Joe Biden a sombré dans un studio d’Atlanta jeudi soir. Jamais, depuis que les débats présidentiels existent, un candidat à la présidence du pays le plus riche et le plus puissant au monde n’avait offert une performance aussi catastrophique.

On aurait pu appeler ce débat Dead Man Walking, si le titre n’avait pas déjà été pris.

Le 46président avait une seule chose à faire : prouver à la nation que malgré ses 81 ans (82 au début du prochain mandat), il a les capacités intellectuelles et physiques, l’énergie pour diriger le pays.

C’est raté. Très raté.

Il est arrivé au lutrin en marchant sans assurance, ce qui n’est pas fatal tant qu’on reste debout. Mais dès la première phrase, c’est sa fragilité qu’il a exposée. La voix était voilée, faible. Il a dû l’éclaircir en toussant plusieurs fois, comme si on l’avait tiré du divan où il faisait la sieste. Son regard était absent. Ses gestes incertains.

Il a cherché ses mots. Il a paru confus. Quelques-unes de ses phrases sont restées en plan sur la scène, attendant en vain d’autres mots pour être complétées…

En parlant d’avortement, il a lui-même amené l’affaire de cette enfant assassinée par un immigrant clandestin, que Trump utilise sans arrêt.

Après 15 minutes, l’affaire était pliée. Joe Biden s’est montré exactement comme l’a décrit le procureur spécial Robert Hur cet hiver : « une personne âgée sympathique, de bonne volonté, dotée d’une mauvaise mémoire ».

Il suffit de ressortir le débat Trump-Biden de 2020 pour le constater : Joe Biden a décliné sérieusement. Il était à l’époque parfois hésitant, il bafouillait parfois (il a toujours combattu bravement le bégaiement). Mais il avait tout de même la stature d’un dirigeant. Il dégageait une compétence, une expérience, une force politique.

Il paraît que le vieillissement n’est pas une ligne continue, mais une série de paliers desquels on dégringole par séquences, comme si l’on sautait deux, trois marches d’un escalier.

Quelque part entre l’été 2020 et l’été 2024, Joseph Robinette Biden a raté quelques marches, et le monde entier l’a vu. Les électeurs l’ont vu. Les organisateurs démocrates l’ont vu.

Il se trouvera sûrement des démocrates pour dire à l’orchestre de continuer à jouer sur le pont, mais le fait est que le navire Biden va continuer à couler dans les eaux de cette campagne avant même qu’il soit leur candidat.

Il s’en trouvera aussi pour souligner tous les mensonges de Donald Trump jeudi soir, et ils auront raison. Son discours était décousu, ses affirmations gratuites et il ne répondait pas aux questions.

Mais pas une fois Biden n’a pu répliquer quoi que ce soit d’un peu convaincant, pas une fois il n’a pu lui porter un coup. C’est dire à quel point il a été calamiteux.

Trump était à peu près le même, mais en moins hargneux. Le micro coupé, qui l’empêchait de couper la parole, l’a fait paraître plus discipliné qu’il ne l’est. Et, fait extraordinaire, c’est lui qui a dit : « ceci est un peu enfantin » après que les deux hommes se furent disputés sur la question névralgique pour l’avenir de la planète de savoir qui des deux frappe la balle de golf le plus loin.

Peut-être que Trump a raison de dire que ce pays est en sérieux déclin, finalement…

Même sur les sujets qui l’avantagent, comme l’avortement ou les impôts pour les riches, Biden s’est planté. Alors qu’en 2020 il répétait, toutes les deux phrases, « here’s the deal », cette année, c’était « the idea that… » (l’idée selon laquelle). Mais en 2020, il suivait avec une proposition claire. Cette fois, sa phrase restait en plan, ou était une simple lamentation soufflée du haut des poumons – car très peu d’air semblait sortir de ce corps pâle. On dirait qu’il avait, comme Richard Nixon, refusé de se faire maquiller, ou qu’il avait sorti la poudre du marquis de La Fayette.

Je voyais cet homme s’effondrer en public, et je repensais aux mots très durs de l’ex-stratège républicain Steve Schmidt, devenu un militant anti-Trump. Si Trump gagne, disait-il, ce sera parce que Biden a choisi de se représenter. Il est, de plus en plus clairement, la meilleure chance de Donald Trump. En mars, lors du discours sur l’état de l’Union, Biden avait été étincelant. Il avait rassuré les troupes. Y compris ceux qui espéraient son départ et une vraie convention à l’ancienne en août à Chicago.

Mais maintenant, c’est foutu. Même si c’était à cause d’une maladie passagère, il ne pourra pas se relever de cette performance pathétique. Il vient de cimenter la crainte des électeurs qui le trouvent trop vieux.

Si la vieillesse est un naufrage, les Américains l’ont vu couler devant leurs yeux.

Il reste aux démocrates une chance : Biden n’est pas encore le candidat. Pour la première fois de l’histoire des débats télévisés, en effet, la joute avait lieu entre deux futurs candidats.

Il est donc possible, comme en 1968, de faire de la convention de Chicago une vraie convention à l’ancienne, où l’on choisira le candidat.

Contrairement à ce qu’on dit, il ne manque pas de talent politique dans ce pays. Plusieurs gouverneurs pourraient faire un meilleur candidat dans l’état actuel des choses, et pas seulement le gouverneur Gavin Newsom, de Californie. Gretchen Whitmer, gouverneure du Michigan, la sénatrice Amy Klobuchar, ou le gouverneur Roy Cooper, de Caroline du Nord, sont des noms souvent cités.

Mais dans l’état actuel, c’est-à-dire Trump qui mène dans la plupart des États clés, continuer avec Biden, c’est courir à la défaite.