(Phoenix) Les gicleurs abreuvent d’une pluie divine l’immense carré de gazon de l’église, phosphorescent au milieu de ce terrain désertique.

L’herbe est toujours plus verte à Dream City Church.

C’est samedi matin à Phoenix et sous le grand toit qui fait de l’ombre à l’entrée de l’immense édifice, un tournoi de pickleball pour adultes a lieu tandis que des enfants jouent autour. L’air climatisé sort des grandes portes ouvertes et rafraîchit les participants comme une brise des montagnes.

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Tournoi de pickelball à Dream City Church

Dream City est plus qu’un complexe religieux géant. C’est une communauté, avec ses camps, ses fêtes, ses conférences, ses « déjeuners pour hommes ». C’est un projet politico-religieux.

Dimanche matin, à peine sorti du stationnement, on entend déjà la voix du pasteur Luke Barnett.

Il parle de cette société en perdition, des gens dans la rue, de la drogue, des enfants dans les écoles dont on veut confondre l’identité sexuelle. Il faut créer un monde à part de ce monde malade, dit la voix rassurante dans le haut-parleur en invitant les membres à entrer dans le temple.

Luke a pris le relais de son père, le très influent Tommy Barnett, fondateur semi-retraité de cet empire chrétien évangélique qui comprend huit églises en Arizona, en Californie, au Nebraska et en Oklahoma. Le pasteur Luke a fait partie de diverses coalitions d’évangéliques pour Donald Trump. Il a participé à des rassemblements de l’ancien président et Trump est venu prendre la parole ici même dans cette méga-église qui peut accueillir plus de 6000 personnes, en 2020.

C’est également ici que Donald Trump est venu la semaine dernière faire son premier rassemblement de la campagne dans cet État-clé.

Le matin où j’y étais, on soulignait la fête des Mères dans l’immense salle pleine à 60 %, ce qui est tout de même considérable. Un orchestre d’une dizaine de musiciens fait vibrer l’assistance. Des serveurs passent dans les allées pour distribuer des chocolats aux mères. Des activités pour les enfants sont organisées dans un édifice adjacent.

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L’herbe est toujours plus verte à Dream City Church.

Un premier pasteur rappelle que « les États-Unis sont un pays chrétien et c’est par là que viendra le Salut ».

La « vision » de Luke Barnett est de « faire de l’Arizona un État chrétien ».

C’est une jeune pasteure de la nouvelle génération, Aubrey Matthesius, qui fait le sermon.

Elle défie les fidèles d’être des messagers plus crédibles du message chrétien, pour « réveiller la génération endormie » qui vit dans la « confusion LGBTQ » et les jeux vidéo.

Trop de scandales ont frappé les chrétiens, dit-elle, il faut être soi-même un exemple.

Elle invite ensuite l’assemblée à regarder un extrait du film Barbie sur un écran géant. On y voit des fillettes qui jouent à la poupée. Surgit une Barbie géante. Les enfants alors se mettent à fracasser leur poupée-bébé, subjuguées par leur nouvelle idole.

Un frisson d’horreur parcourt la salle devant ces crânes de bébé en plastique qui volent dans tous les sens au ralenti.

« Le message du film ne peut être plus clair : il faut mépriser la maternité ! », dit la pasteure.

Dream City est aux avant-postes de la « guerre culturelle » que livrent les chrétiens évangéliques depuis 50 ans. Ils ont trouvé un champion improbable en Donald Trump, qui a tenu parole en nommant trois juges conservateurs à la Cour suprême. Les trois quarts de ceux qui s’identifient comme chrétiens évangéliques aux États-Unis ont voté pour lui. La longue bataille des évangéliques pour annuler le droit à l’avortement aux États-Unis a finalement abouti sous Trump. Ils lui vouent une reconnaissance éternelle pour cela. Mais leur programme ne s’arrête évidemment pas là.

Dream City « loue » aussi son église régulièrement au groupe conservateur Turning Point USA, qui a établi à Phoenix son quartier général. Le groupe a été fondé en 2012 par Charlie Kirk, alors un étudiant de 18 ans à Chicago. L’homme s’est vite fait remarquer et a organisé les « jeunes pour Trump ». Le groupe Turning Point a beau être « à but non lucratif », il l’a été pour Kirk. À 30 ans, la jeune vedette de la droite radicale trumpiste possède trois demeures luxueuses – dont une de 4,75 millions dans un club privé en Arizona. Turning Point, encore obscur il y a huit ans, a connu une ascension irrésistible depuis la première campagne de Trump. Associated Press estime que le groupe a collecté depuis huit ans 250 millions pour mobiliser l’électorat et « faire sortir le vote » des jeunes. Turning Point a aussi financé des campagnes de désinformation sur la supposée « fraude » électorale de 2020.

En se collant aux évangéliques, Kirk a trouvé une clientèle militante enthousiaste, sensible à son discours sur la dérive morale des États-Unis.

L’église de son côté profite de ses talents d’organisateurs pour remplir ses salles.

C’est ainsi que l’herbe est toujours plus verte à Dream City