Hanifa Adan, une des figures du mouvement de contestation, dans un message sur X ponctué de cœurs brisés.

Le ministre de l’Intérieur, Kithure Kindiki, a dénoncé une « orgie de violence » en prévenant que le gouvernement sévirait contre tout participant à ce « chaos anarchique » et ce « pillage cruel ».  

« Ce règne de la terreur contre le peuple kényan et l’impunité de dangereux gangs criminels doivent cesser à tout prix », a-t-il déclaré.

John Kwenya, un élu local de Nairobi, a dénoncé un « sabotage économique ».

Les cortèges dans les autres villes dénonçaient aussi la politique fiscale du président, surnommé « Zakayo » (Zachée en swahili), figure biblique du collecteur d’impôts. Ils fustigeaient aussi la répression meurtrière du mouvement.

« Ruto Must Go »

« Nous voulons que justice soit rendue aux Kényans innocents tués par la police lors des manifestations pacifiques », affirme MaryLynn Wangui, manifestante de 24 ans à Nakuru, tenant une pancarte « Ruto Must Go » (« Ruto doit partir »).

PHOTO SIMON MAINA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président du Kenya, William Ruto

Dans une interview dimanche, le chef de l’État a affirmé n’avoir « pas de sang sur les mains » et que la police « a fait de son mieux » pour maintenir l’ordre.

Élu en août 2022 en promettant de défendre les plus modestes, William Ruto a depuis pris des mesures d’austérité, créé et augmenté plusieurs impôts et taxes qui ont durement frappé le pouvoir d’achat des Kényans.

Ces mesures sont nécessaires, selon lui, pour redonner une marge de manœuvre au pays, lourdement endetté.

« Nous aurions dû mieux communiquer », a-t-il estimé dimanche. Retirer le texte aura « de très lourdes conséquences », a-t-il averti : « Cela signifie que nous sommes revenus presque deux ans en arrière et que cette année, nous allons emprunter 1000 milliards de shillings » (7 milliards d’euros).

La dette publique du pays s’élève à environ 10 000 milliards de shillings (71 milliards d’euros), soit environ 70 % du PIB.