(Paris) Il veut instaurer une loi « d’urgence » sur l’immigration s’il arrive à la tête du gouvernement : mettre en œuvre le programme du parti d’extrême droite Rassemblement National (RN) favori du second tour des élections législatives en France, ouvrirait un vaste chantier de révision de la Constitution et des traités européens.

Préférence nationale

La « préférence nationale » ou « priorité nationale » a toujours été le fil conducteur doctrinal du parti d’extrême droite, le Front national né en 1972, rebaptisé Rassemblement national en 2018. S’il devait devenir premier ministre, le président du RN Jordan Bardella, 28 ans, prévoit de « réserver les aides sociales aux Français et conditionner à cinq années de travail en France l’accès » à certaines prestations sociales « comme le RSA ».

En avril, le Conseil constitutionnel avait rejeté la demande de référendum du parti de droite Les Républicains (dont le président Eric Ciotti a depuis, décidé de s’allier au RN, contre le reste de l’état-major du parti) sur l’immigration qui conditionnait certaines aides sociales à une durée de résidence en France.  

« La Constitution ne s’oppose pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales pour les étrangers en situation régulière soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, mais cette durée ne peut priver les personnes défavorisées d’une politique de solidarité nationale », avait exposé le président du Conseil, Laurent Fabius dans un entretien au Monde.  

« Double frontière »

Jordan Bardella a proposé la mise en place d’une « double frontière ». Ce concept prévoit de durcir le contrôle aux frontières extérieures de l’UE et impose le retour du contrôle aux frontières nationales pour « réserver la libre-circulation Schengen aux seuls ressortissants européens », dit le RN qui veut « ouvrir des négociations » avec les « partenaires européens ».

Aujourd’hui, « vous ne pouvez pas empêcher un Européen de rentrer en France, car les accords de Schengen instaurent la liberté de circulation », expose Yves Pascouau, chercheur senior associé à l’Institut Jacques Delors. « Même par un référendum, par une révision de la Constitution, cela dépasse la question française, ce sont les accords Schengen qui s’appliquent », poursuit-il.

« Vous ne pouvez pas non plus dire que ces contrôles ne sont rétablis que pour les étrangers, à moins de faire un contrôle au faciès. Vous devez donc contrôler tout le monde », ajoute M. Pascouau.

Depuis 2015, invoquant la pression migratoire ou la menace terroriste, un certain nombre de pays ont cependant réintroduit des contrôles d’identité à leurs frontières. Ils sont actuellement huit à le faire (Slovénie, Italie, Allemagne, Autriche, France, Norvège, Danemark, Suède).

L’Union européenne vient d’ailleurs d’adopter, fin mai, une réforme du code Schengen, destinée à clarifier le cadre prévu pour la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures de l’espace de libre circulation, et à harmoniser les restrictions en cas d’urgence sanitaire.

Aide médicale d’État

L’AME, qui garantit aux étrangers en situation irrégulière depuis plus de trois mois en France la prise en charge gratuite de soins médicaux sous condition de ressources, serait transformée en « aide d’urgence vitale » réservée aux cas où le pronostic vital est engagé.

La Constitution de 1946 indique que la Nation « assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu’elle garantit « à tous » la protection de la santé.

« Restreindre complètement cette aide médicale d’État, ou la supprimer avec tous les dangers pour la santé publique que ça peut créer, c’est méconnaître l’impératif constitutionnel. Tout va être dans la proportionnalité de la mesure », estime Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public.

Droit du sol

Le RN propose que « seul un enfant né d’au moins un parent français ait accès automatiquement à la nationalité française ». « Tout enfant né de deux parents étrangers sur le sol français ne pourra accéder à la nationalité qu’après une demande à partir de ses 18 ans », précise-t-il.

Cette mesure fait écho à la loi dite « Pasqua » (ministre de droite) de 1993 qui soumettait l’obtention de la nationalité à une procédure explicite de déclaration entre l’âge de 16 et 21 ans. Celle-ci a été supprimée par la gauche en 1998.  

Le Conseil constitutionnel avait validé une restriction du droit du sol à Mayotte, mais en soulignant la situation, spécifique, de ce territoire d’outre-mer soumis à une forte pression migratoire.  

« Une restriction totale du droit du sol sur tout le territoire, à mon sens, ne passe pas », sauf révision de la Constitution, estime Mme Bezzina.  

Binationaux

Le RN veut interdire, par « une loi organique et un décret », aux « binationaux » d’occuper des emplois « extrêmement sensibles ». Cela concernerait « très, très peu de personnes », a précisé Jordan Bardella.

En janvier, le parti avait déposé une proposition de loi qui prévoyait la possibilité d’interdire l’accès à des emplois dans les administrations et entreprises publiques aux Français possédant aussi une nationalité d’un autre État.

Cette mesure qui rompt avec le principe d’égalité ouvre la possibilité de « recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou le Conseil d’État », selon le professeur de droit public Serge Slama.

Dans beaucoup de pays, on ne peut pas renoncer à sa nationalité. Or, la France « ne peut pas dire aux autres pays de changer leur mode d’évolution de la nationalité », relève sa collègue Gwénaële Calvès.