(Washington) Donald Trump aurait dû le savoir.

Quand le slogan d’un parti est « devenez ingouvernables », il ne faut pas s’attendre à rencontrer une foule soumise et disciplinée.

L’ancien président s’est tout de même pointé à la convention du Parti libertarien (PL), samedi soir, au Hilton de Washington, pour « saluer les champions de la liberté qui veulent combattre la corruption ».

Ça ne s’est pas très bien passé. La moitié de la salle s’époumonait à le huer, un bloc l’applaudissait et le reste était de marbre.

Drôle d’idée d’inviter le candidat du Parti républicain dans une convention libertarienne qui doit choisir son propre candidat ? Le Parti libertarien ne fait rien comme les autres.

« C’est ridicule, mais le but était de faire de la publicité pour le parti, et je me rends compte que ça attire des journalistes et nos idées ont été bien rapportées dans les médias, pour une fois », me dit Mary Gingell, une diplômée californienne de la Harvard Business School qui milite depuis 43 ans dans ce parti dont elle a déjà été présidente.

« On essaie de projeter une image plus sérieuse du parti, me dit Paul Thompson, un musicien d’Austin. Nous sommes un groupe assez turbulent. Par le passé, on voyait beaucoup de gens déguisés… un candidat s’est même mis à poil pendant un débat en 2016. On veut se recentrer sur les idées. »

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Paul Thompson, un musicien d’Austin

C’était au temps où un candidat se faisait appeler « Vermine suprême ». Mais tout ça est du passé…

Il y a encore quelques costumés, comme Pat Dixon, un consultant en informatique qui porte des oreilles de lapin depuis un débat houleux en 2012, « pour détendre l’atmosphère ».

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Pat Dixon met des oreilles de lapin pour « détendre l’atmosphère ».

« On est une gang de nerds politiques, en fait, me dit Brian Lewis. J’étais dans un autre parti jusqu’en 2010, mais j’en ai eu marre de m’excuser de mes idées. On ne filtre pas les membres, ici. Il faut un endroit au monde pour être soi-même, et j’aime cette diversité », me dit l’homme qui arbore une kippa.

Cela dit, les délégués libertariens sont loin d’être aussi bizarres que le voudrait leur réputation.

Qu’est-ce donc qu’un « libertarien » ?

Comme son nom l’indique, le parti, fondé par le philosophe John Hospers en 1971, défend une vision radicale de la liberté individuelle. Hospers, un proche de la prêtresse de l’« objectivisme », Ayn Rand, est donc opposé aux interventions de l’État, au prélèvement des impôts (du moins, au niveau actuel) et aux entraves à la liberté de choix.

On a souvent associé les libertariens à la frange radicale du Parti républicain, car plusieurs républicains conservateurs se réclament de la philosophie libertarienne, et certains républicains déçus se sont faits libertariens, comme l’ultraconservateur Ron Paul, qui n’a obtenu que 0,5 % des votes à la présidentielle de 1988. Mais ceux-là ont probablement arrêté de lire le programme après le chapitre économique…

Car les libertariens sont en faveur de la libéralisation de toutes les drogues et du libre choix en matière d’avortement, et se fichent de l’orientation sexuelle de chacun. Ils sont pour le droit de porter une arme à feu, mais violemment opposés à la participation aux guerres étrangères par les États-Unis.

« Ce n’est pas qu’on se fout de l’Ukraine ; Poutine devrait être poursuivi en justice, mais nous pensons que le gouvernement américain est le moins bien placé pour intervenir, et qu’il empire les choses », me dit Thompson.

À peu près tous les délégués à qui j’ai parlé – la convention est masculine à 90 %, blanche à 99 % – étaient ou bien agacés, ou bien très remontés contre la présence de Trump.

« Il pense qu’il peut nous convaincre, mais notre parti existe parce qu’on refuse de voter pour le moindre mal. Le moindre mal, c’est le mal quand même ! », me dit Jeremy Nolen.

« Sa présence affaiblit nos principes », ajoute son ami Darren Pollock.

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Jeremy Nolen et Darren Pollock

Les lignes classiques de Trump contre Biden tombent à plat dans l’assistance. « Biden est peut-être nul, mais l’escroc, c’est Trump », me dit un délégué. S’ils ont un parti, c’est justement pour voter autrement.

