Voici venu le temps de tester les convictions patriotiques de Joe Biden.

Si vraiment c’est « le pays d’abord », comme il dit, ce doit être « Biden dehors ». Il doit se congédier lui-même le plus rapidement possible pour laisser une chance à son parti de remporter la présidence, sans parler de plusieurs luttes locales serrées.

Le fera-t-il ? Ou voudra-t-il à nouveau défier le destin et tous ses détracteurs, en ratissant le pays d’État en État pour montrer que le débat de jeudi n’était qu’un « mauvais moment » ?

Vendredi, comme s’il avait changé de sorte de café, il était en Caroline du Nord, avec l’énergie des beaux jours. « Je sais que je ne suis pas un jeune homme », a-t-il dit. Ma démarche est moins facile, ma parole aussi, et je ne débats plus aussi bien. Mais, a-t-il ajouté, « je sais comment dire la vérité, comment distinguer le bien du mal, comment faire ce travail. Je sais comment faire arriver les choses. Je sais, comme des millions d’Américains, que quand on reçoit un coup, on se relève ».

Il avait le poing en l’air et le goût de se battre dans les yeux.

Mais ces paroles bien senties n’effaceront pas le ratage de jeudi soir.

En 2020, Joe Biden a justifié sa candidature tardive à la présidence par la nécessité de barrer Donald Trump. Encore jeudi, il a parlé de ce défilé néonazi de Charlottesville, en Virginie, où une jeune manifestante a été tuée. Et de ces fameuses paroles de Donald Trump, qui avait minimisé les évènements en disant qu’il y avait « des bonnes personnes des deux côtés ».

C’était d’ailleurs un des plus graves problèmes de la préparation du débat de 2024 : son entourage pensait refaire le coup de 2020. Faire ressortir le Trump hargneux qui flirte avec les suprémacistes blancs.

Mais on ne refait pas le même show deux fois, et quatre ans plus tard, le thème est usé, les attaques sentent le réchauffé.

Si les convictions du président sont restées les mêmes, il pense encore devoir barrer la route à Donald Trump. Il le voit toujours comme une menace à la démocratie américaine et à la paix sociale du pays. Plus qu’en 2020, même, car il n’a jamais reconnu le résultat de l’élection et il a incité ou au moins laisser faire l’insurrection du 6 janvier 2021. Du point de vue de Joe Biden, le « danger » du retour de Donald Trump devrait être encore plus évident. D’autant que Trump envisage de prendre le contrôle du ministère de la Justice et de plusieurs instances indépendantes du gouvernement fédéral pour exercer un pouvoir sans entrave, y compris contre ses adversaires politiques. Il en parle ouvertement.

Si le Biden de 2020 était inquiet du retour de Trump, il devrait l’être encore plus en 2024.

Il lui resterait une seule chose à faire alors : réaliser que sa candidature est la plus certaine manière de réinstaller Trump au pouvoir.

Le désastre du débat paraît impossible à surmonter politiquement. Le président donne l’impression de sortir d’une hospitalisation ou d’en avoir besoin. L’exposition éclatante de son déclin physique et cognitif rappelle un peu trop à l’électeur sa mortalité.

PHOTO BRIAN SNYDER, REUTERS

Donald Trump et Joe Biden lors du débat de jeudi soir

Ça ne fait pas de Trump un champion, ça ne l’assure pas d’une victoire écrasante. Mais ça rend improbable la remontée nécessaire dans les quelques États clés qui font la différence, et où Trump devance le président. Soit parce que ça ne convainc pas les indécis. Soit parce que ça décourage les démocrates qui risqueraient de ne pas voter.

Il n’est pas trop tard pour partir, comme presque tout le monde dans son parti le lui demande plus ou moins gentiment, ou le souhaite plus ou moins ardemment.

La suite ne serait pas simple. La convention démocrate commence dans 51 jours, le 19 août. C’est un court délai pour organiser une nouvelle course aux règles incertaines, et une sélection sur le plancher de la convention à Chicago. Tout ceci comporte des risques et empêche de faire campagne pendant l’été.

Mais un candidat ou une candidate de bonne stature aurait encore deux mois et demi pour faire campagne, au moment où ça compte le plus.

Ça ne voudrait pas dire que Trump ne gagnerait pas. Plus que jamais, il est le favori.

Mais continuer comme si rien n’était arrivé jeudi serait insensé. Ce serait s’accrocher à sa fonction alors que le pays et le monde entier ont vu à quel point il n’est plus apte. Demeurer candidat serait plus que de l’orgueil ; ce serait un autre signe de déclin cognitif.

On verra dans les prochains jours si le président des États-Unis croit vraiment au « pays d’abord ». Ou s’il continue pour prouver qu’il est encore capable, quand tout le monde sait qu’il ne l’est que par intermittence, comme il voulait le prouver vendredi.

Dans ce genre de boulot, il faut être à 100 % sept jours et nuits par semaine, ou convaincre la majorité qu’on peut l’être.

Céder la candidature serait un geste spectaculaire, historique en fait – comme Lyndon Johnson en 1968. Il comporte sa part de risque. Mais moins que de ne rien faire. Il pourrait se retirer élégamment en terminant sa présidence, dont le bilan, au final, est assez riche.

À moins, bien entendu, qu’il se croie irremplaçable. Ce ne serait pas le premier politicien atteint de ce syndrome d’éternité.

Ça arrive même aux plus sympathiques.