(Washington, D. C.) Historiquement, la condamnation d’un ancien président des États-Unis pour un crime de droit commun est un évènement gigantesque. Hallucinant.

Judiciairement, par contre, l’affaire est assez banale.

Commençons par la justice, puisqu’après tout (ou avant tout) il s’agissait d’un procès.

Ne nous laissons pas impressionner par le nombre de verdicts de culpabilité. Il n’était pas vraiment question que Trump soit coupable en partie, même si c’était techniquement possible. Les 34 chefs d’accusation sont au fond les 34 morceaux d’un même gâteau. Il allait être soit acquitté, soit condamné pour la totalité – à moins d’un assez rare cas d’avortement de procès pour cause de mésentente insurmontable du jury. Et même à 15 ou 19 chefs, ça ne changerait rien sur le fond.

Le crime n’était pas si évident, il est vrai. Le fait de payer 130 000 $ à une actrice porno n’est pas un crime. Faire falsifier les livres comptables d’une entreprise pour camoufler un tel paiement est une infraction mineure. Pour que cela atteigne le niveau d’une felony, il faut que ce camouflage soit frauduleux. C’est-à-dire qu’il serve à faciliter, commettre ou cacher un autre crime.

Et dans ce cas, pour l’accusation, le crime était une infraction aux lois électorales de New York ou du gouvernement fédéral – soit tenter d’influencer le résultat de l’élection en cachant des informations, soit en dépassant les montants de dépense admissibles. C’était également une infraction aux lois sur la tenue de livres et aux lois fiscales.

Comme l’a expliqué le juge Juan Merchan aux jurés, le Procureur de l’État n’avait pas à prouver la commission de cet autre crime, ni même de quel crime en particulier il s’agissait. Il fallait qu’il démontre hors de tout doute raisonnable que la falsification des livres pour camoufler le paiement cachait consciemment un autre projet criminel, quel qu’il soit.

Maintenant, oublions un instant que l’accusé s’appelle Donald Trump.

Revenons à des choses très terre à terre. Quand une personne sans antécédents judiciaires crie sur toutes les tribunes son innocence, un jury s’attend à ce qu’elle vienne témoigner. Le droit au silence s’exerce à ses risques et périls. L’accusé Trump a choisi de ne pas témoigner.

Ensuite, l’ex-avocat de Trump Michael Cohen a déjà menti, y compris sous serment. Il est dans la même position qu’un délateur dans une organisation criminelle : c’est un complice qui retourne sa veste. On doit se méfier de ces témoins. Mais les éléments essentiels de son témoignage étaient corroborés : la raison des paiements, le système d’achat des scandales pour les étouffer, le fait que c’était une partie de la stratégie électorale, la connaissance totale de Trump, pour le compte de qui il agissait.

On ne peut pas dire qu’à part avoir attaqué Cohen, la défense a été très impressionnante dans la déconstruction de l’accusation, et encore moins pour présenter une autre thèse justifiant ces paiements.

Trump ira-t-il en prison ? Si l’on se fie aux critères habituels, c’est peu probable. Les experts américains notent que cette felony est du plus bas niveau. Mais au-delà de ça, à New York comme à Montréal, on considérera d’abord le fait que le condamné, à 77 ans, n’a pas d’antécédents judiciaires. Certes, il n’exprime aucun remords, ce qui joue contre lui. Mais oubliez le nombre d’accusations, il s’agit d’un seul crime continu, pour lequel le maximum est de quatre ans d’emprisonnement. C’est un dossier qui ne le justifie pas. Il y aura appel de toute manière, et tout sera suspendu pendant des mois.

Passons à la politique. Les républicains diront en fait que tout ceci est entièrement politique. Il est vrai que les procureurs d’État sont élus aux États-Unis, et que le dossier était mené par Alvin Bragg, un procureur élu sous la bannière démocrate.

Le système a toutefois ses contrepoids. D’abord, un « grand jury » de citoyens a autorisé les accusations. Ensuite, un jury sélectionné par les parties a rendu le verdict. Enfin, le juge Juan Merchan jouit d’une excellente réputation et ne mérite aucune des insultes que Trump lui a lancées.

On notera l’ironie historique à laquelle nous assistons. Ce sont les républicains, depuis 50 ans, qui ont politisé la justice criminelle, l’ont rendue plus sévère, plus implacable aux États-Unis. Toute l’inflation juridique (nombre d’accusations, lourdeur des peines, etc.) a été poussée par des législateurs généralement républicains d’est en ouest. C’est le parti de la loi et de l’ordre.

Mais c’est maintenant le parti qui se plaint de la persécution de Trump par la justice de l’État, comme la gauche le fait traditionnellement. On ne peut pas prétendre que l’accusé Trump ait manqué de ressources pour se défendre. Le système de justice criminelle lui-même est maintenant mis en accusation par le parti qui l’a engraissé le plus.

Les sondages des derniers mois suggèrent que de nombreux électeurs républicains abandonneraient Trump s’il était condamné par une cour criminelle. C’est une question bien hypothétique posée des mois avant le procès. Jusqu’ici, aucune accusation, aucune nouvelle défavorable n’a affecté sa popularité. Il serait étonnant que, soudainement, des millions de personnes changent d’idée.

Déjà, les républicains ont préparé le terrain en dénonçant le procès. Songez que plusieurs élus se sont rendus au tribunal pour soutenir Trump. En temps normal, des élus se rendant faire pression sur un juge, un tribunal, un jury auraient été dénoncés furieusement, à l’unanimité. Pas cette fois…

L’effet net de ce mouvement de solidarité judiciaire est de neutraliser l’impact du verdict auprès des républicains. Tous avec Trump !

On n’en voit aucun, du moins aucun ayant encore du pouvoir, dénoncer le futur candidat – il est un peu tard, au fait…

Ce verdict absolument sans précédent, qui aurait achevé n’importe quel autre candidat dans l’histoire politique américaine, est donc sans conséquence prévisible. On peut même dire qu’il est déjà recyclé à des fins de financement, car n’est-ce pas l’illustration du déchaînement des forces progressistes contre Trump ? L’évidence de la corruption de ce pays ? La preuve du naufrage terminal des institutions de ce pays à qui il reste une dernière chance ?

Au moins là-dessus, il y a consensus dans les deux partis : c’est au peuple d’en décider, en novembre. Pas à la cour.