Trump a tout de même du succès avec sa promesse de ne déclencher « aucune nouvelle guerre ». Et il reçoit une ovation quand il promet de gracier Ross Ulbricht, un « martyr » de la cause libertarienne condamné à l’emprisonnement à vie pour avoir mis sur pied dans le « dark web » un site de transactions illégales en tous genres (drogues, armes…).

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Donald Trump a reçu une ovation lorsqu’il a promis de gracier Ross Ulbricht, condamné à l’emprisonnement à vie pour avoir mis sur pied un site de transactions illégales dans le « dark web ».

Mais quand Trump promet de nommer un libertarien dans son cabinet, ça ne lève pas. Et quand il demande un « endossement » comme candidat, « ou au moins votre vote », les huées repartent.

À la présidentielle de 2020, la libertarienne Jo Jorgensen a obtenu 1,9 million de votes (1,1 %), ce qui est généralement ce que peut espérer le PL. Le meilleur résultat fut celui de l’ancien gouverneur républicain du Nouveau-Mexique, Gary Johnson, converti au PL, qui a récolé 4,5 millions de votes en 2016.

Comme la présidentielle s’est jouée sur quelques milliers de votes dans une poignée d’États pivots en 2020, aller chercher les libertariens semble intéressant.

Mais un grand pourcentage d’entre eux votent PL précisément contre les républicains, qu’ils ont fuis, ou les démocrates, qui les répugnent.

Et si des libertariens décident de voter pour Trump, ils ne se trouvent certainement pas chez les délégués, c’est-à-dire les plus militants du parti.

Les délégués ici sont des anarchistes plutôt joyeux. Encore qu’il y a des débats sémantiques entre anarchistes et « minarchistes », qui est leur version minimaliste.

« Le Parti libertarien, c’est un train vers la liberté. Il y en a qui vont jusqu’au bout, d’autres débarquent en chemin », me dit Mary Gingell, du « caucus radical ». Clairement une femme dans la locomotive.

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Mary Gingell

Au PL, pas de « primaires », mais une bonne vieille convention, avec ses débats, ses coalitions, ses pizzas, son bar, ses tours de vote. On peut voter pour plusieurs des candidats dûment inscrits. Ou pour aucun – une option toujours populaire. Ou inscrire le nom de son choix. La chanteuse Courtney Love, l’ex-quart-arrière Dan Marino et Donald Trump en ont reçu au moins un… Stormy Daniels aussi.

Il y a des comiques dans l’assistance.

On a fini par choisir Chase Oliver, 42 ans, du Tennessee, après sept tours de vote dimanche. Même si au dernier tour, il était le seul candidat, le parti prévoit que si l’option « aucun candidat » fait plus de 50 %… aucun candidat n’est choisi. Ils ont été 36 % à choisir « personne » au vote final. Un résultat on ne peut plus libertarien.

Les médias ont fait état du « rejet » de Trump et de Robert Kennedy fils, aussi venu parler à la convention, mais il n’a jamais été question qu’ils soient choisis, n’étant pas légalement candidats.

Il y a plusieurs gens d’affaires dans l’assistance, mais aussi des gestionnaires, des professionnels, des artistes.

Il y a aussi Mercadies Damratolsky, 42 ans, du Nebraska, venue défendre les fermes familiales contre les géants subventionnés.

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Mercadies Damratolsky

Ils n’aiment pas les subventions, les règlements ni tous ceux qui veulent vous dire ce qui est bien pour vous.

« La seule chose que je regrette dans ma vie, c’est d’avoir voté pour ce f***en escroc de Nixon en 1972, et tu peux me citer », me dit quant à lui dit Blake Huler, de Denver.

« En 1976, je sortais du concessionnaire avec une Malibu argent, et à la radio, j’ai entendu Hospers. Ma femme a dit : il parle exactement comme toi ! Je suis membre depuis. »

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Blake Huler

Blake a perdu sa femme. Il a perdu son chat, aussi. Alors six mois par année, ce souriant retraité vit « en bohémien » à travers les États-Unis. Il habite dans une Tesla où il a installé un matelas. Il garde des animaux domestiques chez des gens gratuitement. Il traverse le pays pour aller cohabiter quelques jours avec des chats, des chiens, des poissons et même un lézard.

« Ils me tiennent compagnie et ça me fait un endroit où aller. »

C’est sa façon de vivre libre.

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