(Sainte-Anne-de-la-Pocatière) Nathalie Joannette a produit ses premiers saucissons il y a presque 20 ans. Il fallait la voir se préparer pour la séance photo dans les battures du fleuve Saint-Laurent pour constater à quel point sa passion est encore vive.

« J’ai eu la piqûre, je suis tombée dans quelque chose, j’aurais jamais pensé dans ma vie avoir un kick comme ça sur un métier que je découvrais, qui me fascinait », se rappelle la propriétaire de Fou du cochon en se remémorant les débuts de son aventure, dont l’étincelle a jailli pendant une soirée arrosée en compagnie d’amis belges.

« Mon père est français, puis Samuel, mon ex, avec qui j’ai démarré l’entreprise, sa mère est suisse ; on se retrouvait donc avec un beau mélange Québec-Europe autour de la table », enchaîne celle qui travaillait à l’époque comme psychosociologue.

À un moment donné, on s’est dit qu’il n’y avait pas de bons saucissons au Québec !

Nathalie Joannette, cofondatrice, Fou du cochon

Élevée au rang d’art culinaire à part entière en France et ailleurs en Europe, la charcuterie ne résonnait absolument pas de la même façon de ce côté-ci de l’Atlantique. « En France, je suis vue comme un médecin, c’est grave là, ils sont fous ben raides, on me déroule le tapis rouge, nous dit en rigolant l’artisane qui a été adoubée chevalière de l’ordre des charcutiers français en 2018. Ici, ce n’est pas dans notre ADN, tout ce qui est lactofermenté dans les viandes, on ne connaît pas ça, on n’a pas vu notre grand-père en faire. On n’a pas d’histoires familiales comme en Europe, il n’y a personne ici qui se promène avec un Opinel dans sa poche, prêt à couper son saucisson à tout instant. »

C’est en 2003 que Nathalie Joannette commande deux ouvrages de référence français, après quoi elle se met à faire des essais en essayant de cultiver la flore bactérienne propre à Kamouraska. Tout a commencé chez son ami Charles Marois, qui possédait alors une boucherie attenante à sa ferme. « On ouvrait les fenêtres de sa petite boucherie, puis tout ça séchait à l’air comme ça, se souvient celle qui s’est installée dans le Bas-du-Fleuve il y a près de 25 ans. On frottait les saucissons sur les murs et sur le bois d’érable, parce qu’il est poreux et que les bonnes bactéries, les levures et les champignons se fixent dans les pores du bois, c’est vraiment un excellent support à cette microflore. »

Recettes secrètes

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Fou du cochon propose une variété de saucissons et de salaisons entièrement biologiques et naturels.

Fou du cochon a fait le pari du tout naturel, et c’est encore à ce jour le seul au Canada à procéder de cette façon, en laissant agir le seul écosystème bactérien présent dans Kamouraska dans le processus de séchage de ses saucissons. Mais le secret réside aussi dans les recettes mises au point par Nathalie Joannette.

Un des premiers produits que l’on a faits est le grelot des battures, c’est lui qui a gagné la médaille d’or en France. On a pris ici de la livèche écossaise qui pousse dans les marais saumâtres sur le bord du fleuve. On en fait un pesto puis on le mélange à notre viande.

Nathalie Joannette, cofondatrice, Fou du cochon

Ailleurs, on s’est inspiré de recettes classiques, comme pour le bâton aux avelines, noix qui rappellent la noisette présente dans de nombreux saucissons européens. Mais Nathalie Joannette veut surtout utiliser des ingrédients du terroir : « On assume notre nordicité, on veut que ce soit présent dans la signature de nos produits, on veut que ce soit évident qu’on n’est pas en Amérique du Sud ! », lance-t-elle en riant.

Procédés rigoureux

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les différents types de saucissons vont mettre plus ou moins de temps en affinage en cellule de sèche. Les plus gros, comme Le Curé, vont rester suspendus pendant près de trois mois, perdant une importante partie de leur volume dans le processus.

Si la qualité des saucissons de Fou du cochon passe par ses ingrédients, elle est aussi tributaire de procédés extrêmement rigoureux. Nathalie Joannette a beau avoir imaginé son entreprise au détour d’une fête, son approche est on ne peut plus scientifique.

Dans l’usine de Sainte-Anne-de-la-Pocatière installée dans le Centre de développement bioalimentaire du Québec, rien n’est laissé au hasard. « Il ne faut pas que la viande chauffe parce qu’on veut qu’elle sèche, commence-t-elle par illustrer. Souvent, vous allez voir chez les gens qui commencent en charcuterie qu’il y a des trous à l’intérieur de leurs saucissons ; c’est parce que le gras s’est séparé de la chair. C’est pour ça que l’on mesure la température de la viande avant le hachage ainsi qu’à la sortie dans le boyau pour qu’il n’y ait de différence nulle part. »

Enfin, on doit s’assurer que les saucissons sont suffisamment secs avant de se retrouver sur les tablettes, c’est pourquoi on va d’abord prévoir une période d’étuvage à une température de 24 degrés avant de finaliser en cellule de sèche entre 12 et 14 degrés pendant des jours ou des semaines, selon la taille des charcuteries. « À terme, on va aussi prendre la mesure de l’activité de l’eau dans les saucissons, c’est-à-dire ce qui reste comme eau dans le produit, nous explique l’artisane. Plus il y a d’eau, plus de mauvaises bactéries peuvent se produire. »

Bref, on est bien loin de l’époque où l’on mêlait du salpêtre aux saucissons pour s’assurer qu’ils sèchent adéquatement !

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