(Washington) À la Maison-Blanche jeudi, le président des États-Unis avait invité des militaires au traditionnel barbecue du 4 Juillet, mais c’est lui qui est en train de cuire.

Joe Biden va-t-il s’accrocher ?

Dans les brèves remarques scriptées lues devant les invités, il a bafouillé dès qu’il semblait sortir du texte. Même avec le plus bas niveau de difficulté, il n’a pas la note de passage. Rien de grave en soi. Mais depuis une semaine, c’est le pays entier qui ausculte le candidat, et chaque signe de faiblesse aggrave le diagnostic.

Juste avant les feux d’artifice du Jour de l’Indépendance, qui ont illuminé le ciel du « Mall » où nous étions des dizaines de milliers, le président a encore prononcé quelques phrases rapides. Des partisans sur le parterre ont crié « quatre ans de plus ». Celui qu’on décrit comme « l’homme le plus puissant de la planète » a beau dire qu’il n’a aucune intention de s’en aller, il passe en ce moment pour le plus faible candidat possible.

Même l’heure de ses activités est un enjeu. C’est tard, bien tard, 9 h du soir, pour un homme fatigué.

La veille, Joe Biden avait réuni tout ce que le pays compte de gouverneurs démocrates, pour remonter le moral des troupes et, surtout, les envoyer répandre la bonne nouvelle : le président a connu un mauvais débat, mais il est d’attaque !

Bien sûr, on a vu Wes Moore, du Maryland, Gavin Newsom, de Californie, Kathy Hochul, de l’État de New York, Tim Walz, du Minnesota, etc., sortir de la réunion en réaffirmant que Biden est « notre candidat ».

Quelques heures plus tard, les paroles de Biden ont fuité : je vais faire plus de siestes et éviter les évènements passé 20 h, a-t-il dit aux gouverneurs…

PHOTO ELIZABETH FRANTZ, REUTERS

Le président Joe Biden, lors des célébrations du Jour de l’Indépendance à Washington

Le gouverneur d’Hawaii, Josh Green, qui est aussi médecin, assistait à la rencontre à distance. Il a demandé au président comment allait sa santé, ce à quoi Biden a répondu « ça va, mais c’est juste mon cerveau », d’après le New York Times. Certains y ont vu une blague, d’autres ne l’ont pas trouvée comique.

À peu près tous les médias rapportent que derrière la belle façade d’unité, c’est ou bien la panique, ou bien : comment faire pour s’en débarrasser ?

Pourquoi s’accroche-t-il, quand les grands médias le congédient pour incapacité ? Ceux qui le connaissent disent que justement, il a passé sa vie à être sous-estimé par les médias et regardé de haut par l’élite du parti, lui le gars de la classe moyenne sans diplôme d’une grande université.

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Joe Biden, alors sénateur du Delaware, en compagnie de son fils Hunter Biden en mars 1988

Toute la carrière de Biden a consisté à défier l’adversité – sans parler de sa vie personnelle pleine de tragédies. Il a fait sa première tentative à la candidature présidentielle en 1988, contre Michael Dukakis, puis encore en 2008, contre Barack Obama. Il semblait le parfait vice-président à ses côtés, l’homme de compromis et d’empathie. Mais pas plus. Obama lui a déconseillé de se présenter en 2016 contre Hilary Clinton. Et en 2020, à 77 ans, déjà plusieurs le considéraient trop vieux pour renverser Donald Trump. Mais il l’a fait et estime avoir donné une leçon à tous ses détracteurs.

Sans compter que, pour une rare fois, les élections de mi-mandat qui ont suivi ont plutôt bien tourné pour les démocrates.

Il ne se fera certainement pas dire quoi faire par le New York Times, The Atlantic ou le Washington Post, qui a carrément écrit le discours d’adieu qu’il aurait dû livrer ce 4 Juillet…

Les fidèles du parti sont furieux que ces médias disent à Biden de quitter, mais passent sous silence la candidature de Trump, déjà reconnu coupable de 34 chefs d’accusation. L’argument ne tient pas la route : ces mêmes médias ont exposé les crimes et les travers de Trump sans arrêt. C’est précisément pour opposer à Trump un candidat suffisamment fort, inspirant confiance, qu’autant de voix réclament son départ pendant qu’il en est encore temps.

Si vraiment l’enjeu est l’avenir de la démocratie, raison de plus pour présenter un candidat capable de la faire fonctionner.

« On n’efface pas quatre ans de travail remarquable pour un débat raté de 90 minutes » est aussi une ligne répétée par les fidèles. Non, on ne les efface pas. Mais l’élection, ça sert à évaluer les candidats, donc à se demander s’il a l’énergie et les capacités pour continuer. Il a montré que non.

D’autres font valoir que c’est trop compliqué et qu’il est « trop tard ». Par exemple parce qu’une loi de l’Iowa exige de désigner le candidat 90 jours avant l’élection, ce qui arriverait avant la convention de Chicago. L’État étant républicain, ça ne change pas grand-chose à la fin…

L’argument selon lequel « de toute manière, il est très bien entouré » n’est pas sérieux. Ça revient à dire que la fonction présidentielle est de la figuration. On n’embarque pas dans un avion mal entretenu en se disant « de toute manière, il y a des parachutes ».

C’est vrai : il est très tard. Vrai aussi, si on se fie aux sondages, la plupart des gens décidés à voter Biden vont quand même voter pour lui, pour repousser Trump. La plupart des électeurs démocrates trouvaient déjà Biden trop vieux pour gouverner l’an dernier. Pardon, pas « trop vieux ». Trop affaibli.

Le hic, c’est que Biden traînait déjà derrière Trump avant de livrer la pire performance de l’histoire des débats – incluant la fois où Gérald Tremblay avait cessé de parler pendant 16 secondes.

Les nouveaux sondages pointent presque tous dans la même direction : il a encore perdu des plumes dans les États-clés. Les résultats sont divergents d’une maison à l’autre, comme d’habitude dans ce pays extrêmement bariolé. Mais si l’on compare les sondages d’une même maison avant et après le débat, on voit la baisse. Le New York Times rapporte maintenant un incroyable écart de -23 points de pourcentage pour Biden chez les hommes (où Trump a toujours été en avance).

Plusieurs représentants démocrates dans des districts un peu chauds ont publiquement dit à Biden de partir, ou d’y réfléchir. Les autres le disent anonymement à des journalistes.

Une fois que tous les analystes, sondeurs, donateurs et démocrates anxieux auront donné leur avis, il va rester la question la plus grave. Est-ce qu’on peut confier la puissance militaire et économique de ce pays à un homme qui veut faire plus de siestes et fermer les livres à 20 h ?

Ce soir, dans une tentative tardive de sauver sa candidature, Biden donnera une entrevue à George Stephanopoulos, sur ABC. Elle est censée être présentée sans montage, telle quelle. Stephanopoulos étant un ancien conseiller de Bill Clinton, certains pensent peut-être que ça se fera en douceur. J’en serais très étonné. Pour Stephanopoulos comme pour Biden, ce sera l’entrevue la plus importante de leur carrière.

Et à l’heure actuelle, ce sont les républicains qui prient pour garder Biden sur le ticket démocrate, en espérant qu’il soit trop tard pour en changer.

Car il est très tard en effet.