Nathalie Joannette le dit d’emblée, et sans prétention aucune : « Le saucisson, c’est écrit dans tous les livres de métiers de bouche européens, c’est le produit le plus complexe à faire. »

Au début du projet, l’artisane de l’année aux Lauriers de la gastronomie s’est donc documentée, a multiplié les voyages, accumulé les essais, essuyé quelques revers, pour enfin arriver avec les produits que l’on déguste aujourd’hui. « Il faut que tu t’équipes d’un minimum de connaissances, assure-t-elle. Et si tu peux aller t’arrimer à des chercheurs, c’est encore mieux. »

C’est ainsi qu’elle a sollicité les chercheuses Linda Saucier et Marie Filteau, professeures à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, pour caractériser la flore bactérienne responsable du goût remarquable des saucissons de Fou du cochon.

« Ça a beaucoup rapport avec le procédé de fabrication, les pratiques et les méthodes de fabrication qui vont appliquer une pression de sélection sur les micro-organismes, commence par expliquer Marie Filteau. Finalement, on a domestiqué les microbes qui nous donnaient de bons produits. »

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Avant de passer à l’étape de l’affinage en cellule de sèche, les saucissons passent quelques jours en étuvage à une température contrôlée de 24 degrés.

Contrairement à Fou du cochon, les charcuteries en vente sur le marché ne sont pas issues de ce processus naturel. Ailleurs, on utilise ainsi des nitrites et des ferments commerciaux pour minimiser les risques de contamination. « On ensemence la viande avec un ferment lactique, ça permet de s’assurer qu’il y a dans le procédé de fabrication une acidification qui est suffisante pour assurer l’innocuité du produit, explique la chercheuse. Dans les ferments commerciaux, on a isolé un micro-organisme précis qui permet d’avoir un contrôle de qualité plus facile à gérer. Mais on perd la diversité qui existe dans la nature. »

Quand on a caractérisé cette flore en laboratoire, on a découvert un amalgame de bactéries unique aux produits de Fou du cochon, on peut donc ainsi parler de l’influence du terroir de Kamouraska.

Marie Filteau, professeure agrégée à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval

C’est ainsi que les saucissons de Fou du cochon développent lors de l’affinage cette fine couche de moisissures parfois colorées, mais toujours parfaitement comestibles, l’une des propriétés sensorielles avec le goût, l’odeur, l’arôme et la texture qui découlent directement des activités métaboliques de la flore bactérienne naturelle. « Ce sont des spores dans l’air qui sont porteuses de micro-organismes qui viennent coloniser les saucissons, c’est ça qu’on voit le plus à la surface des saucissons, dit Marie Filteau. Évidemment, la viande, quand elle arrive, n’est pas stérile, les ingrédients qu’elle contient, la ferme d’où elle provient vont aussi avoir une influence. »

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Comme Fou du cochon s’approvisionne uniquement en porc bio auprès de l’abattoir Du Breton de Rivière-du-Loup, il y a une constance dans les intrants. Ensuite, il s’agit de laisser la nature faire son œuvre. « Une microflore, c’est un peu comme une forêt, vulgarise Nathalie Joannette. Les premières bactéries sont responsables de l’arrivée des suivantes. Comme en forêt, tu as d’abord de l’aulne, de la hart rouge avant de voir pousser des bouleaux. Et comme dans toute forme de végétation, des bactéries vont servir au goût, d’autres vont servir à protéger leurs congénères. Et il y en a probablement qui vont être très bonnes pour nos intestins, mais ça, je ne suis pas capable de le dire maintenant. Le prochain projet de recherche va porter là-dessus ! »

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Le porc biologique utilisé chez Fou du cochon provient essentiellement de l’abattoir Du Breton, de Rivière-du-Loup.

Entre-temps, l’objectif avoué de Nathalie Joannette est de pouvoir déménager à court terme sa flore avec elle dans les locaux de son futur Économusée de la charcuterie classique et botanique, dont la construction doit débuter à l’automne, à Saint-Pascal-de-Kamouraska. Pendant que la plupart des autres charcutiers d’ici inoculent leurs produits en les vaporisant de levure Penicillium camemberti, Fou du cochon veut pouvoir continuer de travailler avec sa propre culture bactérienne.

« Ils devraient au final être capables d’obtenir des produits très similaires, estime Marie Filteau. Il y a quand même des ressemblances entre le site de l’usine actuelle et celui du futur atelier. Ça risque d’être les mêmes types de micro-organismes qui se développent, mais de façon plus fine. Il peut y avoir des spécificités, mais si on regarde à un niveau de classification générale, ça risque de se ressembler énormément. »

Lexique

Ferments : Bactéries qui, combinées aux levures et moisissures, interviennent dans l’élaboration d’aliments fermentés.

Acidification : Processus qui permet l’élimination d’autres bactéries, éventuellement pathogènes. On y arrive en induisant des ferments lactiques, des bactéries spécifiques utilisées pour la conservation des aliments destinés aux humains et aux animaux.

Innocuité : Définit la qualité d’une substance qui n’est pas toxique et qui est, plus largement, inoffensive pour l’être humain ou l’animal.

Caractérisation : Analyser les propriétés d’un matériau, notamment physiques et chimiques. C’est ainsi que l’on cerne les micro-organismes utiles à la fermentation indigène, par exemple.